Les pollens d’arbres et leurs allergènes

Je vais poursuivre mes mises à jour sur les différentes catégories d’allergènes dans ce long bulletin. Après avoir parlé des pollens de graminées et des herbacées, je vais maintenant me concentrer sur ceux des arbres. Comme je l’ai déjà fait, je vais d’abord passer en revue les arbres importants pour les allergies humaines avant de passer à leur principale famille d’allergènes, puis je terminerai avec les renseignements pertinents pour les animaux allergiques. Enfin, les « conséquences cliniques » terminent chaque article de cette série.

Thierry Olivry

Thierry Olivry, DrVet, PhD, DipECVD, DipACVD

Professeur-chercheur en immunodermatologie

NC State University College of Veterinary Medicine, Raleigh, Caroline du Nord, États-Unis

Conseiller scientifique et consultant en dermatologie et allergie

Nextmune, Stockholm, Suède

Arbres allergéniques pour l’Homme

Contrairement aux mauvaises herbes mal définies, nous savons tous reconnaitre les arbres, il n’est donc pas nécessaire de les décrire davantage!

Les arbres allergéniques sont présents dans le monde entier, mais principalement dans les climats tempérés, tandis que, dans les zones tropicales, les allergies induites par le pollen des arbres sont particulièrement absentes. Dans les régions tempérées, les principaux arbres allergéniques appartiennent à quatre ordres principaux, les Fagales, Lamiales, Protéales, et Pinales ; dans les zones subtropicales, il faut quand même y ajouter les Fabales, qui comprennent le mesquite (Psoropsis juliflora) et Gulmohar (Peltophorum pterocarpum).

 

Fagales

Dans l’hémisphère nord, les principaux arbres allergéniques appartiennent à l’ordre des Fagales dont deux de ses sept familles, les Betulacées (avec l’Alnus [aulne], les Betula [bouleau], les Carpinus [charme], les Corylus [noisetier], et les Ostrya [charme-houblon]) et les Fagacées (Fagus [hêtre], Castanea [châtaignes] et Quercus [chênes]) sont particulièrement importants. Certains arbres de l’ordre des Malpighiales libèrent également des pollens allergéniques.

Un haut degré de réactivité croisée allergénique existe chez les Fagales, les arbres allergéniques les plus puissants étant le bouleau, suivi par l’aulne et le noisetier.

Il y a un cycle naturel de floraison dans cet ordre, commençant d’abord avec la pollinisation de l’aulne et du noisetier (Décembre à Avril), continuant avec le bouleau, le charme, et le houblon-charme, et finissant avec les Fagacées au printemps (chêne et hêtre) au début de l’été (châtaignier).

Ce qui intéresse particulièrement les quelque 100 millions de patients humains qui souffrent d’allergie au bouleau (environ 20 % de tous les humains allergiques!) est le moment de sa pollinisation, qui se propage de la fin mars en Europe occidentale à la mi-mai dans les pays Baltes et

en Scandinavie. La libération de pollen est la plus élevée dans les trois semaines suivant le début de la floraison, et la durée de la saison de pollinisation dépend, évidemment, des conditions météorologiques locales!

 

Lamiales

La famille des Oléacées comprend les seuls arbres allergéniques de l’ordre des Lamiales. Dans cette famille il y a quatre arbres avec des allergènes officiellement reconnus pour l’Homme : le frêne européen (Fraxinus excelsior), le troène (Ligustrum vulgare), l’olivier (Olea Europea), et le lilas commun (Syringa vulgaris); comme pour Fagales, il y a une forte réactivité croisée entre leurs allergènes principaux respectifs (voir la section suivante). La saison de pollinisation des Oléacées s’étend d’avril à juin dans les régions plus chaudes; celle du frêne est un peu semblable à la floraison du bouleau. Les principaux arbres allergéniques sont l’olivier en région Méditerranéenne et le frêne en Europe centrale.

 

Protéales

Deux arbres de la famille des Platanacées, le platane de Londres (Platanus acerifolia, un hybride du sycomore américain Platanus occidentalis) et le platane oriental (Platanus orientalis), sont actuellement les seuls arbres allergéniques reconnus de l’ordre des Protéales. Les platanes sont omniprésents dans l’hémisphère Nord, et en raison de leur résistance à la pollution, ils délimitent beaucoup de rues et de routes en Europe. Les Platanacées ont une saison courte, intense et riche en pollen en mars et en avril; jusqu’à 20% des humains exposés finissent par se sensibiliser aux allergènes de Platanus.

 

Pinales

L’ordre de Pinales (anciennement Conifèrales) contient sept familles, dont les Cupressacées représentent la seule famille qui comprend des genres allergéniques officiellement reconnus : Chamecyparis (cyprès japonais), Cryptomeria (cèdre japonais), Cupressus (cyprès), et Juniperus (genévriers et cèdres). Les Cupressacées sont réparties dans tout l’hémisphère Nord et prédominent en Scandinavie, dans les pays Baltes, dans l’Arctique et dans les régions montagneuses. En revanche, les cyprès de la Méditerranée (Cupressus sempervirens) et de l’Arizona (Cupressus Arizonica) sont les arbres allergéniques les plus puissants dans les climats plus chauds. Le cyprès et le cèdre japonais sont les « délinquants » les plus notoires et les plus répandus au Japon.

La saison de pollinisation des Cupressacées dure environ un mois, et elle varie d’année en année entre janvier et avril. Malheureusement, en raison de la réactivité croisée élevée entre les membres de cette famille, la saison des allergies aux cyprès/cèdres s’étend de décembre à mars.

 

Malpighiales

Même si les arbres Malpighiales ne sont pas inclus dans la liste des arbres allergènes typiques, ils méritent une mention spéciale.

L’une des plus de 40 familles de cet ordre est celle des Salicacées. La sous-famille des Salicées comprend les saules (Salix spp.), les trembles et les peupliers (toutes les espèces de Populus). On peut trouver des Salicées dans la plupart des sols de l’hémisphère Nord, des tropiques à l’Arctique, et elles sont couramment cultivées comme arbres ornementaux.

La prévalence de la sensibilisation aux arbres Populus, qui peuvent libérer un grand nombre de pollens au printemps, varie selon la zone géographique, le degré de sensibilisation aux IgE reflétant la quantité de pollen libérée.

La pollinisation des saules de Salix a été la plus étudiée dans les bassins de la Méditerranée et de la mer Noire, et en Asie centrale et orientale. À quelques exceptions géographiques près, les pollens de Salix (saule) sont généralement considérés comme ayant une importance minimale en tant qu’aéroallergènes, principalement du fait de leur faible nombre de pollens aériens.

Il existe une forte réactivité croisée entre les pollens de Salix et de Populus, et modérée entre ceux-ci et ceux des Fagales

 

Allergènes des arbres pour les humains

Allergènes de Fagales

La famille des « protéines liées à la pathogénèse PR-10 (PR-10) » contient tous les allergènes du « groupe 1 des Fagales », dont l’archétype est le Bet v 1 du bouleau. Chacun des arbres allergèniques des Betulacées et Fagacées a un allergène PR-10 correspondant : Aln g 1 (aulne), Cor a 1 (noisette), Fag s 1 (hêtre), etc.…

Plus de 90% des humains allergiques au bouleau produisent des IgE contre Bet v 1, dont 60% seulement contre cette protéine ! En conséquence, le Bet v 1 est le marqueur de l’allergie primaire au bouleau! Il existe une réactivité croisée limitée entre les allergènes PR-10 des Fagales, mais, en revanche, les protéines PR-10 sont responsables du syndrome d’allergie orale très répandu qui touche jusqu’à 70 % des patients humains sensibilisés à ces allergènes. Dans ce syndrome, le sensibilisant primaire est le Bet v 1, et des réactions allergiques locales se produisent lors de l’ingestion d’allergènes homologues dans les fruits, les noix, les graines et les légumes.

Parmi les allergènes mineurs du bouleau, la profiline Bet v 2 et les polcalcines Bet v 3 et Bet v 4 revêtent une importance particulière. Ces allergènes hautement réactifs ont des homologues dans tout le règne végétal et sont donc considérés comme de véritables panallergènes végétaux-alimentaires. Attention : bien qu’il y ait une sensibilisation commune des IgE à ces protéines, elles n’induisent pas toutes une réactivité clinique !

 

Allergènes de Lamiales

L’allergie au pollen d’olive est, dans la plupart des cas, due à la sensibilisation à l’allergène Ole e 1, le principal représentant au sein d’une famille d’allergènes à réaction croisée des Lamiales discutés ci-dessus : Fra e 1 du frêne, Lig v 1 du troène et Syr v 1 du lilas. D’autres plantes ont également des protéines de la famille Ole e 1, par exemple, certaines graminées et le groupe 11 des allergènes de mauvaises herbes, mais la réactivité croisée clinique entre Ole e 1 et ces allergènes provenant de non-Oleacées est soupçonnée.

À l’heure actuelle, il existe 11 autres allergènes de l’olivier, avec des taux de sensibilisation humaine variant de faibles (Ole e 6, Ole e 12) à très élevés (Ole e 4, Ole e 9, Ole e 10, Ole e 11); bien sûr, il va de soit que les pollens d’olivier contiennent également les panallergènes omniprésents : une profiline (Ole e 2), deux polcalcines (Ole 3 et Ole e 8) et une protéine de transfert lipidique non spécifique (nsLTP; Ole e 7).

