Le carcinome épidermoide chat représente une préoccupation clinique majeure en oncologie féline, constituant une part substantielle des néoplasmes cutanés et oraux. Cette tumeur maligne, issue des kératinocytes de l’épiderme et des muqueuses, se manifeste sous des formes cliniques si distinctes qu’elles doivent être considérées comme des entités pathologiques séparées.
Une distinction fondamentale s’impose entre le carcinome épidermoïde cutané, majoritairement induit par l’exposition au soleil, et sa contrepartie orale, une affection agressive à l’étiologie multifactorielle et au pronostic souvent sombre. Ces deux présentations, bien que partageant une dénomination histologique commune, divergent radicalement en termes de causes, de comportement biologique, de stratégies de prise en charge et d’espérance de vie. Cet article de synthèse a pour objectif de fournir une analyse exhaustive et actualisée du carcinome épidermoïde chez le chat, en intégrant les données les plus récentes sur sa pathogenèse moléculaire, ses manifestations cliniques, son diagnostic et les options thérapeutiques. Il vise à servir de référence pour les cliniciens et les chercheurs, en soulignant l’importance d’une approche diagnostique et thérapeutique stratifiée, adaptée à la localisation et au stade de la maladie.
Carcinome épidermoïde localisé au niveau de la truffe
Qu’est-ce que le carcinome épidermoïde?
Le carcinome épidermoïde, également connu sous le nom de carcinome spinocellulaire, est une tumeur maligne qui prend naissance dans les cellules épithéliales squameuses de la peau et des muqueuses. Ces cellules constituent la couche la plus externe de l’épiderme et tapissent des cavités comme la bouche. Sur le plan de la prévalence, ce cancer occupe une place prépondérante chez les animaux de compagnie et plus particulièrement chez le chat ; il représente environ 15 et 25 %, selon les études, de toutes les tumeurs cutanées félines et la très grande majorité des tumeurs malignes de la cavité orale. C’est la troisième forme la plus fréquente de cancer de la peau chez cette espèce.
Le comportement biologique du carcinome épidermoïde chez le chat est marqué par une forte invasivité locale. La tumeur a une propension à infiltrer profondément les tissus environnants, notamment le tissu conjonctif sous-jacent et les structures osseuses, une caractéristique particulièrement destructrice dans sa localisation orale. Le potentiel métastatique, c’est-à-dire la capacité à se propager à d’autres organes, varie considérablement selon le type de carcinome. Les formes cutanées sont généralement considérées comme ayant un potentiel métastatique faible à modéré et une progression lente. En revanche, les formes orales et sous-unguéales (situées sous l’ongle) sont plus agressives, avec un risque plus élevé de dissémination aux ganglions lymphatiques régionaux et, plus rarement, aux poumons.
Pour une compréhension clinique et une prise en charge adéquate, il est impératif de distinguer les trois principales localisations du carcinome epidermoide chat, qui dictent la progression de la maladie et les options de traitement :
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Le carcinome épidermoïde cutané : C’est la présentation la plus fréquente. Il se développe quasi exclusivement sur les zones de la peau peu pigmentées et à faible densité de poils qui sont chroniquement exposées aux rayons ultraviolets, comme les pavillons auriculaires (oreilles), les paupières et le planum nasale (la truffe).
Localisation au niveau des oreilles chez un chat au pelage blanc
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Le carcinome épidermoïde oral : Cette forme, localisée dans la bouche, est particulièrement agressive. Son diagnostic est souvent tardif, ce qui assombrit considérablement le pronostic.
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Le carcinome épidermoïde sous-unguéal : Plus rare, il affecte le lit de l’ongle. Sa présentation clinique peut mimer une simple infection, retardant le diagnostic. Une association notable existe avec le “syndrome poumon-doigt”, où la tumeur digitale est en réalité une métastase d’un cancer pulmonaire primaire.
Cette classification n’est pas seulement anatomique ; elle reflète des biologies tumorales fondamentalement différentes. Le carcinome épidermoïde n’est pas une maladie unique mais un complexe de pathologies. Les “solutions efficaces” évoquées dans le titre de cet article s’appliquent principalement aux formes cutanées détectées à un stade précoce, une nuance essentielle pour une communication claire avec les propriétaires et pour l’établissement d’un plan de soins réaliste.
