Un cas de pododermatite à ankylostomes chez un chien

Un chien Husky de 18 mois nous est présenté pour une pododermatite hyperkératosique et croûteuse évoluant depuis plusieurs semaines et en aggravation.

Commémoratifs

Le chien a été adopté dans un refuge animalier du Loiret un mois auparavant : l’historique de l’animal avant son arrivée au refuge – où il a séjourné 5 semaines – n’est pas connu. Dès l’adoption il présente une locomotion douloureuse associée à une atteinte podale inflammatoire. Il n’a reçu aucun antiparasitaire interne ou externe.

Devant l’aggravation lésionnelle les propriétaires consultent en urgence un dimanche : une dermatose auto-immune est alors suspectée donnant lieu à une injection de corticoïdes (dexaméthasone, posologie non connue) associée à une antibiothérapie orale (amoxycilline et acide clavulanique) et à une antisepsie locale.

Le chien nous est présenté le surlendemain sans amélioration franche.

Anamnèse

L’animal est amaigri mais en bon état général, il présente des épisodes de diarrhées récidivants associés à un appétit important. L’examen à distance montre des zones alopéciques diffuses sur les 4 membres ainsi qu’un inconfort au déplacement avec suppression d’appui temporaire

L’examen rapproché des coussinets met en évidence des lésions similaires croûteuses, des fissurations parfois profondes, voire des ulcérations. Selon les pieds, la gravité clinique est variable. Les parties distales des 4 membres présentent des plaques alopéciques, érythémateuses, squameuses parfois croûteuses essentiellement sur les zones en contact avec le sol. Les métatarses sont particulièrement concernés, et tous les coussinets sont atteints indifféremment. (cf photos 1 à 5)

1

2

3

4

5

Photos 1 à 5 : hyperkératose, érosions, érythème, alopécie sur l’ensemble des coussinets et des parties distales des 4 membres

Le léchage et les mordillements sont fréquents, la palpation des coussinets est douloureuse

Aucune autre atteinte dermatologique n’est visible sur le reste de l’épiderme. Une éosinophilie discrète est présente sur le bilan hématologique, mais sans atteinte de la ligne rouge.

Le bilan clinique est donc une pododermatite prurigineuse hyperkératosique, croûteuse et ulcérative quadripodale, associée à une dermatose alopécique, squamo-croûteuse des tarses et des carpes d’évolution subaiguë.

Hypothèses diagnostiques

Les principales hypothèses diagnostiques sont une pododémodécie, une pododermatite bactérienne ou fongique, une dermatite de contact, une origine carentielle en zinc ou alimentaire type « generic dog food and skin disease », une dermatite liée à la pénétration intradermique de parasites (strongles, ankylostomes), enfin moins probablement un pemphigus foliacé de localisation podale

Examens complémentaires et traitement initial

Les examens microscopiques immédiats (raclages, cytologies, trichogrammes) sont normaux ou non spécifiques, en particulier absence de parasites, mais présence de cocci et d’images de phagocytose bactérienne.

De multiples biopsies sur les coussinets et les zones érythémato-croûteuses sont donc réalisées.

Dans l’attente des résultats de la coproscopie (laboratoire DPM Laboniris NANTES), une vermifugation classique avec une milbémycine (Milbactor) est initiée, associée à une antibiothérapie topique (acide fusidique Forudine ) ainsi qu’à un traitement symptomatique de la diarrhée (probiotiques et smectite). Un traitement antiparasitaire externe (afoxolaner Nexgard) est également prescrit.

L’examen histologique met en évidence une pododermatite ulcérée nécrosante à nécrolytique, périvasculaire superficielle exsudative marquée, avec des lésions d’hidrosadénite et de folliculite à forte composante éosinophilique, en surtout en présence d’éléments vermiformes dans la lumière de canaux excréteurs de glandes sudorales atrichiales (portion intra-épidermique et dermique superficielle). (photos 12 à 16)

13 x630 3

Photos 6 et 7: infiltrat inflammatoire nettement vasculo-exsudatif et centré sur les structures folliculaires et les glandes sudorales épitrichiales

 

14

Photo 8: infiltrat : forte composante éosinophilique entremêlée de macrophages, de neutrophiles et de rares cellules lympho-plasmocytaires

 

15 x200 2

16x630 2

Photos 9 et 10:  présence d’éléments figurés vermiformes dans la lumière de canaux excréteurs de glandes sudorales atrichiales inflammatoires (portion intra-épidermique et dermique superficielle).

 

La conclusion est une pododermatite à némathelminthes ankylostomatidés ou rhabditidés avec infection bactérienne secondaire.

