Le chiot vit en maison avec un accès libre au jardin. Elle est nourrie avec des croquettes Royal Canin de gamme vétérinaire. Une première injection de primo-vaccination a été réalisée chez l’éleveuse 15 jours avant la consultation.
Charlotte LEPOURRY, DMV
Bayeux, Saint James
Identification
Lilas est un chiot Cocker anglais de 2 mois et demi. Elle a été adoptée une semaine auparavant par sa propriétaire.
Motif de consultation
Lilas est présentée à la consultation pour un prurit persistant depuis l’acquisition.
Commémoratifs
Elle est en contact avec l’autre chienne de la propriétaire, Chipie, une Cocker anglais âgée de 8 ans.
Anamnèse
La propriétaire rapporte un prurit quotidien, caractérisé surtout par un grattage avec les membres postérieurs au niveau des flancs et du dos. Ces démangeaisons n’avaient pas été relevées par l’éleveuse. Cependant, une pipette de Stronghold® (dosage non connu) avait été appliquée sur la peau de la nuque le matin de la vente.
Sur les conseils d’un pharmacien, la propriétaire a traité le chiot contre les puces avec du Frontline®Spray (modèle de 100 mL, environ une dizaine de pulvérisations sur le dos) 2 jours avant la consultation, mais le prurit persiste.
L’autre chienne ne présente pas de démangeaisons, et sa propriétaire non plus.
Examen clinique
Examen clinique général
L’état corporel du chiot est correct, Lilas pèse 2,9 kg. Aucune anomalie n’est constatée à l’examen clinique général et les constantes sont dans les normes.
Examen clinique dermatologique
Examen dermatologique à distance (photo de couverture)
A distance, nous ne notons pas d’anomalie dermatologique, en particulier le chiot ne présente pas d’alopécie.
Examen dermatologique rapproché (photo 1)
Nous remarquons de nombreuses squames et quelques croûtes en région dorso-lombaire, non adhérentes à la peau. Le frottement de cette zone avec le doigt déclenche un réflexe de prurit.
Photo 1 : Quelques squames visibles en zone lombaire (flèches bleues) et croûtes non adhérentes (flèche rouge)
Aucune autre lésion n’est constatée. Les muqueuses sont épargnées et en particulier les conduits auditifs sont sains.
Figure 1 : Silhouettes lésionnelles
Bilan clinique
Dermatose prurigineuse caractérisée par des squames et quelques croûtes en zone dorso-lombaire chez un chiot de 2 mois provenant d’un élevage.
Hypothèses diagnostiques
Etant donné l’âge du chiot et sa provenance, les hypothèses parasitaires sont à envisager en premier lieu. Si elles ne se confirment pas, il faudra éliminer une séborrhée primaire idiopathique.
Il faut par ailleurs retenir l’éventualité d’une dermatose secondaire débutante telle une dermatite à Malassezia ou une pyodermite bactérienne.
Examens complémentaires
Examens à interprétation immédiate
Brossage suivi d’un examen microscopique
Les poils sont peignés en zone lombaire et le matériel est récupéré puis observé dans du Lactophénol d’Amman entre lame et lamelle.
De nombreux œufs collés aux poils et des acariens sont visibles. Cependant les parasites sont morts et fortement altérés et il n’est pas possible de réaliser la diagnose.
Aucun insecte n’est visualisé, ni aucune déjection de puce.
TRAC coloré
Un ruban adhésif cristal est apposé en zone dorso-lombaire puis immergé dans le colorant au bleu de méthylène d’un kit RAL®555.
Après séchage, il est placé sur une lame de microscope sur laquelle de l’huile à immersion a été déposée.
Des parasites et leurs œufs sont de nouveau repérés (photo 2).
Photo 2 : Parasite et œuf collé à un poil observés au grossissement x100.
La plupart des pièces buccales et des pattes sont tronquées mais sur certains parasites des éléments caractéristiques permettent de faire la diagnose.
Photo 3 : Parasite observé au microscope optique grossissement x100 (ruban adhésif coloré). Les flèches noires montrent des pédipalpes et leurs crochets (grossissement photo suivante)
Photo 4 : Pédipalpes et leurs crochets visualisés à l’objectif à immersion
Photo 5 : Mesure du parasite : l’échelle est établie en mesurant le diamètre du champ photographié et le diamètre réel donné par le constructeur du microscope (indice du champ/valeur de l’objectif).
Arthropode disposant de 4 paires de pattes, dotés de chélicères et de pédipalpes • Classe des Arachnides |
Corps ovoïde, non segmenté • Ordre des Acariens |
Rostre bien développé • Groupe des Prostigmates |
Palpes bien développées et portant un crochet, cheylicères courtes et styliformes • Famille des Cheylétidés |
Aucun parasite observé ne possède une patte entière pouvant révéler un solenidion caractéristique d’espèce. Cependant, ces cheylétidés mesurant environ 330 mm de longueur et 230 mm de largeur, et étant retrouvés sur un chien, il est fort probable qu’il s’agisse de Cheyletiella yasguri.
Le test au ruban adhésif cristal permet de poser le diagnostic de cheylétiellose. La séborrhée primaire idiopathique n’est donc pas retenue et l’examen histopathologique cutané n’est pas effectué.
Un examen attentif de la lame au grossissement x400 puis à l’huile à immersion est ensuite réalisé. Plusieurs dizaines de Malasseziae sont visibles sur certains champs microscopiques (photos 6a et 6b).
Photos 6a et 6b : Très nombreuses Malasseziae observées sur deux champs différents (objectif à immersion du microscope optique)
Le calque cutané permet de poser le diagnostic de dermatite à Malassezia, la culture fongique n’est donc pas effectuée.
Diagnostic
Cheylétiellose et dermatite à Malassezia.
Traitement
Traitement acaricide
Aucun anti-parasitaire actuellement commercialisé en France ne dispose d’une AMM pour le traitement de la cheylétiellose chez le chien.
Néanmoins, de nombreux acaricides ont une efficacité reconnue contre ce parasite (Loft, 2007; Parlier, 2005; White, 2001) : perméthrine, amitraze, moxidectine, milbémycine oxime notamment, mais aussi la sélamectine et le fipronil que le chiot a déjà reçu. Par ailleurs, ces deux dernières molécules sont commercialisées dans des médicaments disposant d’une AMM pour le traitement des infestations par les poux broyeurs, parasites dont la biologie est assez proche de celle des cheylétielles (Jacques Guillot, communication personnelle). Quant aux isoxazolines, aucune donnée n’est disponible.
La présentation de la pipette de Stronghold® que l’éleveuse a appliqué n’est pas connue, ni le poids du chiot à ce moment-là, nous ne pouvons donc pas savoir s’il y a eu un sous-dosage ou non.
Par contre, nous savons que le chiot a reçu une dizaine de pulvérisations de Frontline®Spray 100 mL sur le dos. La posologie maximum pour un chien à poil long étant de 12 pulvérisations par kg, soit environ 35 pulvérisations pour l’ensemble du corps, nous recommandons à la propriétaire de renouveler l’application du Frontline®, en l’appliquant sur tout le corps et à raison d’une vingtaine de pulvérisations.
Traitement des congénères
La cheylétiellose est particulièrement contagieuse, et les chiens adultes peuvent être des porteurs asymptomatiques. L’autre chienne doit donc être traitée. La propriétaire préfère un traitement topique s’appliquant avec une pipette car Chipie a les poils particulièrement longs. Nous lui prescrivons donc du Stronghold® 120 mg (la chienne pèse 16,7 kg).
Traitement du milieu
Les cheylétielles adultes survivent plusieurs jours dans le milieu extérieur, et les nymphes peuvent quant à elles survivre plusieurs semaines, il faut donc prendre en considération une recontamination à partir de l’environnement. Nous conseillons à la propriétaire de laver à haute température les draps et coussins avec lesquels les chiennes sont en contact.
Par ailleurs, la sélamectine se retrouvera dans les squames puis dans l’environnement, et pourra être ingérée par les parasites du milieu extérieur.
Traitement antifongique
D’après les dernières recommandations publiées, le traitement topique de la dermatite à Malassezia à préconiser en premier lieu est un shampooing à base de miconazole 2% et de chlorhexidine 2% (Bond R. et al., 2020). Ce topique doit être appliqué 2 fois par semaine pendant 3 semaines minimum.
Nous prescrivons ce topique à cette posologie, en précisant à la propriétaire de laisser agir le shampooing pendant 10 min, et lui demandons de nous ramener Lilas pour une consultation de contrôle dans 3 semaines.
Suivi
Lilas est revue comme convenu 3 semaines après la mise en place du traitement. Le prurit a cessé. Les squames et les croûtes ont disparu.
A l’examen dermatologique, la peau de la zone dorso-lombaire apparaît saine.

Photo 7 : Aspect de la peau et des poils en zone dorso-lombaire, 3 semaines après la mise en place du traitement.
Un TRAC coloré est cependant réalisé pour s’assurer de la guérison parasitaire et mycologique. A la lecture de la lame, aucun élément figuré n’est retrouvé.
Nous proposons à la propriétaire de continuer à appliquer mensuellement du Stronghold® sur ses chiennes, afin d’éviter une récidive de la cheylétiellose au cas où ils persisterait des parasites dans l’environnement.
