Immunothérapie spécifique chez un chat atteint de syndrome atopique cutané félin

Le syndrome atopique cutané félin, anciennement appelé dermatite atopique féline ou dermatite par hypersensibilité non liée aux puces ni à l’alimentation, est une dermatose très fréquente, représentant près de 30% des dermatoses prurigineuses chez le chat

Thomas Brément

*DV, Dip.ECVD , Vet’Dermathome, 37510, Villandry,

Clinique vétérinaire TouraineVet, 37210 Rochecorbon

vetdermathome@yahoo.com

Introduction :

Le syndrome atopique cutané félin, anciennement appelé dermatite atopique féline ou dermatite par hypersensibilité non liée aux puces ni à l’alimentation, est une dermatose très fréquente, représentant près de 30% des dermatoses prurigineuses chez le chat. Elle se caractérise cliniquement par 4 grands syndromes dermatologiques [1, 2]: l’alopécie auto-induite, le complexe granulome éosinophilique, la dermatite miliaire ou encore le prurit cervico-facial. Le diagnostic s’obtient à l’issue d’une démarche nécessairement rigoureuse explorant et excluant toutes les autres causes de prurit ou d’hypersensibilité (ectoparasitoses, hypersensibilité aux piqûres de puce, hypersensibilité alimentaire…) [3] et sa prise en charge médicale au long court repose essentiellement sur l’utilisation de traitements immunomodulateurs (glucocorticoïdes ou ciclosporine) [4]. L’immunothérapie spécifique, ou désensibilisation (dans cet article, nous parlerons plutôt d’hyposensibilisation) est communément utilisée lors de la prise en charge de la dermatite atopique canine mais peu mise en valeur chez le chat en dermatologie vétérinaire. L’intérêt de cette thérapie est illustrée dans ce cas de syndrome atopique cutané félin sévère réfractaire à de nombreux traitements médicaux.

Cas clinique :

Chat européen femelle stérilisée d’âge inconnu (jeune adulte), présentée en consultation pour un historique de plaques éosinophiliques récidivantes tous les mois et demi depuis 1 an (cf.photo 1 et 2), répondant à l’administration de glucocorticoïdes longue action.

Photo 2 J0 2

Photo 1 J0

Photo 1 et 2 : plaques éosinophiliques étendues à J0 (credit : T. Brément)

 

Les traitements antiparasitaires sont effectués mensuellement avec une isoxazoline (lotilaner non administré avec un bol alimentaire) et un premier régime d’éviction alimentaire à base de protéines hautement hydrolysées n’a pas permis de prévenir les récidives (l’interrogatoire du propriétaire a cependant révélé qu’il n’était pas strict). L’examen dermatologique couplé à des examens cytologiques révèle la présence de plaques éosinophiliques compliquées d’une pyodermite superficielle bactérienne et d’une alopécie auto-induite touchant l’abdomen ventral, la face interne des cuisses et les doigts des membres postérieurs.

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Discussion :

Ce cas clinique ne représente pas un réel challenge sur le plan diagnostic mais permet d’illustrer l’intérêt de recourir à la réalisation de tests allergologiques pour proposer un protocole d’immunothérapie spécifique (ITS). Dans le cas présenté ici, la patiente nécessitait le recours régulier, voire permanent, à une prise en charge médicale lourde et/ou associée au long court à de sérieux effets secondaires indésirables. L’objectif était donc ici d’obtenir un effet d’épargne médicamenteux et sécurisant à long terme.

L’immunothérapie spécifique est actuellement le seul traitement étiologique permettant d’agir directement sur le mécanisme pathogénique responsable des signes cliniques lors de dermatite atopique chez le chien [4, 5]. L’objectif est de moduler la réponse immunitaire de l’individu en augmentant le nombre de cellules T régulatrices, en redirigeant la réponse spécifique médiée par les IgE vers une réponse protectrice médiée par des IgG et en inhibant le recrutement et la fonction des éosinophiles, basophiles et mastocytes [5, 6]. Chez le chat, une étude montre la diminution du nombre d’éosinophiles dans le contenu récupéré par lavage broncho-alvéolaire de chats asthmatiques ayant fait l’objet d’une ITS [7]. Aucune étude n’a été menée chez le chat atteint de syndrome atopique cutané à ce sujet.

L’ITS se met en place à partir du résultat des tests allergologiques cutanés (intradermiques) ou sérologiques. Plusieurs études ont démontré que ces tests, notamment sérologiques, pouvaient se révéler positifs chez des chats sains, ayant fait le lit d’un fondement selon lequel ces tests sont sans intérêt chez cette espèce. Afin d’augmenter la spécificité et la sensibilité de ces tests, il convient de sélectionner selon des critères très stricts les chats sur lesquels ils sont réalisés (exclusion de toute dermatose parasitaire et allergique autre qu’environnementale, et des dermatoses pouvant mimer les signes cliniques d’une hypersensibilité, ces derniers étant eux-mêmes peu spécifiques). Une fois la population recrutée, l’interprétation de la pertinence des résultats se base sur l’analyse de l’historique de la maladie, du contexte et du milieu de vie du patient afin d’identifier les sensibilisations spécifiques des réactions non spécifiques [8].

Chez le chat, les réponses sont souvent très transitoires et difficiles à lire, un protocole utilisant la fluorescéine, injectée par voie intraveineuse, permet d’optimiser la lecture de l’examen, sans effet secondaire à craindre, un seul cas d’anaphylaxie ayant été rapporté dans la littérature [9, 10]. Ce protocole a été utilisé ici.