Causes et facteurs de risque
L’étiologie du carcinome épidermoïde chez le chat est un domaine de recherche active qui révèle des mécanismes distincts selon la localisation de la tumeur. Une dichotomie claire existe entre les formes cutanées, principalement liées aux UV, et les formes orales, dont les causes sont multifactorielles.
L’exposition chronique aux rayonnements ultraviolets (UV), et plus spécifiquement aux UVB de longueur d’onde 280–320 nm, est le principal facteur étiologique pour la majorité des carcinomes épidermoïdes cutanés. Le mécanisme moléculaire sous-jacent est bien documenté : les UVB provoquent des dommages directs à l’ADN des kératinocytes, entraînant la formation de dimères de pyrimidine cyclobutaniques et d’autres photoproduits. Ces altérations génétiques, si elles ne sont pas réparées, peuvent conduire à des mutations dans des gènes suppresseurs de tumeurs cruciaux. Le gène p53, gardien du génome, est particulièrement touché ; des mutations de ce gène sont identifiées dans environ 53 % des carcinomes épidermoïdes cutanés félins. Cette défaillance des mécanismes de contrôle cellulaire initie une prolifération anarchique des cellules épithéliales, qui évolue progressivement. Le processus débute souvent par des lésions précurseurs appelées kératose actinique (ou solaire), qui sont des zones de dysplasie épidermique. Sans intervention, ces lésions peuvent évoluer vers un stade de carcinome in situ (stade Tis dans la classification TNM), où les cellules cancéreuses sont confinées à l’épiderme, puis franchir la membrane basale pour devenir un carcinome invasif. Plusieurs facteurs de risque modulent cette pathogenèse. La pigmentation et le pelage jouent un rôle protecteur majeur. Les chats blancs, ou ceux possédant des zones blanches sur la tête, présentent un risque jusqu’à 13 fois plus élevé de développer un cancer de la peau de ce type, en raison de l’absence de mélanine protectrice. Les races comme le Siamois, avec leur patron de couleur spécifique, sont naturellement mieux protégées. Les zones les plus vulnérables sont celles où les poils sont rares : les oreilles, les paupières et le planum nasale. Enfin, l’âge est un facteur déterminant, le carcinome épidermoïde étant une maladie des chats plus âgés, avec un âge médian d’apparition se situant entre 10 et 12,5 ans.
À côté de la forme solaire classique, il existe des carcinomes non liés à l’exposition UV. Le carcinome épidermoïde multicentrique in situ (MSCCa in situ), aussi appelé maladie de Bowen, en est l’exemple principal. Cette forme peut survenir sur des zones de peau pigmentées et poilues, sous la forme de multiples lésions. Son développement est fortement associé à une infection par le papillomavirus félin (Felis catus papillomavirus, FcaPV), en particulier le type FcaPV2. Des types plus rares, comme le FcaPV6, ont également été identifiés, suggérant une diversité virale encore à explorer. L’oncogenèse virale est supposée impliquer des oncoprotéines virales qui dérégulent le cycle cellulaire, un processus souvent trahi par une forte expression de la protéine p16, un marqueur indirect d’infection par un papillomavirus à haut risque.
L’étiologie du carcinome épidermoïde oral est complexe et fait l’objet de recherches actives. Des études rétrospectives plus anciennes ont suggéré des associations avec des facteurs environnementaux comme le tabagisme passif, l’utilisation de certains colliers antiparasitaires et une alimentation majoritairement humide. Cependant, des revues critiques et des études plus récentes nuancent la force de ces liens, qui ne sont pas toujours statistiquement significatifs ou répliqués dans des analyses multivariées. L’inflammation chronique et l’exposition à des toxines environnementales, comme les additifs chimiques alimentaires, sont considérées comme des pistes de recherche importantes.
Le lien causal entre les papillomavirus et le carcinome épidermoïde oral reste controversé et non prouvé. Fait intéressant, des études récentes ont mis en évidence une divergence géographique notable : alors que l’ADN de FcaPV2 est détecté dans une proportion significative de cas dans certaines régions (ex: Taïwan, Italie), il est presque absent dans d’autres (ex: Japon). Cela suggère que son rôle, s’il existe, pourrait être celui d’un cofacteur influencé par des variables régionales, plutôt que celui d’un agent causal universel.