Discussion
Ce cas de dermatite à Malassezia localisée est particulièrement original.
D’une part, les formes localisées sont plutôt décrites dans des zones favorables au développement de ces champignons opportunistes, telles que les conduits auditifs externes, les lèvres et le museau, les espaces interdigités, le cou, l’intérieur des cuisses, les plis axillaires et inguinaux, la région périanale et les replis cutanés (Scott et al., 2000). Dans le cas présent, on peut supposer que la présence de Malassezia en zone dorso-lombaire fait suite à une rupture de la barrière épidermique provoquée par les cheylétielles. En effet, ces dernières piquent l’épiderme avec leurs chélicères. Elles peuvent aussi creuser des pseudo-tunnels dans la couche cornée. Enfin, elles peuvent occasionner des lésions par abrasion de la surface de l’épiderme à l’aide de leurs pièces buccales (Scott et al., 2000; Thébault, 2005).
D’autre part, d’après la littérature, la dermatite à Malassezia se caractérise par un prurit constant et souvent intense, un érythème franc, systématiquement observé et associé à une alopécie et un état kérato-séborrhéique. Dans le cas de Lilas, l’érythème n’a pas été noté et il n’y avait pas d’alopécie. Néanmoins, la localisation dorso-lombaire de cette dermatite rend difficile l’observation d’un érythème. En effet, dans le cas de Lilas, la peau est sombre dans cette zone. Par ailleurs, étant donné le prurit persistant, il est probable qu’à plus long terme, sans traitement, une alopécie serait apparue.
Le prurit et le squamosis auraient tout aussi bien pu être mis sur le compte des cheylétielles. Cependant, cela nous paraît très peu probable. En effet, le chiot avait reçu un premier traitement antiparasitaire à base de sélamectine, et bien que le dosage ne soit pas connu, il devait être proche des recommandations du RCP. Les pipettes les moins dosées de Stronghold® permettent de traiter des chiens jusqu’à 2,5kg, et le jour de la consultation, soit une semaine après, le chiot ne pesait que 2,9 kg. De plus, du fipronil avait été appliqué sur le dos en quantité modérée. Aucun parasite n’a pu être retrouvé vivant à l’examen microscopique, ce qui est en faveur d’un effet acaricide de ces molécules, et a imposé de chercher une autre cause au prurit de Lilas.
Ce cas permet par ailleurs d’aborder les critères diagnostiques de la dermatite à Malassezia, qui méritent d’être précisés.
En effet, il a été proposé d’établir le diagnostic lorsqu’un chien qui présente une quantité anormalement élevée de Malassezia pachydermatis sur une peau lésionnelle montre une bonne réponse clinique et cytologique à une thérapeutique antifongique appropriée (Bond, 1997).
Une quantité « anormalement élevée » de Malassezia pachydermatis est difficile à définir avec précision ; plusieurs auteurs ont proposés des seuils cytologiques diagnostiques :
Plus de 10 levures pour 15 champs choisis au hasard et observés à l’objectif à immersion (Bond et al., 1993)
Au moins 1 levure pour 10 champs observés en moyenne (x 100) (Carlotti et al., 1996)
Plus de 2 levures par champ observées à l’objectif x 40 (Mauldin et al., 1997)
Ou encore, à l’objectif à immersion, une moyenne par champ de :
- Au moins 4 levures (Guaguère et al., 1996)
- Plus de 3 levures (Bensignor, 2001)
- 5 levures (Cafarchia et al., 2005)
- Au moins 5 levures (Bensignor, 2006)
- Plus de 3 levures (Power, 2006)
- Au moins 3 levures (Maynard et al., 2011)
Tous les champs microscopiques à immersion ne montraient pas de Malasseziae, mais lorsqu’elles étaient observées, environ 1 champ sur 5, elles étaient présentes en grand nombre, entre 40 et 50. Cela revient à une moyenne d’au moins 8 levures par champ.
A noter que les recommandations les plus récentes ne sont pas en faveur d’une évaluation quantitative dans la mesure où de nombreux facteurs interviennent (site anatomique prélevé, race) et où une faible quantité de Malassezia peut dans certains cas suffire à exacerber l’inflammation cutanée. Il est donc proposé que lorsque des Malassezia sont retrouvées chez des patients présentant une dermatose inflammatoire compatible avec la présence de ces levures, l’animal soit traité puis la réponse thérapeutique évaluée dans les 2 à 4 semaines (Bond et al., 2020).
La réponse clinique à la thérapeutique antifongique topique prescrite est excellente, puisque le prurit a cessé et les lésions cutanées ont rétrocédé.
La réponse cytologique est elle aussi excellente, puisqu’aucune Malassezia n’a pu être retrouvée lors du contrôle 3 semaines plus tard.
Bibliographie
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