Un cas de pemphigus foliacé félin associé à une dermatophytose


eric-florantAuteur : Eric Florant – 20
Ces de Dermatologie – Ex chargé de consultation de dermatologie ENVA
Clinique vétérinaire Les Sablons
78370 Plaisir

 


Commémoratifs et anamnèse

Cette chatte sans antécédent, qui vit en maison et chasse, a commencé par un fort épisode de coryza 4 mois avant le début des signes dermatologiques, avec baisse de forme et d’appétit,  hyperthermie et rhinite. Des épisodes récurrents dans les mois suivants ont conduit à la prescription de plusieurs traitements antibiotiques. Au cours d’un épisode avec anorexie marquée, une stomatite importante a été remarquée par le vétérinaire traitant qui a hospitalisé l’animal pour une extraction de dents les plus abîmées et une perfusion. A cette occasion un bilan de base (numération formule et biochimie) a été réalisé et il était normal. C’est au cours de cet épisode que les 1ers signes dermatologiques ont été remarqués au niveau des doigts, et d’une oreille. Malgré les traitements antibiotiques et corticoides administrés (dernier traitement donné : enrofloxacine (Baytril®) et cefalexine (Therios®) et une injection de méthylprednisolone retard (Depomedrol®) faite 3 semaines avant), les signes se sont aggravés, et la 2° oreille a été touchée, conduisant à la consultation référée.

Examen clinique 

Le jour de la consultation, la chatte n’a plus de signes de coryza, mais est un peu apathique, et douloureuse au niveau des pattes. Les lésions sont localisées au niveau des 2 oreilles et de tous les doigts. Au niveau des oreilles, on note un érythème avec des croûtes jaunâtres sur les pavillons internes, et sur les pavillons externes des croûtes plus foncées dont certaines assez épaisses avec des zones d’alopécie nummulaire secondaire dans les zones où les croûtes sont tombées. Dans ces zones la peau apparait érythémateuse, voire légèrement squameuse dans les zones plus anciennes. La peau apparaît exulcérée et suintante sous les croutes retirées au cours de l’examen. Les doigts des 4 pattes sont atteints et sont un peu gonflés et douloureux rendant  l’examen (et les photos !) difficile. Des croûtes sont présentes au niveau des bourrelets unguéaux, associé à la présence entre la griffe et le bourrelet d’un exsudat crémeux en quantité importante (ressemble à du pus épais). Les griffes elles même sont normales.

Bilan clinique : nous sommes donc en présence d’une dermatose croûteuse chez un chat âgé localisée aux oreilles (pavillons externes et internes) et au niveau des bourrelets unguéaux avec une atteinte de l’état général, faisant suite à des épisodes récurrents de coryza.

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Les hypothèses diagnostiques envisagées sont :

hypothèses Arguments en faveur Arguments contre Examens complémentaires
à envisager 
Pemphigus foliacé
  • Croûtes face interne des pavillons auriculaires
  • Atteinte des bourrelets périunguéaux avec exsudat crémeux
  • Inefficacité de divers traitements antibiotiques
  • Age d’apparition

 

  • Localisation stricte au niveau des oreilles et des doigts peu fréquente

 

  • Calque sous une croûte
  • Biopsie pour histologie (mais localisation oreille et doigt délicate)

Dermatophytie

  • Localisation au niveau des oreilles avec extension
  • Alopécie et squamosis secondaire
  • Inefficacité des antibiotiques
  • Atteinte de tous les doigts
  • Examen à la lampe de wood
  • Trichogramme
  • Mycologie
Périonyxis bactérien

Associé à une rétrovirose ou une autre affection avec baisse d’immunité

 

  • Localisation au niveau des doigts
  • et suppuration
  • Coryza récidivant important (baisse de l’immunité ?)
  • N’explique pas les signes des oreilles

 

  • Calque
  • Antibiogramme
  • Test FELV FIV

Accident cutané médicamenteux

  • Aspect de pemphigus,
  • Nombreux médicaments prescrits pour le coryza,
  • il existe des pemphigus médicamento-induits

 

  • Localisation stricte au niveau des oreilles et des pattes
  • Démarche d’imputabilité
  • Biopsie pour histo
  • Arrêt du médicament responsable

Calicivirose

 

  • Coryza
  • Stomatite

 

  • Localisation stricte au niveau des oreilles et des pattes
  • Lésions plus ulcérées
  • Prélèvement cutané pour recherche virale par PCR

 

 

Examens complémentaires immédiats

Calques sous crustacés au niveau des oreilles: nombreux neutrophiles, kératinocytes acantholysés, pas de germes

Calques au niveau des bourrelets unguéaux : nombreux neutrophiles, quelques coccis extracellulaires

Examen à la lampe de Wood normal et trichogramme normal

Test FeLV FIV négatif (combo Idexx)

Mycologie (mise en route après discussion par le vétérinaire traitant avant l’envoi en référé): Trichophyton mentagrophytes isolé

Diagnostic : pemphigus foliacé associé à (ou compliqué d’) une dermatophytie à Trichophyton mentagrophytes (voir discussion)

Traitement

Nous prescrivons un traitement antifongique par voie orale itraconazole (Itrafungol ®) une fois par jour une semaine sur 2 et un traitement antibiotique de marbofloxacine (Marbocyl®) à la dose de 3mg/kg/jour pendant 1 mois

Suivi

Après 1 mois de traitement, les lésions ont totalement disparu au niveau des oreilles (il ne reste qu’un léger érythème) ; au niveau des pattes, l’amélioration est visible, mais il persiste encore des croûtes et un érythème avec un exsudat au niveau de certains doigts. Les calques montrent des neutrophiles avec toujours quelques coccis extracellulaires, quelques kératinocytes acantholysés sont visibles sous une croûte dans une zone sèche. Une mycologie de contrôle est réalisée. Entretemps le traitement antifongique avec l’itraconazole est maintenu, ainsi que l’antibiotique.

Lors du contrôle réalisé 1 mois après, la suppuration a disparu, mais il persiste toujours des croûtes avec un érythème au niveau des doigts. Etant donné que le résultat de la mycologie est négatif nous prescrivons un traitement corticoïde à une dose immunosuppressive(le bilan sanguin datant de 2 mois avant, rénal en particulier était bon), à base de dexamethasone (Dexoral®) à une dose de 0,2mg/kg/jour pendant 1 mois

Au contrôle suivant, les lésions ayant totalement disparu, nous décidons de commencer à diminuer la posologie de la dexaméthasone à la même dose de 0,2mg/kg mais un jour sur 2pendant 1 mois puis à à 2 fois par semaine pendant 1 mois.

Mais 2 mois après l’arrêt du traitement, des lésions sont réapparues au niveau de 3 doigts avec le même aspect d’atteinte des bourrelets unguéaux qui sont érythémateux, croûteux et avec un exsudat crémeux. Cette fois ci la mycologie est aussi négative. Un traitement à base de dexaméthasone est prescrit à nouveau à la même dose, avec diminution progressive jusqu ‘à une prise bi-hebdomadaire maintenue en entretien pour éviter les rechutes. A ce jour, 6 mois après le chat est bien stabilisé, les examens sanguins, pour vérifier la bonne tolérance du traitement, sont bons.          

Discussion

Le pemphigus foliacé est la plus fréquente des dermatoses d’origine auto-immune chez le chat, qui restent cependant des maladies rares. Cette dermatose bulleuse qui affecte l’épiderme et les follicules pileux apparaît suite à la présence d’auto-anticorps qui entraine une rupture des desmosomes des kératinocytes. Ce phénomène appelé acantholyse aboutit à une perte de cohésion des kératinocytes avec la formation de vésicules et de bulles intraépidermiques. Le mécanisme exact et la cible des auto-anticorps n’est pas connue chez le chat.

Chez le chien, le pemphigus foliacé peut être secondaire à des dermatoses chroniques, médicamento-induit, paranéoplasique ou idiopathique. Une prédisposition génétique est fort probable dans certaines races, mais n’a pas encore été totalement prouvée. Chez le chat, ont été rapportés quelques cas faisant suite à une dermatose chronique, un certain nombre de cas médicamento-induits, 2 cas de chats d’une même portée avec une possible prédisposition génétique et un cas associé à un lymphome. La plupart du temps, les PF félins sont classés comme idiopathique.