Cette dualité étiologique fait du chat un modèle comparatif exceptionnel pour l’oncologie humaine. Le carcinome épidermoïde cutané du chat blanc est un modèle spontané quasi parfait du cancer de la peau induit par les UV chez les humains à peau claire. Parallèlement, l’étude du carcinome épidermoïde oral félin, avec ses facteurs de risque partagés (tabac, inflammation) et le rôle débattu des virus, offre des perspectives translationnelles précieuses pour la compréhension des carcinomes de la tête et du cou chez l’homme, illustrant parfaitement le concept “One Health”.
Symptômes et diagnostic
La reconnaissance des symptômes du carcinome épidermoïde chez le chat est une étape cruciale qui dépend fortement de la localisation de la tumeur. La présentation clinique varie de manière significative entre les formes cutanées et orales, influençant la précocité du diagnostic et, par conséquent, les chances de succès du traitement.
Pour le carcinome épidermoïde cutané, les lésions initiales sont souvent subtiles et peuvent être facilement manquées ou confondues par les propriétaires avec des blessures mineures comme des égratignures ou des coups. Les premiers signes incluent typiquement un érythème (rougeur), des croûtes, ou une petite plaie qui ne guérit pas. Ces lésions siègent préférentiellement sur les zones à risque : les pavillons des oreilles, les paupières et le planum nasale (la truffe ou le nez). Avec le temps, si aucune intervention n’est réalisée, ces signes discrets progressent pour devenir des plaques ou des nodules ulcérés, croûteux, et parfois prolifératifs, prenant un aspect de chou-fleur.
À l’inverse, les symptômes du carcinome épidermoïde oral sont souvent plus insidieux et ne deviennent évidents qu’à un stade avancé de la maladie. Les signes d’alerte incluent une mauvaise haleine (halitose), une salivation excessive (ptyalisme) qui peut être teintée de sang, des difficultés à s’alimenter (dysphagie), une perte de poids, un gonflement du visage ou de la mâchoire, et la mobilité voire la chute de dents due à l’invasion osseuse par la tumeur. La douleur est un symptôme fréquent, bien que les chats soient connus pour la dissimuler.
La forme sous-unguéale se manifeste par une boiterie, un gonflement du doigt, une douleur locale et la perte de l’ongle. Ces signes peuvent facilement être attribués à une infection, ce qui peut retarder le diagnostic correct.
La démarche diagnostique débute par un examen clinique approfondi. Pour les cas suspects de cancer oral, une sédation ou une anesthésie générale est souvent indispensable pour permettre une inspection complète et sécuritaire de la cavité buccale et évaluer l’étendue de la lésion. Le diagnostic de certitude repose impérativement sur une biopsie tissulaire. Un prélèvement de la tumeur est soumis à une analyse histopathologique, qui seule peut confirmer la nature maligne des cellules et leur invasion des tissus sous-jacents. La cytologie par aspiration à l’aiguille fine peut orienter le diagnostic mais reste souvent insuffisante pour confirmer un carcinome ou le différencier d’une dysplasie sévère. Le diagnostic différentiel est large et doit inclure, selon la localisation, des affections comme le complexe granulome éosinophilique, le pemphigus foliacé, le lupus cutané, des infections fongiques profondes, le fibrosarcome ou encore le lymphome cutané.
Une fois le diagnostic de carcinome épidermoïde confirmé, un bilan d’extension (ou “staging”) est fondamental pour déterminer le stade de la maladie, guider la prise en charge thérapeutique et établir un pronostic précis. Cette évaluation systématique de l’animal repose sur le système de classification TNM (Tumeur, Nœud lymphatique/Node, Métastase) de l’Organisation Mondiale de la Santé, adapté à la médecine vétérinaire. Le bilan complet comprend :
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L’évaluation de la tumeur primaire (T) : L’imagerie avancée, en particulier la tomodensitométrie (CT-scan), est supérieure à la radiographie conventionnelle pour définir précisément l’extension locale de la tumeur et son invasion des structures adjacentes, notamment osseuses, ce qui est critique pour la planification chirurgicale des carcinomes oraux.
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L’évaluation des ganglions lymphatiques régionaux (N) : Une cytoponction ou une biopsie des ganglions de drainage (mandibulaires pour les lésions orales, par exemple) est obligatoire. La palpation seule n’est pas fiable, car des ganglions de taille normale peuvent contenir des métastases.
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L’évaluation des métastases à distance (M) : Des radiographies thoraciques (trois vues) ou un CT-scan thoracique sont réalisés pour rechercher une dissémination du cancer aux poumons ou à d’autres organes.