 

Allergènes de Proteales

Il y a trois allergènes reconnus dans le platane Platanus acerifolia. Le principal allergène Pla a 1 est un inhibiteur de l’invertase végétale qui sensibilise plus de 80% des patients allergiques au Platanus et cet allergène peut être la cible ou plus de la moitié de leurs IgE! En tant que tel, le Pla a 1 représente un marqueur primaire de la sensibilisation à Platanus. L’allergène majeur Pla a 2 est une polygalacturonase, et l’allergène mineur Pla a 3 est une protéine de transfert lipidique non spécifique; il y a un certain degré de réactivité croisée clinique avec des protéines similaires provent d’autres arbres et fruits (par exemple, avec le Pru p 3 nsLTP de pêches!). Les allergènes de Platanus orientalis sont très semblables à ceux de Platanus acerifolia.

 

Allergènes de Pinales

Les principaux allergènes de Pinales sont ceux de la famille des pectate lyases. Les principaux représentants sont la Cup a 1 et la Cup s 1 des cyprès de l’Arizona et de la Méditerranée, ainsi que le Cry j 1 et le Cha o 1 du cèdre et du cyprès japonais. D’autres pectate lyases allergèniques ont également été retrouvées chez les différentes espèces de genévriers, et il y a une réactivité croisée profonde entre toutes ces enzymes.

Outre les pectate lyases, d’autres allergènes majeurs des Pinales sont les polygalacturonases Cry j 2, Cha o 2, et Jun a 2, tous étroitement liées. Enfin, les protéines thaumatiniques Cry j 3, Jun a 3, Jun v 3, et Cup s 3 sont des allergènes mineurs de la famille des PR-5.

Il est intéressant de noter que, malgré leurs pollens abondants et très visibles, les pins ne sont pas considérés comme très allergèniques, peut-être en raison de leur grande taille et de leur faible teneur en protéines. Ainsi, de nombreux patients croient à tort qu’ils souffrent d’allergie au pin à cause du pollen qu’ils voient, mais qui masque en fait facilement les pollens invisibles des autres arbres auxquels ils sont vraiment sensibilisés! De plus, de nombreux patients allergiques aux pins sont également sensibilisés aux graminées, peut-être en raison de réactivités croisées. Certains cas isolés de véritable sensibilisation aux pins existent, mais il n’y a pas encore d’allergène pollinique reconnu pour le pin; Pin p 1, cependant, est le principal allergène du pignon de pin, mais c’est en fait un aliment !

 

Allergènes de Malpighiales

Bien que quelques d’études aient détecté des allergènes chez les arbres Populus et Salix, il n’existe à ce jour aucun allergène officiellement reconnu, ce qui suggère un potentiel allergénique limité.

 

 

Allergènes des arbres chez les animaux

Cette section sera limitée aux chiens, car peu de renseignements sont disponibles pour les chats et les chevaux allergiques.

Dans des centaines de tests intradermiques effectués chez les chiens atopiques, il existe une co-réactivité substantielle entre les pollens d’arbres, d’herbes et de mauvaises herbes, ce qui suggère une co-sensibilisation ou de véritables phénomènes de réactivité croisée – ce dernier étant le moins surprenant en raison des panallergènes décrits ci-dessus.

Dans des études de corrélations faites avec des sérums de centaines de chiens soupçonnés d’allergies, les niveaux des IgE sériques spécifiques des l’arbre ont montré une forte variabilité (données inédites). Par exemple, certains arbres ont des niveaux d’IgE spécifiques identiques ou très semblables à d’autres (p. ex., le tremble, sureau,  peuplier, orme, érable et autres), ce qui indique une réactivité croisée probable plutôt que des co-sensibilisations. Cependant, d’autres arbres semblent avoir un profil de sensibilisation unique (p. ex., le cèdre, bouleau, ou le frêne); il est intéressant de noter qu’il s’agit des arbres allergéniques bien connus et représentants typiques de leurs familles respectives (voir ci-dessus).

Il est à noter que certains extraits d’arbres qui sont couramment inclus dans les tests intradermiques ou les tests sérologiques IgE pour les animaux (p. ex., les érables) n’ont pas d’allergènes officiellement reconnus. D’autres extraits de pollen testés (p. ex., noyer, caryer et pécane) n’ont pas d’allergènes reconnus dans leurs pollens, mais leurs graines/noix sont des sources communes d’allergènes alimentaires; la pertinence de ces extraits de pollen doit être revue, en particulier pour leur réactivité croisée avec ceux d’autres Fagales.

Depuis le début des années 2000, plusieurs études Japonaises ont confirmé que Cry j 1 et Cry j 3 étaient des allergènes majeurs du pollen de cèdre Japonais pour les chiens comme pour les humains; Cry j 2 était un allergène mineur dans deux de ces études. De même, la pectate lyase Cha o 1 était un allergène majeur du cyprès japonais pour les chiens.

Le seul cas de syndrome d’allergie orale chez les chiens a été signalé en 2002 chez un chien croisé au Japon avec des lésions cutanées attribuées à une pollinose du cèdre Japonais. En raison de la réactivité croisée connue entre ce pollen et la tomate, on a démontré que ce avait des IgE élevés contre ces deux extraits. Un défi oral avec 10 g de tomate, qu’il n’avait jamais mangé, a conduit à l’hypersalivation, un gonflement gingival dans les 15 minutes, et un érythème sévère abdominal et de l’oreille 30 minutes après la provocation. Bien que la sensibilisation de ce chien à des allergènes individuels n’ait pas été évaluée, il pourrait avoir été sensibilisé à Cry j 3, un allergène de la famille PR-5 analogue présent chez le cèdre Japonais identifié comme thaumatine chez la tomate.

 

Conséquences cliniques

Avec le développement de l’allergologie moléculaire, l’évaluation de l’importance clinique de l’allergie aux arbres a été simplifiée. En effet, si un patient présentant des signes cliniques associés à des IgE spécifiques contre un allergène majeur étant le « marqueur » de la sensibilisation primaire aux arbres d’une famille particulière (c.-à-d. Bet v 1, Ole e 1, Pla a 1 ou Cup a 1 – voir ci-dessus), l’immunothérapie allergénique est alors recommandée. En revanche, une réactivité croisée à d’autres plantes est suspectée si le patient est sensibilisé contre un des panallergènes profilines, polcalcines, ou nsLTP. Dans de tels cas, l’immunothérapie n’est pas conseillée, et la recherche d’autres sensibilisations, notamment alimentaires, devrait se poursuivre.

 

Chez les animaux présentant des réactions intradermiques positives ou des IgE spécifiques contre les pollens d’arbres, et en l’absence du futur sérodiagnostic moléculaire, la sélection d’allergènes à inclure pour l’immunothérapie est un art! En l’absence de recommandations spécifiques, l’expérience de l’allergie humaine et la simple logique doivent être suivies pour interpréter la sensibilisation aux arbres.

Tout d’abord, et comme pour les autres catégories d’allergènes discutées dans les bulletins précédents, la saisonnalité des signes cliniques doit être évocatrice d’une véritable allergie aux arbres, avec des symptômes qui s’aggravent à la fin de l’hiver et au printemps, selon vos régions respectives.

Deuxièmement, la connaissance de la flore locale est essentielle, ce qui va de soi : une sensibilisation à l’olivier peut être ignorée en Scandinavie et au Canada, mais pas en Espagne ou en Californie ; de même, une sensibilisation au bouleau est plus pertinente dans les climats septentrionaux que méridionaux.

En règle générale, et en raison de la réactivité croisée qui est plus élevée parmi les membres du même ordre qu’entre eux, les résultats des tests de sensibilisation doivent être examinés dans le contexte de la taxonomie des plantes discutée ci-dessus, les arbres étant séparés par des ordres (Fagales, Protéales, Lamiales et Pinales), puis entre les principales familles allergènes (par exemple, pour les Fagales, entre Betulacées et Fagacées).

Pour la monosensibilisation aux arbres, s’il y a une exposition locale prévue, cet extrait d’arbre doit être inclus dans la formulation de l’immunothérapie, encore plus si cette espèce est un arbre allergénique connu pour les humains (p. ex., olivier, bouleau, platane).

Pour les polysensibilisations aux arbres, il est souhaitable de sélectionner les représentants des ordres et familles principaux. Conformément à notre discussion précédente sur les allergènes des acariens de stockage, deux stratégies opposées peuvent être débattues : inclure tous les arbres positifs au sein d’un ordre ou une famille, ou bien sélectionner seulement l’arbre allergènique principal dans cet ordre ou famille. À l’heure actuelle, je suggèrerais plutôt l’inclusion du seul l’extrait de l’arbre allergènique principal de chaque ordre ou famille dans la formulation de l’immunothérapie afin de ne pas diluer les principaux allergènes importants, tout en espérant néanmoins que la réactivité croisée assurerait une désensibilisation plus large.

Comme vous pouvez le constater, « l’art » des tests d’allergie et de la sélection des allergènes pour l’immunothérapie est un véritable défi!

 

Confraternellement vôtre,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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