La présence d’épaississements (« hyperkératose ») des coussinets est un motif relativement peu fréquent de consultation en médecine canine. Toutefois, un certain nombre d’entités peuvent se présenter sous cette forme clinique. A côté de certaines génodermatoses de mieux en mieux caractérisées (notamment dans la race Dogue de Bordeaux), d’autres maladies peuvent provoquer cette présentation, comme rapporté ici.
Emmanuel Bensignor,
Dr Vétérinaire, Spécialiste en dermatologie
Consultant en dermatologie (Paris, Rennes-Cesson, Nantes, Marseille)
Juillet 2018
Signalement- anamnèse- motif de consultation
Un chien Sharpeï, mâle, âgé de trois ans, est présenté à la consultation de dermatologie pour des lésions podales douloureuses. L’animal est nettement gêné lorsqu’il marche sur des surfaces dures ou caillouteuses. Aucun prurit n’est toutefois rapporté. Le chien est correctement vacciné et vermifugé et il mange une alimentation haut de gamme achetée en animalerie. Etonnamment, aucune anomalie dermatologique n’est rapportée avant cet épisode ( !). Le traitement antipuces est à jour (une application mensuelle d’une pipette contenant une association perméthrine/imidaclopride). Les lésions ont débuté trois mois auparavant, initialement sur les membres antérieurs, mais rapidement les postérieurs ont été touchés. Le propriétaire décrit des fissures douloureuses et un gonflement des doigts. Les traitements mis en place avant que l’animal ne soit référé consistent en des parages aux ciseaux des lésions après balnéations locales. Cette thérapeutique n’a permis aucune amélioration, et au contraire semble invalidante pour le chien.
Examen clinique
L’examen général ne montre pas d’anomalie. L’examen dermatologique à distance montre des lésions exclusivement localisées aux extrémités podales. Il s’agit d’épaississements marqués des coussinets, qui par endroits forment des cornes et des projections exubérantes saillantes, rendant les aplombs difficiles (photo 1). Sur la face ventrale, il est également possible de noter, outre ces lésions épaissies, des grandes squame-croûtes mélicériques en périphérie des coussinets (photo 2). Le tissu interdigité apparaît érythémateux. La palpation des coussinets est douloureuse.
Photo 1 : face antérieure d’un membre : notez les projections cornées de grande taille
Photo 2 : face ventrale d’un membre atteint : épaississement marqué des coussinets, pustule mélicérique, érythème interdigité
Hypothèses diagnostiques
La principale hypothèse diagnostique face à ces lésions cutanées est celle d’une dermatite auto-immune superficielle de type pemphigus foliacé. Moins probablement, une leishmaniose, une dermatite à ankylostomes, une hyperkératose digitée génétique et un mycosis fongoïde sont suspectés.
Examens complémentaires
Des raclages ne montrent pas de parasite. Des examens cytologiques sont réalisés en prélevant les exudats présents sous les squame-croûtes mélicériques. Ils montrent tous des polynucléaires neutrophiles accolés à des cellules basophiles de grande taille, arrondies (« kératinocytes acantholytiques ») (photo 3). Des biopsies effectuées sous anesthésie générale confirment l’hypothèse de pustulose acantholytique stérile, compatible avec un pemphigus foliacé. Par ailleurs, une sérologie leishmaniose se révèle négative.
Photo 3 : examen cytologique (Diff Quik®, Gx1000) : présence de polynucléaires neutrophiles et de kératinocytes acantholytiques, absence de germe