Tableau 1 : Classification TNM du Carcinome Épidermoïde Cutané Félin (adapté de l’OMS)
Catégorie |
Critères |
T – Tumeur Primaire |
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Tis |
Carcinome in situ |
T1 |
Tumeur ≤ 2 cm de diamètre, superficielle |
T2 |
Tumeur > 2 cm et ≤ 5 cm de diamètre, ou avec invasion minimale |
T3 |
Tumeur > 5 cm de diamètre, ou avec invasion du derme profond ou du sous-cutané |
T4 |
Tumeur envahissant les structures adjacentes (fascia, muscle, os, cartilage) |
N – Ganglions (Nœuds) Lymphatiques Régionaux |
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N0 |
Pas de métastase ganglionnaire |
N1 |
Métastase dans un seul ganglion homolatéral mobile |
N2 |
Métastase dans des ganglions controlatéraux ou bilatéraux mobiles |
N3 |
Métastase dans des ganglions fixés |
M – Métastases à Distance |
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M0 |
Pas de métastase à distance |
M1 |
Présence de métastases à distance |
Ce bilan d’extension rigoureux est la pierre angulaire d’une oncologie moderne et permet d’offrir à chaque chat la stratégie thérapeutique la plus adaptée à son état.
Traitement et soins
La prise en charge du carcinome épidermoïde chez le chat a évolué vers une approche multimodale et stratifiée, où le choix du traitement est dicté par la localisation de la tumeur, son stade TNM, son grade histologique et l’état de santé général de l’animal. L’objectif thérapeutique varie fondamentalement : pour le carcinome épidermoïde cutané, une guérison locale est souvent visée, tandis que pour la forme orale, l’approche est majoritairement palliative, cherchant à prolonger une bonne qualité de vie.
La chirurgie d’exérèse reste la pierre angulaire du traitement pour les lésions cutanées. Une exérèse large, avec des marges de sécurité de 1 à 2 cm de tissu sain autour de la tumeur, est impérative pour minimiser le risque de récidive locale. Des procédures spécifiques comme la pinnectomie (ablation partielle ou totale du pavillon de l’oreille) pour les lésions des oreilles et la planectomie nasale (ablation du planum nasale) pour les lésions de la truffe sont couramment réalisées et peuvent être curatives si elles sont effectuées à un stade précoce. Pour le carcinome épidermoïde oral, la chirurgie est beaucoup plus délicate. Des interventions radicales comme la mandibulectomie (ablation d’une partie de la mâchoire inférieure) ou la maxillectomie peuvent être tentées sur de petites tumeurs situées à l’avant de la bouche, mais elles sont associées à une morbidité post-opératoire significative (difficultés à s’alimenter, salivation excessive) et à un taux de récidive élevé si les marges chirurgicales sont incomplètes. Pour les carcinomes sous-unguéaux, l’amputation du doigt concerné est le traitement de choix.
Plusieurs options thérapeutiques locales, adjuvantes ou alternatives à la chirurgie, ont démontré leur efficacité, en particulier pour les lésions cutanées.
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La radiothérapie est très efficace pour les carcinomes cutanés de petite taille et superficiels, notamment sur le nez et les paupières. La plésiothérapie au Strontium-90, une forme de radiothérapie de contact, est bien tolérée, offre d’excellents résultats cosmétiques et de longs intervalles sans maladie. Pour les tumeurs orales, la radiothérapie est principalement utilisée en mode palliatif, après une chirurgie incomplète ou sur des tumeurs inopérables. Les protocoles (par exemple, 4 séances hebdomadaires de 8 Gy) permettent d’obtenir une survie médiane de 2 à 4 mois.
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La cryothérapie est une excellente option pour les carcinomes in situ ou les carcinomes invasifs très précoces et superficiels (< 1 cm). L’efficacité dépend fortement du protocole (généralement 2 à 3 cycles de congélation-décongélation rapides) et de la localisation. Des taux de réponse complète de l’ordre de 80-85 % sont rapportés, avec des résultats optimaux pour les lésions des pavillons auriculaires et des paupières, et un taux de récidive plus élevé pour celles du planum nasal.
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L’électrochimiothérapie (ECT) est une thérapie moderne et très performante. Elle consiste à administrer un agent de chimiothérapie (généralement de la bléomycine par voie intraveineuse à la dose de 15 000 UI/m²) puis à appliquer des impulsions électriques localisées sur la tumeur. Cette technique augmente drastiquement la pénétration du médicament dans les cellules cancéreuses. L’ECT atteint des taux de réponse objective très élevés (80-100 %) pour les tumeurs cutanées et orales, avec des effets secondaires minimes et une excellente préservation fonctionnelle et esthétique.
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La thérapie photodynamique (PDT) utilise un agent photosensibilisant (appliqué localement ou administré par voie systémique) qui est ensuite activé par une lumière de longueur d’onde spécifique, entraînant la mort des cellules tumorales. Pour les carcinomes superficiels du planum nasale, la PDT montre des taux de réponse complète initiaux élevés (85-100 %). Cependant, le taux de récidive peut être important.
Les thérapies systémiques sont principalement réservées aux formes avancées ou inopérables, notamment orales. La chimiothérapie conventionnelle (carboplatine, doxorubicine) s’est révélée largement inefficace. En revanche, la thérapie ciblée avec le toceranib phosphate (Palladia®), un inhibiteur de tyrosine kinases, représente une avancée notable pour le traitement du carcinome épidermoïde oral inopérable. Bien que non curatif, ce médicament peut prolonger significativement la survie de bonne qualité. Un protocole typique est de 2,5-2,75 mg/kg, trois fois par semaine. Les études montrent une augmentation de la survie médiane de 45 jours (sans traitement) à environ 120-145 jours.
Enfin, les soins de soutien sont un pilier de la prise en charge. La gestion de la douleur est primordiale, en particulier pour les tumeurs orales (par exemple, avec de la buprénorphine). Un soutien nutritionnel, via une sonde d’œsophagostomie, peut être nécessaire pour gérer la dysphagie. Des antibiotiques sont souvent requis pour contrôler les surinfections des lésions ulcérées. Cette palette thérapeutique diversifiée illustre la transition d’une approche unique vers un modèle de décision clinique stratifié, où le vétérinaire choisit la ou les modalités les plus appropriées en fonction d’un diagnostic et d’un bilan d’extension précis pour optimiser le bien être et l’espérance de vie de l’animal.
Tableau 2 : Efficacité Comparative des Principales Modalités de Traitement pour le CE Cutané Félin
Traitement |
Indication Principale |
Taux de Réponse Complète (RC) |
Intervalle Libre de Maladie (DFI) / Survie |
Remarques |
Chirurgie |
Lésions résécables |
Très élevé si marges saines |
DFI médian > 594 jours |
Traitement de choix, curatif si précoce. |
Cryothérapie |
Lésions superficielles < 1-2 cm |
38-80% |
DFI médian de 254 jours à 26.7 mois |
Efficacité dépendante du protocole. Marges non évaluables. |
Radiothérapie (Sr-90) |
Lésions superficielles (nez, paupières) |
Élevé |
Survie médiane de 692-1071 jours |
Excellente option pour les zones difficiles à opérer. |
Électrochimiothérapie |
Lésions cutanées de toute taille |
80-100% |
Survie médiane > 452 jours |
Très efficace, peu invasif, excellent résultat cosmétique. |
Thérapie Photodynamique |
Lésions superficielles du planum nasale |
85-100% |
DFI médian de 157 jours |
Taux de récidive élevé (51% dans une étude). |
Tableau 3 : Protocoles Thérapeutiques et Pronostic pour le CE Oral Félin
Traitement |
Protocole Type |
Survie Médiane (MST) |
Remarques |
Soins Palliatifs Seuls |
Anti-douleurs, antibiotiques |
1.5 – 2 mois |
Qualité de vie comme objectif principal. |
Chirurgie Radicale |
Mandibulectomie / Maxillectomie |
1 – 10 mois |
Morbidité élevée, réservée aux petites tumeurs rostrales. |
Radiothérapie Palliative |
4-6 fractions hebdomadaires (total 24-32 Gy) |
2 – 4 mois |
Améliore le confort dans ~50% des cas. |
Radiothérapie Accélérée |
10-14 fractions sur 1-2 semaines (total ~48 Gy) |
5.8 – 9.9 mois |
Meilleurs résultats mais plus d’effets secondaires. |
Chimiothérapie (conventionnelle) |
Carboplatine, Doxorubicine |
1 – 2 mois |
Inefficace, non recommandée en monothérapie. |
Thérapie Ciblée (Toceranib) |
2.5-2.75 mg/kg, 3x/semaine |
4 – 5 mois |
Prolonge la survie de qualité. Traitement de choix pour les cas inopérables. |
Approche Multimodale |
Chirurgie + Radiothérapie |
Jusqu’à 14 mois |
Meilleur pronostic pour les cas opérables. |
Prévention et détection précoce
La prévention et la détection précoce sont les deux piliers qui modifient le plus radicalement le pronostic du carcinome épidermoïde chez le chat. Alors que la prévention cible principalement la forme cutanée liée au soleil, la détection précoce est capitale pour toutes les formes de la maladie.
La stratégie de prévention la plus efficace contre le carcinome épidermoïde cutané consiste à minimiser l’exposition de l’animal aux rayonnements UV. Cette mesure est particulièrement cruciale pour les chats à haut risque, c’est-à-dire ceux qui ont un pelage blanc ou clair, surtout au niveau de la tête. Les conseils pratiques à fournir aux propriétaires incluent de garder ces animaux de compagnie à l’intérieur durant les heures de plus fort ensoleillement, généralement entre 10h00 et 16h00. Pour les chats qui aiment se prélasser près des fenêtres, l’installation de films anti-UV sur les vitres peut réduire significativement l’exposition aux rayonnements nocifs. L’application d’écrans solaires est une autre mesure préventive. Il est impératif d’utiliser des produits spécifiquement formulés pour les animaux et, plus précisément, sécuritaires pour le chat. Les produits contenant de l’oxyde de zinc ou des salicylates, courants dans les écrans solaires pour humains, sont toxiques pour les chats s’ils sont ingérés lors du toilettage. Il faut donc privilégier des formules contenant des filtres physiques comme le dioxyde de titane, et les appliquer sur les zones les moins accessibles au léchage, telles que l’extrémité des oreilles et le dessus du nez.
La détection précoce est sans conteste le facteur le plus important pour améliorer les chances de guérison et la survie. Un traitement initié sur une lésion de petite taille est plus simple, moins invasif, moins coûteux et offre un bien meilleur pronostic. Il est donc essentiel d’éduquer les propriétaires à inspecter régulièrement la peau de leur chat, en particulier sur les zones à risque du visage. Toute anomalie cutanée, comme une croûte qui persiste, une plaie qui ne cicatrise pas, ou quelque chose qui ressemble à une irritation récurrente, doit motiver une consultation vétérinaire sans délai. De même, un examen clinique annuel ou bi-annuel par un vétérinaire, incluant une inspection minutieuse de la peau et de la cavité orale, est un élément clé de la détection précoce. Pour le carcinome épidermoïde oral, dont les symptômes sont insidieux, cet examen bucco-dentaire régulier, parfois sous sédation chez les animaux plus âgés, peut permettre de découvrir une tumeur à un stade où une intervention est encore envisageable.
Carcinome épidermoïde et cancer de la peau
Le carcinome épidermoïde s’inscrit dans un spectre plus large de tumeurs cutanées félines. Pour le clinicien, savoir le positionner par rapport à d’autres néoplasmes courants est essentiel pour établir un diagnostic différentiel pertinent dès la présentation initiale d’une lésion cutanée ou d’une masse. Bien que la confirmation histopathologique soit indispensable, certains aspects cliniques peuvent orienter la suspicion.
Le fibrosarcome, par exemple, est une autre tumeur maligne fréquente. Il se présente typiquement comme une masse ferme, nodulaire, située dans le tissu conjonctif sous-cutané. Contrairement au carcinome épidermoïde cutané qui est souvent ulcéré en surface, le fibrosarcome est généralement recouvert d’une peau intacte, du moins au début. Sa localisation est aussi un point distinctif : il est fréquemment associé aux sites d’injection (vaccins, autres médicaments), notamment dans la région interscapulaire, bien qu’il puisse aussi apparaître dans la cavité orale, où il est le deuxième cancer le plus fréquent après le carcinome épidermoïde.
Le mastocytome, ou tumeur à mastocytes, peut également être confondu avec un carcinome épidermoïde. Il se manifeste souvent sous la forme de nodules cutanés uniques ou multiples, surélevés et parfois érythémateux, localisés préférentiellement sur la tête et le cou. Certaines chattes de race siamoise montrent une prédisposition. La cytologie par ponction à l’aiguille fine est ici particulièrement utile, car elle révèle la présence caractéristique de mastocytes avec leurs granules spécifiques, permettant une différenciation rapide.
Enfin, la tumeur basocellulaire, bien qu’étant le cancer de la peau le plus courant chez le chat, a un comportement généralement bénin. Elle se présente comme une masse ferme, bien délimitée, souvent pigmentée, et n’a pas la tendance invasive et ulcérative du carcinome épidermoïde.
Au-delà de son importance clinique en médecine vétérinaire, le carcinome épidermoïde félin constitue un modèle d’étude translationnel de grande valeur pour l’oncologie comparée. Le carcinome épidermoïde cutané induit par le soleil chez le chat blanc est un modèle spontané extraordinairement fidèle du même cancer chez les humains à peau claire. Les mécanismes moléculaires, notamment les mutations du gène p53 induites par les UV, sont conservés entre les deux espèces. De même, le carcinome épidermoïde oral du chat partage de nombreuses caractéristiques avec les carcinomes de la tête et du cou (HNSCC) chez l’homme : des facteurs de risque environnementaux similaires (fumée de tabac, inflammation chronique) et des voies de signalisation moléculaire dérégulées communes (surexpression du récepteur de l’EGF, mutations de p53). L’étude de cette maladie chez nos animaux de compagnie offre donc des perspectives uniques pour tester de nouvelles thérapies et mieux comprendre la biologie de ce type de cancer, dans une approche “One Health” bénéfique à la fois pour la santé animale et humaine.
Conclusion et Perspectives de Recherche
Le carcinome épidermoïde chez le chat est une pathologie complexe dont la prise en charge repose sur une compréhension fine de ses différentes formes cliniques. La distinction entre le carcinome épidermoïde cutané, souvent curable avec un diagnostic précoce et un traitement local agressif, et la forme orale, au pronostic sombre, est fondamentale. L’arsenal thérapeutique s’est considérablement enrichi, passant d’une approche quasi exclusivement chirurgicale à des options multimodales incluant des thérapies locales avancées comme l’électrochimiothérapie et la cryothérapie, ainsi que des thérapies systémiques ciblées qui offrent de nouvelles perspectives pour les formes inopérables. Le succès de la prise en charge reste cependant intimement lié à la précocité de l’intervention.
Malgré les progrès, de nombreuses questions subsistent, ouvrant des pistes de recherche prometteuses pour l’avenir.
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Étiologie du Carcinome Épidermoïde Oral : Des études épidémiologiques prospectives et multicentriques sont nécessaires pour mieux quantifier les facteurs de risque (alimentation, toxines environnementales, rôle du microbiome oral) et identifier des stratégies de prévention efficaces.
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Rôle des Papillomavirus : Il est impératif de clarifier les raisons des divergences géographiques dans la détection de FcaPV dans les carcinomes oraux. Des recherches plus approfondies sur les mécanismes d’oncogenèse virale dans les formes cutanées pourraient ouvrir la voie à des thérapies antivirales ou à la vaccination préventive.
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Optimisation des Thérapies Locales : Des essais cliniques prospectifs comparant directement les thérapies locales avancées (électrochimiothérapie, thérapie photodynamique, radiothérapie stéréotaxique) sont requis pour établir des protocoles optimaux et standardisés en fonction du stade et de la localisation de la tumeur.
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Thérapies Ciblées et Immunothérapie : L’exploration de nouvelles cibles moléculaires au-delà de l’EGFR (comme les voies WEE1, uPAR ou Hedgehog) et le développement d’immunothérapies spécifiques au chat (inhibiteurs de points de contrôle, vaccins thérapeutiques) représentent l’avenir du traitement des formes avancées.
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Biomarqueurs Pronostiques et Prédictifs : L’identification de marqueurs moléculaires (génétiques ou protéiques) fiables permettrait de prédire le comportement d’une tumeur et sa réponse aux différents traitements. Une telle avancée conduirait à une médecine véritablement personnalisée, améliorant l’espérance de vie et le bien être des chats atteints de cette maladie.
La poursuite de ces axes de recherche, souvent dans le cadre d’une approche comparative “One Health”, est essentielle pour continuer à améliorer la prise en charge de ce cancer fréquent et pour renforcer le rôle du chat comme modèle pertinent pour l’oncologie humaine.
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