Chez le chien, une étude rétrospective très récente menée sur une très large cohorte (664 chiens atoppiques) a montré que l’efficacité de l’immunothérapie sur les manifestations cliniques et le score médicamenteux. Une amélioration jugée excellente (disparition des signes cliniques et du besoin médicamenteux) a été observée dans 31.5% de cas, bonne (amélioration des scores cliniques et médicamenteux > 50%) dans 28,5% des cas et mauvaise (<50% d’amélioration) dans 40,1% des cas [11]. Cependant, les critères de suivi dans cette étude reposent sur des critères propres à chaque investigateur, sans score réellement chiffrés ni tenir compte des traitements conservateurs potentiellement utilisés en parallèles de la désensibilisation. Les résultats doivent donc être interprétés prudemment. La littérature souligne également l’efficacité de l’ITS dans la gestion des chats atteints de syndrome atopique cutané avec un effet bénéfique observé dans 45% à 75% des individus, soit des chiffres comparables à ceux observés chez le chien souffrant de dermatite atopique [4]. L’amélioration s’objective par la diminution significative des scores de prurit et clinique. Cependant, l’interprétation de telles études reste difficile car les critères d’évaluation demeurent flous et souvent subjectifs voire non détaillés. Dans le cas présenté ici, l’ITS s’accompagne d’un net effet d’épargne médicamenteux (disparition du besoin en traitement symptomatique), un aspect rarement évoqué dans la littérature. Un seul papier, non publié, mentionne une excellente réponse à l’ITS avec disparition du besoin médicamenteux chez un quart des 29 chats traités [12]. Plus récemment, une étude rétrospective contrôlée, menée par une équipe de 4 vétérinaires dermatologues français, a été présentée au 33ème congrès européen de dermatologie vétérinaire [13]. Dans cette étude menée sur 89 chats atteints de syndrome atopique cutané, les 26 patients pour lesquels une période de recul d’un an d’hyposensibilisation était disponible ont bénéficié d’un effet d’épargne statistiquement significatif (par rapport à un groupe contrôle de 30 chats atopiques non désensibilisés) en molécules immunomodulatrices (diminution d’au moins 50%, jusqu’à 100% pour près de 25% des patients) [13]

Dans le cas présenté ici, aucun traitement concomitant n’a été mis en place, laissant suggérer que le protocole utilisé est responsable à lui-seul de la réponse positive observée. Un seul protocole existe chez le chat en France (protocole par voie injectable sous-cutané, à dose croissante…). L’immunothérapie apparaît donc comme une option intéressante sur le plan d’épargne médicamenteux et à proposer notamment chez des patients pour lesquels une prise en charge médicale peut être contre-indiquée (ex : glucocorticoïdes et diabète…)

Références

[1] BOURDEAU (P), FER (G), “Characteristics of the 10 most frequent feline skin disease conditions seen in the dermatology clinic at the National Veterinary School of Nantes”, Vet Dermatol, 2004, 15, pages 41-69.

[2] SCOTT (DW) et coll., “Feline dermatology at Cornell University: 1407 cases (1988–2003)”, J Feline Med Surg., 2013, 15, pages 307-16

[3] BREMENT (T), BOURDEAU (P), BRUET (V), « Les dermatoses par hypersensibilité chez le chat : épidémiologie, clinique, diagnostic et thérapeutique”, Le point vétérinaire, 2019, n°392

[4] MUELLER (RS) et coll., “Treatment of the feline atopic syndrome – a systematic review”, Vet Dermatol, 2021, 32, pages 43-e8

[5] Mueller RS. Update on Allergen Immunotherapy. Vet Clin North Am Small Anim Pract 2019;49:1–7.

[6] OLIVRY (T) et coll., “Treatment of canine atopic dermatitis: 2015 updated guidelines from the International Committee on Allergic Diseases of Animals (ICADA)”,  BMC Vet Res., 2015, 11, page 210.

[7] REINERO (C) et coll., “Beneficial cross-protection of allergen specific immunotherapy on airway eosinophilia using unrelated or a partial repertoire of allergen(s) implicated in experimental feline asthma”, Vet J, 2012, 192, pages 412–6.

[8] OLDENHOFF (WE), MORIELLO (KA), “Diagnostic investigation of the allergic feline”, In :  Veterinary Allergy, Ed. Chiara Noli, Aiden P. Foster, Wayne Rosenkrantz, Wiley Blackwell, 2014, p.223-227

[9] KADOYA-MINEGISHI (M), “The use of fluorescein as a contrast medium to enhance intradermal skin tests in cats”, Aust Vet J, 2002, 80

[10] DAVIDSON (MG) et coll., “Anaphylaxis associated with intravenous sodium fluorescein administration in a cat”, Prog Vet Comp Ophthalmol, 1991, 1, pages 127-128

[11] FENNIS (EEM) et coll., “Efficacy of subcutaneous allergen immunotherapy in atopic dogs: A retrospective study of 664 cases”, Vet Dermatol, 2022, DOI: 10.1111/vde.13075

[12] BETTENAY (SV), “Response to hyposensitization in 29 atopic cats”, In : Kwochka KW, Willemse A,von Tscharner C eds. Advances in Veterinary Dermatology, 3. Oxford, UK : Butterworth/Heinemann, 1998, pages 517-518

[13] BREMENT (T), VIAUD (S), VIDEMONT DREVON-GAILLOT (E), BENSIGNOR (E), “Results of intradermal testing and effect of specific allergen immunotherapy on medication needs in cats with atopic skin syndrom : 89 cases”, Vet Dermatol, 2022, 33 (6), p490

 

 

 

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