Une chienne de race Carlin, stérilisée et âgée de 9 ans, est présentée à la consultation de dermatologie pour des lésions cutanées dorsales apparues un mois auparavant, quelques jours après une chirurgie de métrite (ovario-hystérectomie) dans une autre clinique vétérinaire.
Arnaud MULLER – Éric GUAGUERE
Clinique Vétérinaire Saint-Bernard. 598, avenue de Dunkerque F-59160 Lomme
Spécialiste en Dermatologie, Dip ECVD, CES Dermatologie Vétérinaire
Examen clinique
Il montre une chienne en état général altéré et présentant une hyperthermie (40,3°C) ainsi qu’une dermatose ulcéro-croûteuse dorsale sévère (Photos 1 à 4) et douloureuse.
Photos 1 à 4 : Aspect à l’admission. Noter la sévérité des lésions et le sillon disjoncteur sur la photo 4
Examens complémentaires
Ils avaient été réalisés auparavant :
– le bilan hémato-biochimique ne montrait pas de modifications notables
– la culture bactérienne avait mis en évidence des colonies de Stenotrophomonas maltophila, germe pathogène opportuniste multirésistant, responsable d’infections secondaires chez des patients immunodéprimés ou en contamination de plaies existantes
– une culture fongique avait également été demandée et s’avérera négative (résultat reçu une semaine après l’admission)
Les résultats des examens complémentaires et l’ensemble des critères anamnestiques et cliniques permettent de privilégier le diagnostic de plaie de type brûlure surinfectée, même si une toxidermie ne peut être totalement exclue (prise récente d’amoxicilline-acide clavulanique).
Discussion
Les risques d’accidents par brûlure voire d’incendie dans le bloc opératoire lors d’utilisation des bistouris électriques sont bien connus chez l’Homme. Entre 2009 et 2016, autour de 600 accidents ont ainsi été identifiés.
Principes du bistouri électrique
Le bistouri électrique est un appareil chirurgical qui produit un courant électrique de haute fréquence, dont on utilise l’effet thermique pour couper les tissus organiques ou pour coaguler.
La grande majorité des accidents sont liés à l’usage de bistouris dits monopolaires, dont le circuit électrique est composé d’un côté par la pointe du bistouri (électrode active) et de l’autre par l’électrode-plaque, le corps du patient se trouvant entre ces deux électrodes. Quand le chirurgien déclenche le courant haute-fréquence, un échauffement des tissus s’effectue au niveau de l’électrode active où la densité du courant est la plus élevée (pointe du bistouri). Pour que l’échauffement n’ait lieu qu’à cet endroit et non au niveau de la plaque, le retour du courant par la plaque doit se faire dans les meilleures conditions et la plaque doit efficacement dissiper la chaleur produite à son niveau.
Pour une utilisation optimale, la plaque électro-chirurgicale doit donc posséder les caractéristiques suivantes :
- une taille suffisamment grande pour limiter une concentration de la chaleur, mais assez réduite pour permettre un bon contact avec la peau.
- une adhésion parfaite au niveau de la peau (plaque fine et souple), en positionnant la plaque sous une zone tondue pour éviter toute interférence avec les poils qui sont isolants. Eviter les protubérances osseuses qui gênent le contact et donc la dispersion de la chaleur
- une conduction du courant optimale en utilisant parfois un ruban adhésif conducteur hydrophile, permettant en plus d’améliorer le contact
- une bordure isolante limitant l’infiltration des antiseptiques et des fluides chirurgicaux
- une forme et une structure évitant les effets d’angle (concentration supérieure du courant dans les deux angles de la plaque) et les effets de bord (concentration du courant sur le bord de la plaque le plus proche du site d’incision).
Dysfonctionnements à l’origine de brûlures ou de flammes
Les facteurs favorisant une brûlure sont principalement les défauts techniques ou l’utilisation non conforme du matériel électrique et l’usage de produits inflammables incompatibles.
- Implication de la plaque
Le mauvais positionnement de la plaque peut conduire à une brûlure thermique, voire à un incendie (risque connu en bloc opératoire humain, non décrit en médecine vétérinaire).
Le plus souvent, le défaut correspond à une surface d’application sur la peau insuffisamment large, une perte de contact adapté liée à la mobilisation de l’animal au cours de la chirurgie, la présence de produit inflammable sur une plaque non séchée ou enfin une plaque défectueuse.
A noter que certaines brûlures peuvent être induites par la mise à la terre inappropriée des instruments d’électrochirurgie, en particulier à travers les pinces alligator de l’ECG ou des zones de contact avec la table d’opération métallique
- Présence d’un combustible
Outre une surchauffe cutanée locale, un phénomène d’incendie est envisageable si trois éléments sont présents : un comburant (oxygène), un carburant et une source de chaleur.
En salle de chirurgie, le carburant (=combustible) est le plus souvent la solution alcoolique de désinfection. Une étude a montré qu’une étincelle était capable de générer un feu sur une solution contenant 20% d’alcool. L’alcool en tant que solvant de la povidone iodée ou de la chlorhexidine a ainsi été mis en cause dans plusieurs publications.
L’antiseptique contenant de l’alcool doit être appliqué suffisamment, mais sans excès, pour pouvoir sécher suffisamment rapidement. Si la solution d’alcool n’est pas suffisamment évaporée (de la peau ou des champs opératoires) ou s’il reste de l’alcool dans les zones de plis, le risque est réel.
Le bistouri électrique constitue la source de chaleur la plus couramment impliquée (responsable de 70 % des incendies chirurgicaux chez l’homme), généralement du fait d’un dysfonctionnement au niveau de la plaque, mais parfois aussi par excès d’énergie délivrée par un générateur défectueux.
Caractéristiques des brûlures induites par l’électrochirurgie
La quantité d’énergie thermique (Q) produite sur la plaque dépend en particulier de l’intensité du courant (I) et de la durée d’application du courant (t) (loi de Joule (Q= I.R².t avec R l’impédance).
L’étendue et la gravité des brûlures augmenteront donc si l’intensité délivrée est trop importante (de façon accidentelle ou du fait d’un dysfonctionnement du générateur) et avec la durée d’application, parfois longue chez un patient anesthésié. Dès lors, ces brûlures sont classiquement profondes (mais limitées à la surface de contact de la plaque) avec un aspect de peau cartonnée et un sillon disjoncteur (Cf. photo 4).
Sur le plan thérapeutique, en fonction de la profondeur et l’étendue de la lésion, une cicatrisation peut être obtenue soit par cicatrisation secondaire (pansements et produits cicatrisants divers) lors d’atteinte d’une surface réduite, soit par exérèse des tissus brûlés et sutures ou lambeau/greffe cutané.
Comment prévenir ces accidents ?
L’ensemble du personnel du bloc doit être formé sur les risques électriques et l’utilisation du dispositif (procédures) : fonctionnement du générateur et maintenance régulière du matériel, installation correcte de l’animal et de la plaque, risques d’interférence avec le matériel de surveillance anesthésique (ECG), application adéquate des solutions antiseptiques (temps de séchage surtout), préférence pour les blouses et champs à usage unique non inflammables.
Conlusion
La prévention de ces brûlures par bistouri électrique repose avant tout sur la formation de l’équipe chirurgicale et le respect des règles d’utilisation et de maintenance de cet appareil.
Bien que l’utilisation de cette technique chirurgicale se soit largement développée ces dernières décennies, le sujet de ces brûlures spécifiques est très rarement évoqué, compte tenu de son caractère iatrogène ; mais il ne doit pas être nié par la structure « responsable » : admettre le phénomène ne revient pas à reconnaître une erreur, mais au contraire permet d’établir un dialogue vétérinaire-propriétaire sur des bases d’honnêteté et ainsi limiter le risque d’une plainte. Dans le cas présenté, les échanges entre la propriétaire, notre structure et le vétérinaire initial ont été très cordiaux et la RCP de ce dernier a pris en charge les frais secondaires à la brûlure.
Remerciements
A Frédérique DEGORCE-RUBIALES et Jean-Charles HUSSSON du LAPVSO pour la lecture et les photos des lames histopathologiques.
Références
Diop B et coll. Complications inattendues de la chirurgie : deux cas de brûlure par plaque de bistouri électrique. Annals of Burns and Fire Disasters, 2016; 26 (4) : 286-8.
Khales A et coll: Burns by electric scalpel blade: four cases. Ann Burns Fire Disasters, 2010; 23: 151-4.
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Sang-Bae Chae et coll. Fires and Burns Occurring in an Electrocautery after Skin Preparation with Alcohol during a Neurosurgery. J Korean Neurosurg Soc, 2014; 55(4):230-3.
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