Dune est une chienne de race Colley sable de 10 ans, elle est nourrie avec une nourriture industrielle de type supermarché et est régulièrement déparasitée (APE, API). Elle n’a jamais présenté de problème cutané…
Christian Collinot
La discussion originelle sur le forum était ici :
Quel est votre diagnostic [Septembre 2019] ?
Anamnèse
Suite au décès de son compagnon à quatre pattes et à une période d’anorexie, elle débute ses ennuis dermatologiques par un « prurit/douleur/TOC » se traduisant par des morsures/léchage vulnérants sur les membres. Suite à un traitement corticoïde à dose anti-inflammatoire et l’utilisation de DouxoCalm ND, morsures et léchage se sont interrompus. Il reste l’apparition de « plaies » sous les pattes qui ne guérissent pas ou mal dès qu’elle marche sur des surfaces un peu agressives comme des graviers. Elle est mise sous antibiotique. L’apparition de nouvelles lésions a provoqué sa demande de prise en charge en référé.
Examen clinique général
Il n’ y a rien de particulier à signaler, son état d’embonpoint est correct, une analyse biochimique a été effectuée en surveillance hépatique (ALT : 30UI, ALKP : 27UI, ALB : 30g/l)
Photo 1 : vue générale
Examen dermatologique
On note une alopécie ventrale s’étendant aux faces arrières des deux membres antérieurs jusqu’en dessous des coudes et sous la vulve, au départ des cuisses, avec des plaques plus ou moins étendues d’hyperpigmentation. La peau est souvent érythémateuse.
Photo 2 : alopécie et plaques d’hyperpigmentation
Photo 3 : alopécie ventrale
Photo 4 : alopécie au départ des cuisses
Il existe en plus une lichenification de la zone des coudes (réactionnelle aux frictions et pression ?)
Photo 5 : alopécie et lichenification coude
Une alopécie plus diffuse ou en petites plaques plus érythémateuses est visible au bout des pattes, accompagnée souvent de squames psoriasiformes voire de squames-croûtes et d’une corne anormale (hyperkératose et anomalies de structure) des coussinets.
Photo 6 : alopécie hyperpigmentation squames membre antérieur
Photo 7 : alopécie hyperpigmentation et squames membre postérieur
Photo 8 : détail partie distale antérieur
Photo 9 : alopécie et anomalies des coussinets 1
Photo 10 : alopécie et anomalies des coussinets 2
On ne note aucune atteinte dorsale ni faciale ni périorificielle.
Photo 11 vue dorsale
Hypothèses diagnostiques
Exceptionnellement, il n’ y en aura pas puisque c’est à vous de donner vos idées sur le forum pendant un mois, les investigations complémentaires pour vous aider arrivent dans le prochain chapitre.
Examens complémentaires
Les examens simples, raclages, calques, trichogramme, examen en lampe de Wood…n’amènent aucun élément diagnostique supplémentaire.
Comme beaucoup de nos hypothèses impliquaient la réalisation de biopsies, celles-ci ont été faites et confiées au LAPVSO.
Six biopsies ont été réalisées :
Tous les prélèvements sont fait dans les zones alopéciques,
1/ zone érythémo-squameuse lichénifiée du coude
2/ zone érythémateuse du bras
3/ zone érythémateuse du thorax
4/ zone hyperpigmentée du thorax
5/ zone érythémateuse antérieur droit
6/ zone squamo-croûteuse antérieur gauche.
voici leur compte-rendu :
Six biopsies cutanées sont examinées selon différents niveaux de section et après réaction au PAS. On observe selon les biopsies, une intensité lésionnelle variable de discrète à modérée à très marquée sur au moins deux des biopsies transmises. On observe une hyperplasie discrète à marquée de l’épiderme avec un fin bourgeonnement des couches basales ou un bourgeonnement plus épais avec une hyperplasie d’aspect psoriasisforme, mais sans amincissement de la zone épidermique supra-papillaire. Cette hyperplasie peut devenir également papillomatose. Sur les biopsies où l’aspect lésionnel est le plus prononcé, on observe une nette hypergranulose avec alternance de zones normales et de zones où la couche granuleuse est très développée proéminente. On observe également dans la couche cornée, à la fois dans un axe vertical et dans un axe horizontal, une alternance d’hyperkératose orthokératosique et parakératosique avec parfois un aspect en pseudo-lamelles cornoïdes. L’épiderme est très faiblement spongiotique, il montre une discrète exocytose lymphocytaire plutôt dans les couches basales. On note la présence de rares cellules dyskératosiques ou apoptotiques dans la couche basale de l’épiderme. On note une importante kératose folliculaire avec développement de bouchons folliculaires associés à une dilatation folliculaires non comédoneuse. En outre ces follicules pileux sont souvent cernés d’une mucinose dermique associée à une fibrose lamellaire périfolliculaire discrète et à une atrophie de la portion profonde des follicules pileux avec déviation télogène du cycle folliculaire. On observe en outre une cellularité dermique relativement augmentée qui est difficile à caractériser mais qui semble souvent périvasculaire à angiocentrée, sous la forme de cellules lympho-plasmocytaires principalement. On note souvent une fibrose du derme superficiel et à la jonction dermo-hypodermique, la transition, peut être floutée par une mucinose discrète. Aucun élément figuré, ni parasitaire, ni fongique n’a été détecté sur les différents plans de section effectués, ni sur la réaction au PAS.
Conclusion :
Mise en évidence d’une dermatite d’interface peu cellulaire avec mucinose dermique périfolliculaire, hyperplasie épidermique psoriasiforme irrégulière, alternance de para- et d’orthokératose verticalisée ou horizontale au sein de la couche cornée, présence de bouchons cornés folliculaires, de cellules épidermiques dyskératosiques et production de lamelles cornées pseudo-cornoïdes.
Certains pourraient avoir envie d’un dosage hormonal ; le voici pour alimenter votre réflexion :
Cortisol : basal : 98 nmol/l après stimulation ACTH : 330 nmol/l
T4 libre : 17 pmol/l TSH : 0,1 mg/ml
Diagnostic et Traitement
Seulement deux personnes se sont lancées dans une recherche de diagnostic
Merci à Daniel Goran :
Neurodermatitis the alopecia has multiple linear jagged areas, rather than round borders, pointing to factial origin, (post inflammatory hyperpigmentation), history is very consistent with a factitial etiology, i would treat with systemic steroids and benadryl
et à Florelis Gamboa :
Bonjour, Pour moi c’est une pododermatitis associée à Idiopathic lichenoid dermatosis.
Diagnostic
Nos hypothèses de départ étaient :
Dans la famille des troubles métaboliques : Syndrome nécrolytique migrant (hépato-cutané)
Dans la famille des accidents cutanés: Toxidermie
Dans la famille des MAI : Lupus
Dans la famille des infiltrations malignes : Lymphome épithéliotrope
Par rapport aux résultats des examens complémentaires, rien ne colle vraiment.
Nous retiendrons deux parties à ces résultats :
- 1 : une vascularite pauvre en cellules (cell poor vasculitis)
quelques cellules apoptotiques de la basale
exocytose lymphoïde dans les couches basales
cellularité dermique augmentée notamment périvasculaire
kératose folliculaire avec mucinose périphérique (a)
fibrose derme superficiel et jonction dermo-épidermique (a)
hyperkératose des coussinets
(a) aussi dans hypothyroïdie mais démentie par les analyses endocriniennes
- 2 : un syndrome psoriasiforme
aussi hyperkératose des coussinets
hyperplasie épidermique papillomateux plus moins d’aspect psoriasiforme
hypergranulose
hyperkératose ortho et parakératosique
pseudo-lamelles cornoïdes
Le 1 fait penser en premier lieu chez un Colley à une dermatomyosite. Il est aussi décrit une dermatopathie ischémique généralisée idiopathique chez le Berger Allemand (generalised idiopathic ischemic dermatopathy) mais qui est beaucoup plus ulcérative.
L’association à l’aspect psoriasiforme n’est pas évidente.
Le Dr Degorce-Rubiales (tous mes remerciements pour son aide et ses recherches pour ce cas) a attiré notre attention sur une pathologie humaine : le syndrome de Wrong qui associe simultanément un Pityriasis rubra pilaris et une dermatomyosite.
Syndrome de Wrong : lésions typiques de dermatomyosite et des zones d’hyperplasie psoriasiforme de l’épiderme avec parakératose en bandes horizontales ou verticales, papules folliculaires et kératodermie palmo-plantaire (pityriasis rubrapilaire). Il y a une myosite des muscles pilo-arrecteurs chez l’homme. Chez l’adulte c’est un marqueur de cancer.
Diagnostic jusqu’à preuve du contraire : Pseudo Syndrome de Wrong.
Ce diagnostic ne doit pas cacher notre ignorance, il n’a rien d’un diagnostic étiologique et se contente d’être une simple juxtaposition de modes réactionnels tels que décrits par l’anatomopathologiste, comme dans l’onyxis lupoïde par exemple. Dans les années à venir, nos chercheurs en cytokines, neurotransmetteurs etc. devraient pouvoir mieux nous expliquer ce qui se passe et pouvoir ainsi remonter au facteur étiologique.
Traitement
Pentoxifylline (Torental ND) 400mg BID
Prednisolone : 20mg/j le matin puis diminution progressive
Suivi
Le traitement a été totalement arrêté au bout de 3,5 mois, la guérison apparente est totale et il n’y a pas eu de rechute depuis 1 an. Une surveillance est mise en place pour voir si, comme chez l’homme, un cancer va apparaître, mais rien de tel pour l’instant.