Prise en charge secondaire

La coproscopie quantitative – par méthode de flottation au sulfate de magnésium, Laboniris NANTES – confirme la présence d’œufs d’Uncinaria stenocephala associée à une détection positive pour l’antigéne de Giardia et pour celui de Cryptosporidium canis (méthode immunochromatographique).

Le diagnostic définitif est une dermatite et pododermatite à ankylostomes due à Uncinaria stenocephala.

Les ankylostomes n’étant pas sensibles aux avermectines, le traitement est donc modifié au profit d’une nouvelle vermifugation adaptée aux recommandations de l’ESCCAP* avec du (febendazole 1500 mg/j pendant 5 jours (Panacur Ò) et une association febantel + pyrantel (Drontal Ò) deux fois à un mois d’intervalle.

Au premier contrôle à J+15, juste avant la prescription de la 2ème séquence de vermifugation, une amélioration partielle est observée avec diminution de l’érythème et de l’hyperkératose, des érosions, et début de cicatrisation des ulcérations. (photos 6 à 10)

6

7

8 1

9 1

10

Photos 11 à 15 : disparition de l’inflammation, repousse du poil, cicatrisation des fissurations ; noter la diminution de la kératose

 

A J+6 semaines, 20j après le 2ème protocole, l’amélioration se confirme nettement avec cicatrisation quasi-complète des lésions podales et des coussinets. Le propriétaire joint par téléphone confirme la guérison totale. (photo 11).

11

Photo 16 : aspect quasi-normal des coussinets après 6 semaines (photo du propriétaire)

Les signes digestifs ont également disparu.

Discussion

Le diagnostic différentiel des pododermatites du jeune chien est parfois difficile, la symptomatologie étant équivoque, en particulier lors d’évolution chronique. Des étiologies aussi bien infectieuses, parasitaires, allergiques (notamment de contact), carentielles voire immunes sont à considérer.

Dans notre cas, l’atteinte exclusivement podale et appendiculaire distale éliminait de facto une maladie systémique ou une dermatose cliniquement extensive. L’absence de commémoratifs sur l’apparition des signes cliniques et sur le mode de vie de l’animal (arrivée dans le refuge avec les lésions déjà présentes) n’a pas aidé à objectiver une étiologie précise.

Seul l’examen histopathologique a permis un diagnostic de certitude par visualisation des parasites dans le derme, des raclages réitérés n’ayant pas permis de mettre en évidence les larves de nématodes.

Plusieurs espèces parasitaires sont à considérer en l’absence d’une histologie totalement spécifique et bien entendu avant une coprologie apportant un diagnostic de certitude lors d’identification formelle (communication personnelle du Dr F. DEGORCE) :

Pelodera strongyloides : nématode rhabditidé saprophyte colonisant accidentellement la peau et plus facilement visualisable par raclages cutanés.

Rhabditis axei : nématode rhabditidé probablement très proche du précédent

Strongyloïdes stercoralis : nématode rhabditidé parasite obligatoire

Ancylostoma caninum : nématode ancylostomatidé, parasite obligatoire

Uncinaria stenocephala : nématode ancylostomatidé, parasite obligatoire

Deux espèces d’ankylostomes sont présentes en Europe chez le chien : Ancylostoma caninum et Uncinaria stenocephalaAncylostoma caninum est observée principalement en zones tempérées (Europe centrale et du sud), et Uncinaria stenocephala dans régions du Nord de l’Europe car il tolère des climats plus froids.

Cycle évolutif du parasite

Les ankylostomes sont des nématodes parasites de l’intestin grêle chez le chien, le chat et le renard. Les adultes sont observés dans l’intestin grêle puis leurs œufs sont éliminés dans les selles. Ces œufs éclosent dans le milieu extérieur et les larves libres se développent jusqu’au stade infestant (L3). L’infestation d’un nouvel hôte se fait soit par ingestion des larves infestantes soit par pénétration transcutanée des larves qui se développent en nématodes adultes en 2 à 3 semaines (période prépatente). Les chiots peuvent se contaminer par le lait lors de la tétée maternelle.

Les ankylostomes, principalement Ancylostoma spp., sont également capables de traverser la peau et de gagner ensuite l’intestin. Il est peu probable que cette voie d’infestation soit importante pour U. stenocephala.

L’infestation est plus fréquente chez l’animal ayant accès à l’extérieur (aires d’exercice en terre battue, chenils mal entretenus, litières végétales, balades en campagne…), un mode de vie rural ou chasseur, et proximité d’une faune vulpine. Les renards sont en effet infestés par Uncinaria stenocephala et source de contamination pour l’espèce canine.

