Du défaut de barrière cutanée des chiens atopiques…

Après plusieurs bulletins écrits sur des sujets liés aux allergènes, j’ai pensé que nous aurions besoin d’un changement de sujet temporaire !

Dans ce bulletin, en raison de la publication en 2022 de deux articles pertinents, je souhaiterais disserter sur la barrière cutanée défectueuse des chiens atopiques et sur l’opportunité de la corriger sur le plan thérapeutique !

 

Thierry Olivry

Thierry Olivry, Dr Vet, PhD, DipECVD, DipACVD

Professeur Emeritus

NC State University College of Veterinary Medicine, Raleigh, Caroline du Nord, États-Unis

Directeur de recherche et développement

Nextmune, Stockholm, Suède

 

Avant de passer à ces articles, résumons brièvement la barrière cutanée chez les individus normaux et atopiques.

 

La barrière cutanée chez les individus normaux et atopiques

Trois composants principaux sont responsables de la fonction barrière de la peau des mammifères : 1) les cellules mortes et aplaties dans la couche cornée (cornéocytes), couche la plus externe de l’épiderme, 2) les lipides complexes entre ces cellules, et 3) le microbiote de surface, qui a été ajouté récemment sous le nom de “barrière microbienne”. Classiquement, cette barrière est représentée comme un mur de briques (les cornéocytes) et de mortier (les lipides intercellulaires), sur lequel reposent les bactéries, les levures et les virus.

Une barrière cutanée efficace empêche le contact des allergènes avec les kératinocytes vivants et les cellules immunitaires dans et sous l’épiderme ; elle contrôle aussi simultanément l’évaporation de l’eau à travers la couche cornée.

Longtemps oubliée dans les discussions sur la pathogenèse de la dermatite atopique (DA) humaine, la barrière cutanée a occupé le devant de la scène il y a deux décennies avec la découverte des mutations du gène codant la filaggrine (FLG) comme à l’origine de la DA chez certains patients. On sait aujourd’hui que ces mutations entraînent un aplatissement et une forme anormale des cornéocytes, une pénétration accrue des allergènes dans l’épiderme et une hydratation réduite de l’épiderme ; les mutations de FLG suffisent à elles seules à déclencher une inflammation allergique. De plus, des études ultérieures ont confirmé qu’une fois l’inflammation développée, elle entraîne une déficience secondaire et acquise en filaggrine et autres protéines structurelles, une sécrétion insuffisante et anormale de lipides intercellulaires et une microflore de surface moins diversifiée avec prolifération de Staphylocoques.

Le cycle ci-dessus représente une théorie fondamentale de la pathogenèse de la DA ! Ce cercle vicieux “outside-inside-outside ” peut être résumé comme suit : déficit en filaggrine [outside] => inflammation allergique [inside] => défaut de barrière secondaire [outside].

Après la démonstration sans équivoque, par plusieurs groupes de recherche, d’anomalies de plusieurs protéines épidermiques (dont la filaggrine) et des lipides épidermiques, il est maintenant clair qu’une barrière épidermique défectueuse existe aussi chez les chiens atopiques, même si des mutations de FLG n’ont pas encore été rapportées dans cette espèce. La caractérisation du dysfonctionnement de la barrière dans la DA canine a conduit au développement de produits visant à le corriger, qu’il s’agisse de régimes riches en lipides ou de topiques hydratants contenant des lipides.

Suite aux résultats de deux études publiées en janvier 2022, je souhaite explorer deux facettes différentes du défaut de barrière cutanée dans la DA canine : l’une mécanistique et l’autre thérapeutique.

 

Le déficit en filaggrine chez les chiens atopiques est transitoire et se rétablit de lui-même

Pendant 15 ans, j’ai eu l’occasion d’étudier une colonie de chiens présentant une prédisposition spontanée à développer la DA. Ces chiens étaient facilement sensibilisés à l’acarien de la poussière de maison Dermatophagoides farinae par application cutanée. Ils développaient ensuite de petites lésions au niveau du site d’application lorsqu’ils étaient exposés à une quantité infime d’acariens sur leur peau. La plupart du temps, ces lésions cutanées disparaissaient spontanément environ une semaine après la provocation. Ce modèle de lésions de DA à résolution spontanée nous a permis d’étudier plusieurs aspects différents de la barrière cutanée pendant les crises d’allergie.

Dans l’édition de janvier 2022 du journal Veterinary Dermatology, nous avons rapporté (ici) les changements dans les produits de dégradation de la filaggrine après la provocation allergénique.

Nous avons pris quatre chiens sensibilisés à l’acarien de poussière de maison et nous avons exfolié la surface de leur peau avant d’avoir appliqué une petite quantité d’extrait d’acarien sur l’abdomen droit et 1, 2, 3 et 28 jours après. Nous avons exfolié de la même manière le thorax gauche, éloigné du site d’application de l’allergène, pour servir de témoin.

Comme prévu, les lésions cutanées se sont développées sur le site d’application et à un degré mineur (et avec un certain retard) sur le site témoin. Au jour 7 suivant la provocation, après trois jours d’oclacitinib pour prévenir la douleur, les lésions avaient disparu.

Nous avons ensuite mesuré les niveaux de surface des facteurs d’hydratation naturelle (NMF : Natural Moisturizing Factors), qui contiennent des produits hygroscopiques issus de la dégradation de la filaggrine, importants, comme leur nom l’indique, pour l’hydratation de la peau. Tous les NMF et certains de leurs composants ont rapidement diminué après la provocation allergénique, avant de remonter au fur et à mesure de la guérison des lésions. En effet, les scores de lésions cutanées et les concentrations de NMF étaient inversement corrélés : plus les scores de lésions étaient élevés, plus les niveaux de NMF étaient faibles !

Les niveaux de NMF étaient également réduits loin du site de la provocation, confirmant ainsi les conséquences systémiques et étendues d’une provocation cutanée localisée par un allergène, même minime.

Cette étude nous semble digne d’intérêt. Dans ce modèle de lésions cutanées aiguës de DA, le déficit en filaggrine (tel qu’estimé avec ses produits de dégradation) était corrélé aux scores de lésions cutanées ; les changements se sont résorbés avec la disparition des lésions. En outre, le déficit en NMF a également été observé à distance des sites d’application des allergènes. Cette observation a confirmé que les anomalies chez les chiens atopiques ne sont pas seulement limitées aux zones visiblement lésionnelles, mais sont également présentes dans la peau d’apparence normale.

Nos études antérieures, qui utilisaient un design similaire, avaient établi au préalable que les deux autres composants de la barrière cutanée étaient également transitoirement altérés après une provocation allergénique avant de se normaliser après la disparition spontanée des lésions. En effet, nous avons montré (ici) que les céramides cutanés, les principaux lipides formant la barrière, évoluaient comme les NMF dans l’étude actuelle : une diminution transitoire avant leur retour à la normale. De même, les lésions cutanées induites par les acariens de la poussière de maison étaient suivies d’une augmentation temporaire et à résolution spontanée de la population de Staphylococcus pseudintermedius (ici).

Dans l’ensemble, ce modèle expérimental de lésions cutanées aiguës de DA chez le chien a été très utile pour démontrer que les trois principaux composants de la barrière cutanée (protéines de la couche cornée, lipides intercellulaires, microbes) sont tous transitoirement altérés après la provocation de lésions cutanées allergiques légères à modérées. Avec leur guérison, cependant, ces trois composants de la barrière cutanée se sont tous rétablis.

Le dysfonctionnement de la barrière cutanée observé chez les chiens atopiques semble consécutif à l’inflammation allergique. Il est possible qu’un défaut de barrière primaire (c’est-à-dire génétique) existe chez certains chiens ou races de chiens, mais aucun n’a été signalé jusqu’à présent.

Alors pourquoi ne pas se contenter de réduire l’inflammation cutanée à l’aide de médicaments antiallergiques puissants ?

Déjà, dans la conclusion de notre article de janvier, nous avions soulevé l’hypothèse que l’ajout d’une approche corrigeant la barrière lipidique pourrait entrer en synergie avec les médicaments anti-allergiques pour améliorer davantage les signes cliniques de la DA canine.

La deuxième étude, ci-dessous, étaye cette hypothèse.

 

L’ajout de topiques riches en lipides peut être synergique avec le traitement anti-allergique

Cette étude (ici) est un essai contrôlé randomisé d’une durée d’un mois auquel ont participé 30 chiens atteints de DA modérée à sévère, en fonction de leur score de lésions CADLI. Les chiens ont été randomisés pour recevoir une injection de l’anticorps monoclonal anti-IL-31 lokivetmab (Cytopoint®, Zoetis) seul ou avec l’ajout de topiques hebdomadaires riches en lipides et à base de plantes (ATOP 7® Shampoo + ATOP 7® spot-on, Dermoscent®-LDCA ; une société Nextmune). Les chiens ont été réexaminés trois fois au cours du mois suivant.

Dans cette étude, tous les résultats des mesures examinées sont en faveur d’une approche combinée !

Les lésions cutanées se sont améliorées au fil du temps dans les deux groupes, mais, lors de la dernière visite au jour 31, les scores CADLI étaient significativement plus faibles dans le groupe lokivetmab + ATOP 7® que chez les chiens recevant le lokivetmab seul.

De même, une différence significative entre les groupes en ce qui concerne les valeurs de prurit (PVAS10) a été constatée plus tôt avec le traitement combiné, des scores plus faibles étant observés dès le 17ème jour.

L’évaluation globale de l’efficacité du traitement par les propriétaires (OGATE) était significativement plus élevée à la fin du protocole chez les chiens ayant reçu le traitement combiné.

Les “scores cosmétiques”, qui évaluent la qualité du pelage, la sécheresse de la peau, la desquamation et l’odeur, étaient significativement meilleurs dès le dixième jour avec la thérapie combinée ; ils le sont restés pendant le reste de l’étude.

Enfin, et c’est intéressant, la thérapie combinée a permis une légère “prolongation ” du délai avant que les propriétaires n’amènent leur chien pour une seconde injection de lokivetmab (moyenne de 38 jours contre 33 jours) ; une interprétation possible est la prolongation de la durée d’action du lokivetmab grâce aux soins topiques.

Dans l’ensemble, les résultats résumés ci-dessus sont en faveur de l’ajout de topiques riches en lipides à l’anticorps monoclonal antiprurigineux et antiallergique déjà puissant ! 

Comme critique mineure, j’aurais aimé que tous les chiens mangent des aliments ayant une teneur similaire en acides gras pendant quelques mois au préalable afin de normaliser leurs lipides cutanés au moment de leur inclusion dans l’étude. De même, étant donné que le bain seul peut atténuer les signes de la DA canine, il eut été idéal que les chiens recevant le lokivetmab fussent baignés avec un shampooing ordinaire non émollient ; cela aurait permis de confirmer que les avantages de la thérapie combinée sont uniquement dus à la formulation unique d’ATOP 7®, et pas seulement au bain.

Quoi qu’il en soit, les résultats de cette étude clinique randomisée devraient inciter à tester davantage ces thérapies combinées pour leur effet synergique avec d’autres médicaments antiallergiques. Si l’inflammation allergique seule peut déclencher un dysfonctionnement secondaire de la barrière cutanée, un défaut qui semble se résorber avec la guérison des lésions cutanées, les interventions visant à restaurer la barrière – qu’elles soient alimentaires ou topiques, ou les deux – semblent constituer des compléments précieux à un traitement multimodal de la DA canine.

Il n’y a pas un seul médicament qui sera bénéfique à tous les chiens atteints de DA, tout le temps ! Comme nous l’avons conclu dans nos lignes directrices de 2015 pour le traitement de la DA canine (ici).: “…le traitement de cette maladie est multimodal et les approches devraient être combinées pour un bénéfice optimal prouvé (ou probable)”.

L’étude décrite ici avec l’ATOP 7® est un nouveau pas dans la bonne direction !

 

Confraternellement,

 

Thierry Olivry

 

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