Un cas d’épidermolyse bulleuse jonctionnelle

Réglisse est une petite chienne supposée croisée labrador de 4 mois recueillie par la SPA et adoptée par son actuelle propriétaire. Elle a un suivi médical avec APE, API et vaccinations à jour et est nourrie avec une alimentation industrielle croissance de qualité.

 

 Christian Collinot

 

Anamnèse :

Réglisse est une petite chienne supposée croisée labrador de 4 mois recueillie par la SPA et adoptée par son actuelle propriétaire. Elle a un suivi médical avec APE, API et vaccinations à jour et est nourrie avec une alimentation industrielle croissance de qualité.

 

Commémoratifs :

À l’âge de deux mois, elle a perdu toutes ses griffes et un traitement antibiotique a été instauré pendant 1,5 mois (cephalexine). Pendant cette période les griffes, sauf les ergots, ont repoussé même si certaines restent encore dystrophiques. Des lésions ulcératives des coussinets se sont développées en même temps et persistent depuis. On peut prédire leur arrivée par un léger changement de couleur d’une partie du coussinet qui devient plus molle se soulève et prend une forme en dôme avant de s’ulcérer.

Son frère est plus gravement atteint mais nous ne l’avons pas vu.                                 

 

Examen clinique :

 Examen général :

En dehors de la douleur occasionnée au niveau des coussinets qui se retrouve dans les déplacements, rien de notable.

202010photocas1

Photo 1 : vue générale, pas de lésions en dehors des pieds

 

Examen dermatologique :

Deux points principaux :

a/ ulcères circonscrits à bords nets des coussinets plantaires (douloureux) 

202010photocas2

Photo 2 : ulcération du coussinet

 

202010photocas3

Photo 3 : ulcération du coussinet (noter les bords nets)

 

b/ onychodystrophie de certaines griffes (cf onychomadèse précédemment décrite mais passée) et non repousse des deux ergots.

 

202010photocas4

Photo 4 : repousse normale des griffes sauf ergot

 

202010photocas5

Photo 5 : onychodystrophie

 

Hypothèses diagnostiques :

  • Agressions dont chimiques
  • Vascularites
  • Lésions auto infligées 
  • Neuropathie (syndrome d’automutilation)
  • Épidermolyses bulleuses héréditaires

 

Examens complémentaires :

Compte tenu des hypothèses, après exclusion de la neuropathie car douleur et compte tenu de la durée, du peu de possibilités d’envisager une lésion chimique ou autre, des biopsies sont effectuées :

1 : bord d’un ulcère dans coussinet principal

2 : zone du coussinet en train de se soulever

3 : ulcère coussinet

4 : bourrelet unguéal ergot antérieur droit (griffe non repoussée)

Résultat : Sévère dermatose podale vésiculo-bulleuse, sous épidermique, se caractérisant par un clivage jonctionnel (ce dernier semblant laisser au plancher du clivage la lamina densa PAS positive).

Le diagnostic ne peut pas reposer sur le seul examen histologique de routine mais évoque une épidermolyse bulleuse.

 

Diagnostic :

Compte tenu des faisceaux convergents et malgré une atteinte cantonnée uniquement aux coussinets et griffes actuellement, on retiendra le diagnostic d’épidermolyse bulleuse plus particulièrement épidermolyse bulleuse jonctionnelle compte tenu de la présence de la lamina densa restant sur le derme.

 

Traitement :

Comme dans la plupart des maladies génétiques, il n’y a pas de traitement étiologique (en dehors d’une éventuelle thérapie génique). Des soins de confort (cicatrisation, douleur) et de surveillance des surinfections sont mis en place avec la surveillance du vétérinaire traitant afin que le confort soit suffisant pour envisager une poursuite des soins.

 

Discussion :

Les épidermolyses bulleuses héréditaires sont des maladies génétiques. Une erreur s’est produite au niveau du génome qui entraine un défaut dans la fabrication de protéines du cytosquelette. Comme la plupart des maladies génétiques les conséquences sont visibles tôt dans la vie de l’individu. L’épidermolyse bulleuse acquise procède d’un processus totalement différent même si le résultat pathologique semble le même. Il s’agit dans ce cas d’une maladie auto-immune. Un clone de lymphocytes B fabrique des immunoglobulines dirigées contre un constituant de son propre organisme, en l’occurrence la lamiline 332, siège du défaut de codage dans le premier cas.  Donc défectueuse génétiquement ou agressée par des anticorps, le défaut de cette protéine va donner la même représentation symptomatique (diagnostic différentiel avec la la phemphigoïde bulleuse dans les cas auto-immuns).

 

  • Les types :

Trois types d’épidermolyses héréditaires sont décrites chez l’homme :

 

@ l’épidermolyse bulleuse simplex ou épidermolytique (EBS) :

Elle est due à un défaut des cytokératines 5 et 15.

Suspectée chez le Colley et le Shetland mais mimant une dermatomyosite sans lésion musculaire, elle n’est pas prouvée. On la retrouve chez 25 veaux issus du même reproducteur de race Simmentale.

Les symptômes miment la dermatomyosite dans les races de chiens sus citées.

 

@ l’épidermolyse bulleuse jonctionnelle (EBJ) :

La protéine mal encodée est la lamiline 332 (ex lamiline 5) (chainea3).

Il en résulte un défaut des hémidesmosomes/filaments d’ancrage et donc un clivage au sein de la lamina lucida de la jonction dermo-épidermique.

Les races identifiées sont les Braques allemands (il existe un test), les Caniches et les Beauceron, les chats siamois…

Symptômes : comme c’est en général le cas dans les maladies génétiques, les symptômes commencent dès le jeune âge (2 à 3 mois). On note souvent au départ des lésions et chutes des griffes (onychomadèse et paronychie puis onychodystrophie et onychogryphose), des lésions bulleuses qui s’ulcèrent et deviennent douloureuses face interne de la conque auriculaire et des points de pression (coussinets, coudes, carpes…) ainsi que de la cavité buccale (gencives, langue). On retrouve rarement une atteinte plus exclusive des muqueuses mais plus profonde (pharynx, œsophage) peut être notée. Des défauts des dents et un retard de croissance peuvent être notés.

 

@ l’épidermolyse bulleuse dystrophique ou dermolytique (EBD):

La protéine mal encodée est le collagène VII.

Il en résulte un clivage dermo-épidermique profond sous la lamina densa à cause d’une expression très faible et désorganisée du collagène VII le long de la JDE.

L’EBD est bien étudiée chez le Golden retriever mais est aussi décrite chez le Beauceron, l’Akita et les chats persans…

Symptômes : Ils sont dominés par les ulcères labiaux, périoculaires et buccaux, mais aussi œsophagiens voire de bulles et la présence de grains de milium au niveau de la face ventrale de l’ars et l’aine. Le Retard de croissance est de règle et prognathie et onychomadèse sont souvent présentes.

 

RQ : Un grain de milium est un petit bouton blanc. Aussi appelé « boutons de graisse», les grains de milium sont de petits amas de cellules mortes (cornéocytes) piégées sous la peau.

 

 

  • Diagnostic :

La clinique, l’âge et la race, un signe de Nikosky positif sont des éléments importants. On excepte l’EBS dont l’existence chez les Colleys et Shetlands n’est pas prouvée. L’histologie ne sera pas pathognomonique.  Elle montre un clivage dermo-épidermique et la présence de grains de milium dans le derme (EBD), la coloration de la lamina densa au PAS montrera sa présence sur le derme (EBJ) ou au plafond de la bulle ou sur la partie clivée (EBD).

L’examen ultrastructural à transmission permettra de s’assurer de la zone de clivage et les techniques immunohistochimiques de la protéine ciblée mais ces tests ne sont pas disponibles hors recherche.

Des tests génétiques existent pour les Braques Allemands (EBJ) et Golden retrievers (EBD).

 

  • Traitement et pronostic :

En dehors de traitement génothérapiques, il n’y a pas de traitement possible et l’hygiène de vie, les soins des surinfections et la gestion de la douleur peuvent permettre dans les cas les moins graves de maintenir en vie certains individus dans des conditions de confort acceptables (Golden retrievers adoptés par des étudiants vétérinaires en vue de l’étude et encore en vie dans des conditions éthiquement acceptables au bout de 3,5ans). Pour les autres, la douleur et les soins incessants, problèmes d’alimentation rendent le pronostic très sombre.

EBJ du Braque allemand et EBD du Golden retriever sont des modèles spontanés d’étude comparative pour l’homme avec la recherche de protocoles de thérapie génétique.

 

Lectures conseillées (en dehors des bibles) :

  • L’épidermolyse Bulleuse Jonctionnelle du Braque allemand : un modèle canin spontané de l’Épidermolyse Bulleuse Jonctionnelle de l’Homme.
  1. Guaguère, A. Capt, F. Spirito, G. Meneguzzi

Bull. Acad. Vét. France–2003- Tome 157 -N°2 www.académie-veterinaire-france-fr

 

  • Modèle de l’épidermolyse bulleuse dystrophique (EBD) de l’homme. Caractérisation et mise au point d’un protocole de thérapie génique.

J.P. Magnol, D. Pin, X. Palazzi, J.P. Lacour, Y. Gache, G. Meneguzzi..

Bull. Acad. Natle Med., 2005, 189, n°1, 107-121, séance du 25 janvier 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour en haut