En pratique, Uncinaria stenocephala est certes à l’origine de dermatites mais son cycle est souvent interrompu lors de la migration à travers le revêtement cutané et les larves sont plus fréquemment mises en évidence dans le tissu dermique, en particulier dans les canaux excréteurs des glandes sudorales atrichiales.

A contrario, lors d’ankylostomose, l’histopathologie met plutôt en évidence une trace inflammatoire (éosinophilie tissulaire) signe de « lutte » de l’organisme contre le parasite que la présence de larves elles-mêmes. Celles-ci qui migrent en effet rapidement dans la circulation sanguine via le cœur droit, les poumons puis sont dégluties dans l’intestin grêle.

(Communication personnelle du Pr P. BOURDEAU)

Signes cliniques de l’infestation larvaire

Le passage transcutané est controversé pour Uncinaria, contrairement aux ankylostomes, et est donc considéré comme rarement efficace. Il est probable que les larves s’arrêtent dans le derme, provoquant peu de réactions de défense immunitaire, et resteraient donc « bloquées ».

Les atteintes cutanées sont observées sur les coussinets et toutes les parties cutanées en contact avec le sol chez chien et le chat, y compris la peau de l’abdomen. Ces lésions sont provoquées par la migration des larves dans le tissu sous-cutané et par les réactions inflammatoires qu’elles entraînent. Les stades L3 pénètrent par des zones d’effraction cutanée ou parfois par les follicules pileux. Elles cheminent ensuite entre les couches épidermiques pour arriver dans le derme où elles rencontrent peu de résistance.

Dans ce cas présenté ici, les arguments cliniques, épidémiologiques corroborent le résultat de l’histopathologie

Les signes cliniques sont de l’érythème, des pertes de poils, des papules, puis lors de chronicité un épaississement cutané et une hyperkératose des coussinets, de l’œdème des parties distales des membres, voire des érosions exsudatives. Les atteintes des griffes sont possibles avec anomalies morphologiques (onychogryphose), fissuration (onychoschisie) voire fracture (onychorrhexie) et parfois chute (onychomadèse), compliquant le diagnostic différentiel. Ces lésions sont variablement mais systématiquement prurigineuses et même parfois douloureuses

Les infections secondaires bactériennes sont fréquemment associées, d’autant plus que le milieu environnemental est fréquemment humide, boueux, à l’origine d’un cercle vicieux d’aggravation clinique entretenu par le léchage et la macération.

Les signes généraux sont des diarrhées parfois hémorragiques, de l’anémie eventuellement mortelle chez le chiot, et de l’amaigrissement. Les atteintes multi-parasitaires sont possibles comme dans notre cas, où une giardiose et une cryptosporidiose étaient associées, même si leur rôle pathogène est ici mal déterminé, Cryptosporidium étant davantage un marqueur d’immunité intestinale déficiente.

Traitement

Si l’identification précise des parasites par coprologie le permet, la thérapeutique sera anthelminthique (benzimidazolés ou lactones macrocycliques pour les parasites obligatoires), et febendazole lors d’ankylostomose (Uncinaria sp.) ou de strongyloïdose.

Ces vermifugations doivent ensuite être pérennes si le mode de vie de l’animal ne peut être modifié. Il est d’ailleurs probable que des cas identiques guérissent et passent inaperçus suite à des protocoles de vermifugation à large spectre menés selon les recommandations officielles.

Pour Pelodera des soins topiques sont en général suffisants.

Enfin, la prise en charge environnementale est fondamentale lorsqu’elle est possible, avec éviction drastique des sites de couchages à risque et le nettoyage voire la destruction des litières contaminées, la limitation de l’humidité au sol dans les chenils des chiens de chasse ou de collectivités canines.

En conclusion, il s’agit d’une étiologie inhabituelle de pododermatite quadripodale sans atteinte à distance chez un jeune chien adopté récemment en refuge, d’historique inconnu, et où l’histopathologie a été déterminante.

Remerciements à Frédérique DEGORCE pour l’histopathologie et les clichés et au Pr Patrick BOURDEAU pour ses conseils avisés.

*L’ESCCAP (l’European Scientific Counsel Companion Animal Parasites) ou Comité Scientifique Européen d’études des Parasites des Animaux de Compagnie) est une association qui a pour but de diffuser et de promouvoir des recommandations européennes relatives au diagnostic et au traitement des maladies parasitaires et fongiques des animaux de compagnie et du cheval. Sont concernées aussi bien les parasites directs que les protozooses parasitaires internes de nombreuses espèces animales (chien, chat, NAC, cheval).

(source site internet ESCCAP https://www.esccap.fr)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut