Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un Boxer mâle de 7,5 mois nous est présenté pour une dermatose sévère, évoluant depuis un mois environ et ne répondant pas à différents traitements

 

Arnaud MULLER

Dip ECVD, Spécialiste en Dermatologie Vétérinaire, CES Derm

Clinique Vétérinaire Saint Bernard

598 avenue de Dunkerque F-59160 Lomme

www.clinvetsaintbernard.com

Mai 2025

Motif de consultation

Un Boxer mâle de 7,5 mois nous est présenté pour une dermatose sévère, évoluant depuis un mois environ et ne répondant pas à différents traitements. Ce chien est suivi depuis 2 mois pour une polyarthrite dysimmunitaire, contrôlée correctement par une corticothérapie prolongée et du léflunomide (diminution franche de la boiterie associée).

Examen clinique

L’examen clinique montre un chien en bon état général, mais présentant effectivement une dermatose secondairement prurigineuse marquée (prurit évalué à 6/10 sur une échelle visuelle analogique), caractérisée par de nombreuses lésions indurées, croûteuses, situées sur la ligne dorsale du cou et du tronc. La peau apparait épaissie. Une très forte odeur est également présente. L’examen de la cavité buccale révèle également une atteinte sévère de la face ventrale de la langue, jusqu’au frein de la langue.

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photos 1 à 4 : calcinose cutanée (avant et après tonte) et linguale sévère

Hypothèse diagnostique

Cet aspect et cette localisation sont fortement évocatrices d’une calcinose cutanée, induite par la corticothérapie prolongée, avec surinfection secondaire.

Examens complémentaires

Divers examens complémentaires sont alors réalisés :                                                                                         

– les calques cutanés mettent en évidence une prolifération bactérienne significative (bacilles)          

– une culture bactérienne est demandée et confirme la présence de colonies de germes bacilles   Gram négatif (Serratia nematodiphila et Escherichia coli), résistantes aux bétalactamines (céphalosporines et amoxicilline-acide clavulaniques), à la clindamycine, mais sensibles aux sulfamides potentialisés et aux fluoroquinolones     

– les biopsies cutanées permettent de confirmer la calcinose cutanée

– le dosage de la CRP montre une augmentation significative (37,2 mg/ml), l’inflammation cutanée sévère en étant très probablement responsable (plutôt que la polyarthrite puisque les dosages précédents de CRP ne montraient pas d’augmentation)                                                      

– les valeurs rénales et de calcémie/phosphorémie sont dans les normes usuelles

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photo 5 : examen histopathologique confirmant la calcinose cutanée avec réaction granulomateuse associée (LAPVSO)

Diagnostic

A ce stade, l’aspect clinique et les résultats des examens complémentaires conduisent au diagnostic d’une calcinose cutanée et linguale sévère, induite par la corticothérapie (syndrome de Cushing iatrogène) et surinfectée par Serratia et E. coli.

Traitement

Dans l’attente des résultats bactériologiques, le traitement proposé ce jour a été le suivant :           

– tonte lésionnelle large sous anesthésie générale

– shampooings antiseptiques hebdomadaires (Pyoderm) pendant un mois- lingettes antiseptiques biquotidiennes (CLX wipes) pendant 20 jours et application de pâte à l’eau le soir (effet apaisant)

– antibiothérapie orale (Antirobe) pendant 10 jours minimum                                                        

– diminution rapide de la corticothérapie orale et du léflunomide (effet immunosuppresseur intéressant pour la polyarthrite mais favorisant la surinfection cutanée)                                              

– inhibiteur calcique (amlodipine) pendant 10 jours minimum                                                       

– anti-inflammatoire (Metacam) pendant 10 jours (pour la douleur/inflammation cutanée et pour la polyarthrite

Suivi

Une semaine après l’initiation du traitement ci-dessus, le chien présente une baisse de forme avec épisode de syncope et gonflement des membres antérieurs. Ces signes (bien connus en médecine humaine avec certains inhibiteurs calciques) amènent à stopper l’amlodipine (sans preuve de lien de cause à effet), ce qui est suivi d’une disparition de ces symptômes.

A réception des résultats bactériologiques, l’antibiothérapie est modifiée en remplaçant la clindamycine par un sulfamide potentialisé (Sultrian : triméthoprime – sulfaméthoxazole) pour 3 semaines.

Le contrôle à 3 semaines confirme une amélioration significative des lésions dorsales et linguales, même si un gonflement induré des coudes est détecté. La radiographie met en évidence des dépôts calciques, compatibles avec une calcinose cutanée et sous-cutanée. Le traitement est poursuivi à l’identique en ajoutant de la colchicine orale, décrite comme traitement complémentaire de la calcinose cutanée chez l’Homme). La dose est adaptée de celle utilisée dans la fièvre familiale du Shar-Peï, soit 0,025 mg/kg/j (ici ½ cp de Colchimax 1 mg, pour ce chien de 20 kg).

 

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photos 6 et 7 : amélioration de l’aspect lésionnel avec diminution significative de l’inflammation et de l’épaisseur des croûtes

 

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photos 8 et 9 : gonflement induré en face postérieure des coudes liée à une calcinose sous-cutanée visible à la radiographie

 

Le contrôle à 6 semaines montre une évolution très favorable : amélioration de l’ensemble des lésions cutanées et du gonflement des coudes. Des croûtes persistant sur le dos (moins abondantes et plus sèches), des soins locaux supplémentaires (lotions de propylène glycol dilué à 50%) sont instaurés. Les antibiotiques sont arrêtés. En revanche, les difficultés locomotrices liées à la polyarthrite étant réapparues et étant très invalidantes, une prescription de ciclosporine (à 5 mg/kg/j) est ajoutée.

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photo 10 : Amélioration des lésions dorsales

Le contrôle à 12 semaines permet de constater une quasi-disparition des lésions cutanées, du gonflement des coudes et de la boiterie (amélioration de la locomotion une semaine après le début de la ciclosporine). Le gonflement des coudes est absent à droite et résiduel à gauche (avec encore une induration palpable). Les lésions linguales ont également disparu. Les poils repoussent progressivement. Le contrôle de CRP montre une normalisation de la valeur (9,1 mg/ml, valeurs usuelles : 0-10 mg/ml). La colchicine est poursuivie pour un mois supplémentaire, puis la recherche d’une dose minimale efficace de ciclosporine est envisagée.

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photos 11 et 12 : Repousse des poils et hyperpigmentation cicatricielle

 Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photo 13 : Diminution significative du gonflement du coude gauche (vs photo 8)

Discussion

La calcinose est une affection rare chez le chien et se définit comme le dépôt tissulaire de sels de calcium, principalement sous forme d’hydroxyapatite (Ca10(PO4)6(OH)2). Le terme calcinose est utilisé lorsque ce dépôt affecte le derme (au sein des fibres de collagène et d’élastine) ou les tissus sous-cutanés. Selon le degré d’extension, la calcinose est classée comme localisée ou généralisée. Le mécanisme exact du développement de ces lésions est mal connu, mais une distinction est proposée entre la calcinose cutanée dystrophique (inflammation locale comme dans l’otite proliférative chronique par exemple, l’hypercorticisme avec altération locale des fibres de collagène dermique, le diabète sucré, la tumeur cutanée), métastatique (perturbation du métabolisme phosphocalcique au cours d’une insuffisance rénale, d’une hyperparathyroïdie primitive, d’une hypervitaminose D, d’une hypercalcémie maligne), iatrogène (injection de gluconate de calcium ou de progestatifs, pénétration percutanée de chlorure de calcium, sutures de polydioxanone) et idiopathique (lésions tissulaires locales probables). De rares cas de calcinose cutanée associée à une maladie systémique infectieuse ont été rapportés dans la littérature : 3 cas de blastomycoses, 3 cas de leptospirose, 1 cas de paecilomycose.

L’aspect clinique de la calcinose cutanée est assez caractéristique, quelle qu’en soit la cause, avec des papules, des nodules ou des plaques, qui semblaient fermes, érythémateuses et secondairement ulcérées. Ces lésions sont soit solitaires, soit multicentriques, et leur taille varie de 5 mm à 8 cm. La couleur blanchâtre ou jaunâtre est un autre élément évocateur du dépôt d’une matière minérale (visible également après incision d’une lésion ou extrusion par pression).

Les signes cutanés observés peuvent correspondre à une forme localisée ou une forme généralisée (au moins 3 sites concernés, comme chez notre chien), pour laquelle les zones les plus fréquemment concernées sont classiquement la région cervicale dorsale, la ligne dorsale, l’abdomen ventral et les régions axillaires.

Chez le chien, la calcinose cutanée est préférentiellement observée lors d’hypercorticisme iatrogène ou spontané (80 % des 46 cas de l’étude de Doerr et al., Vet Dermatol 2013, dont 55% iatrogène et 25% spontané), avec une prédisposition apparente des mâles de grandes race (Boxer, Labrador retriever, Rottweiler, Staffordshire terrier), illustrée par le chien concerné par ce cas clinique.

Le mécanisme correspond à une calcinose dite dystrophique, puisque l’excès de cortisol serait à l’origine d’une altération des protéines constituant le collagène et des fibres d’élastine, qui favoriserait le dépôt de calcium (dans altération du métabolisme du calcium ou du phosphore comme lors d’insuffisance rénale par exemple).

Un test à l’ACTH aurait pu être effectué, mais la prise prolongée de corticoïdes, mais surtout la très forte suspicion clinique et l’état général altéré de ce chien nous a amené à ne pas réaliser de tests diagnostiques (sanguins ou biopsies cutanées). Le diagnostic fait toutefois classiquement appel à l’examen histopathologique qui met en évidence ces dépôts calciques dermiques (matériel basophile), potentiellement soulignés par une coloration de Von Kossa, souvent accompagnés d’une réaction granulomateuse macrophagique.

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Un cas de calcinose cutanee associee a un syndrome de cushing iatrogene et traitee a la colchicine

Photos 14 et 15 : Images histopathologiques de calcinose cutanée (colorations HE et Von Kossa, LAPVSO)

Le traitement de la cause, en l’occurrence lors de syndrome de Cushing iatrogène l’arrêt de la corticothérapie, permet de stopper l’extension des lésions (fort heureusement, la polyarthrite de notre chien a répondu à la ciclosporine, permettant de sevrer totalement le chien en corticoïdes).

Le traitement spécifique de la calcinose en elle-même ne fait pas l’objet d’un consensus (chez le chien comme chez l’homme) et repose principalement sur la tonte, la gestion des surinfections, la facilitation de l’élimination transcutanée des dépôts calciques (élimination manuelle et utilisation du DMSO à 10% ou couplé avec l’Aloe Vera) et divers médicaments pour baisser la phosphatémie ou la calcémie : inhibiteurs calciques (diltiazem chez l’homme et le chien, essai ici de l’amlodipine mais visiblement non tolérée : les œdèmes périphériques sont plus fréquemment observés chez l’homme avec les dihydropyridines comme l’amlodipine qu’avec les benzothiazépines comme le diltiazem), chélateurs du phosphore (hydroxyde d’aluminium), colchicine.

La colchicine agit sur les microtubules du fuseau nucléaire et a des propriétés anti-inflammatoires. Elle est utilisée notamment comme antifibrotique hépatique chez le chien. Chez l’homme, la colchicine aurait plutôt un effet sur l’inflammation et les ulcères cutanés que sur la calcinose en elle-même. Son emploi chez notre chien semble avoir eu un effet bénéfique, qui reste à confirmer sur d’autres cas similaires.

Lors de formes localisées, une exérèse chirurgicale peut être envisagée et se révéler curative.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut