Un chat, mâle, européen, âgé de 8 ans, est présenté à la consultation de dermatologie en septembre, pour un prurit facial évoluant depuis quelques semaines. Ce chat est régulièrement vacciné, mais son passé pathologique rapporte plusieurs épisodes de syndrome coryza dans les années précédentes (éternuements et écoulements oculaires pendant quelques jours) ayant répondu rapidement au traitement symptomatique instauré lors de chaque crise.
Emmanuel Bensignor,
Septembre 2025
Anamnèse
L’animal vit en maison avec libre accès à un jardin et est correctement traité contre les parasites externes (application d’une pipette d’imidaclopride tous les mois). Il est vermifugé 4 fois par an. Il vit avec un autre chat, qui ne présente pas d’anomalie notable. Aucun traitement, hormis l’application d’un désinfectant oculaire, n’a été entrepris avant la consultation.
Examen clinique
L’examen clinique montre des lésions cutanées localisées exclusivement à la face (photos 1&2). Il s’agit de croûtes adhérentes, surmontant des érosions, surtout marquées sur le chanfrein et les ailes de la truffe. Des excoriations sont également notées, sur un fond érythémateux. Par ailleurs, un épiphora est noté, associé à une conjonctivite.
Photo 1 : vue éloignée : lésions croûteuses faciales
Photo 2 : vue rapprochée : érosions et croûtes
Hypothèses diagnostiques
Les hypothèses diagnostiques envisagées regroupent une virose (herpès virose, calicivirose, moins probablement poxvirose), des lésions du complexe granulome éosinophilique (plaque éosinophilique notamment) d’origine allergique (dermatite atopique, allergie alimentaire, hypersensibilité aux piqûres de moustiques, moins probablement dermatite par allergie aux piqûres de puces) ou non allergique, un pemphigus foliacé, et une dermatomycose (cryptococcose).
Photo 3 : examen cytologique d’un cas de CGE : polynucléaires éosinophiles
Photo 4 : examen histopathologique d’un cas de CGE : présence de « figures en flamme »
Examens complémentaires
Des examens cytologiques multiples sont réalisés par apposition sous-crustacée. Leur examen microscopique montre une population inflammatoire, avec une prédominance de polynucléaires éosinophiles (photo 3). Des biopsies cutanées sont réalisées sous anesthésie générale. L’examen histopathologique (photo 4) montre une infiltration diffuse du derme superficiel et moyen, par une population bigarrée, mais à nette prédominance de polynucléaires éosinophiles. Sont également notés des mastocytes nombreux et quelques lymphoplasmocytes. La présence d’images de dégénérescence des fibres de collagène est associée. Aucun élément figuré n’est observé et en particulier aucune inclusion virale n’est visualisée. Un diagnostic de lésion du complexe granulome éosinophilique est proposé par l’histopathologiste. Un prélèvement biopsique de la lésion, conservée dans du liquide physiologique, est envoyée à un laboratoire pour recherche par technique PCR de virus, et s’avèrera positive à un titre élevé pour l’herpèsvirus félin. Les recherches de rétrovirus par sérologie et sur la pièce biopsique par PCR sont négatives.
Traitement
Un traitement par l’interféron oméga félin est mis en place (injections tous les deux jours), en association avec l’administration per os de lysine. L’application d’un collyre antiviral est également recommandée. Une diminution du prurit est rapportée après 10 jours de traitement et à la visite de suivi, après un mois, une disparition des lésions cutanées est observée.
Commentaires
Ce cas illustre la nécessaire rigueur d’interprétation des examens complémentaires en dermatologie, notamment dans l’espèce féline. Il est en effet important de noter que l’absence de mise en évidence de particules virales dans les lésions n’exclut pas nécessairement l’intervention de virus dans la pathogénie de la maladie. Pour le chat décrit ici, un diagnostic erroné de dermatite allergique aurait pu amener à utiliser un traitement glucocorticoïde, potentiellement contre-indiqué pour cette maladie virale.
L’intervention de l’herpès virus de type I dans certains cas de dermatoses éosinophiliques félines est de plus en plus souvent évoquée dans la littérature. Les lésions classiquement rapportées regroupent, comme pour notre cas, un érythème, des érosions, des croûtes et des ulcères volontiers localisés sur le chanfrein, la truffe et/ou la région périorbitaire. La présence de signes ophtalmiques ou respiratoires n’est pas systémique, mais lorsque présente est évocatrice. Dans des cas plus rares, les lésions cutanées peuvent être localisées sur les extrémités des membres (peut être à cause du léchage) ou sur le tronc. L’examen histologique des lésions montre classiquement une ulcération et une nécrose de l’épiderme associées à une infiltration inflammatoire souvent mixte du derme (par des polynucléaires neutrophiles et éosinophiles). Les particules virales intranucléaires sont parfois difficiles à mettre en évidence, surtout si le prélèvement n’intéresse pas la peau non ulcérée/nécrosée périlésionnelle et induire de faux diagnostics par défaut. L’utilisation de la PCR ou de techniques immunohistochimiques est indiquée dans ce contexte. Il faut ici signaler que la positivité d’un examen PCR ne permet pas à lui seul de faire le diagnostic : en effet, il a été démontré que jusqu’à 30% des chats sains pouvaient être positifs par cette technique.
L’utilisation de la lysine n’est plus recommandée actuellement et il semblerait que le famciclovir soit le traitement de choix à privilégier.
A retenir
Le chat est une espèce capable, sur un plan dermatologique, de réagir de manière stéréotypée face à de multiples stimuli. Les lésions du complexe granulome éosinophilique représentent ainsi une modalité réactionnelle particulière de la peau du chat, souvent secondaire à un processus allergique. Il faut toutefois savoir évoquer d’autres causes dans certains cas particuliers, comme illustré par ce cas clinique.