Cliniquement, les lésions, souvent bilatérales et symétriques, sont localisées sur la tête, en particulier au niveau auriculaire, périoculaire, du chanfrein et de la truffe, ainsi qu’au niveau des coussinets, des bourrelets périunguéaux, et autour des mamelons (signe d’appel, mais pas toujours présent). Les lésions peuvent ensuite s’étendre sur le tronc, la queue, les pattes et le menton. Une localisation exclusive aux pattes est possible mais rare. Dans le cas présenté, les lésions n’étaient localisées qu’aux pattes et aux oreilles. Un prurit modéré est fréquent. Les signes généraux sont parfois présents de type fièvre, apathie et anorexie (apathie dans notre cas). Les examens sanguins sont non spécifiques (parfois neutrophilie et éosinophilie). Les lésions initiales (macules érythémateuses, vésicules, pustules) sont rarement observées. Ce qui domine avant tout c’est la présence de croûtes jaunes à marron foncé associées à un squamosis, des érosions et des dépilations. Au niveau des pattes, lorsque les coussinets sont atteints, on note un épaississement et des fissurations avec une douleur secondaire ; au niveau des replis unguéaux, un exsudat purulent est parfois présent (comme dans le cas présenté).

Il faut donc penser à un pemphigus foliacé, lorsque l’on est en présence d’une dermatose pustulocroûteuse chronique chez un chat d’âge moyen, localisée principalement sur la tête et qui a pu se généraliser, ou une dermatose qui n’affectent que les pattes.

Le diagnostic différentiel du PF inclut une pyodermite (rare chez le chat, en général secondaire dans certaines dermatoses allergiques), une dermatophytose (elles peuvent se manifester par une dermatite croûteuse de type dermatite miliaire, c.a.d. des croûtes de petite taille), voire une démodécie.

Le diagnostic passe d’abord par une cytologie idéalement d’une pustule intacte, ou du moins sous une croûte d’apparition récente. L’examen montre des polynucléaires neutrophiles non dégénérés, des éosinophiles et des kératinocytes acantholysés appelés acanthocytes isolés ou groupés en amas (image dite en radeau), voire entourés d’un anneau de polynucléaires neutrophiles (image dite en roue crantée). La plupart du temps, les germes sont absents, sauf parfois en cas d’évolution ancienne suite à une surinfection, et dans ce cas les germes sont plutôt extracellulaires que phagocytés, comme dans le cas présenté.

Le diagnostic définitif du PF chez le chat passe idéalement par des biopsies en vue d’un examen histopathologique. Sont recherchés des pustules en position sous cornée ou dans la couche granuleuse. Souvent elles englobent plusieurs follicules et les infunfibulums folliculaires sont atteints. Ces pustules contenant des kératinocytes acantholysés, des neutrophiles et des éosinophiles. La présence d’images en radeaux, en roue crantée et de kératinocytes se détachant du stratum corneum sont caractéristiques. La difficulté réside dans le fait que ces pustules sont transitoires, et qu’elles ne sont donc pas toujours visibles sur les prélèvements. Dans ce cas, sont recherchés des kératinocytes dégénérés libres dans les croûtes, mais les spongioses observées dans certaines pyodermites superficielles ou maladies inflammatoires de l’épiderme peuvent donner des images similaires. La présence de mastocytes, en plus des neutrophiles, dans le derme ne permet pas de faire la différence, car ils sont souvent présents dans tous les cas de maladie inflammatoire chez le chat. La méthode de réalisation des biopsies est donc primordiale : il faut idéalement prélever des pustules intactes, ou tout du moins dans les zones de lésions qui paraissent les plus récentes.

Certains auteurs considèrent que cette étape n’est pas forcément nécessaire, mais il faut dans ce cas s’assurer d’avoir éliminé toutes les autres causes d’acantholyse, c.a.d. certaines folliculites bactériennes (rares chez le chat). Chez le chien, il faut également les différentier de certaines dermatophytoses à Trichophyton mentagrophytes. Ces derniers cas, rares, (décrits également chez l’homme et chez le cheval) nommés dermatophytoses pustuleuses cornéophiliques, ou dermatophytoses acantholytiques ont une pathogénie différente du PF. Ce n’est pas la présence d’auto-anticorps qui déclenche la maladie, mais un autre mécanisme lié à la présence du champignon dans la peau. Le TM entraînerait une exocytose importante à travers l’épiderme de polynucléaires neutrophiles, due à une production de facteurs d’activation, responsable d’une augmentation de la kératogénèse entrainant une dislocation des desmosomes et la formation possible de pustules. La libération des produits d’activation des facteurs du complément pourraient aussi jouer un rôle. Pour ces cas de dermatophytoses rares, la difficulté réside dans le fait que la mycologie est souvent négative, si elle est réalisée à partir de prélèvement de poils. En effet, Trichophyton mentagrophytes a une croissance et un développement qui s’effectuent essentiellement par un envahissement des cornéocytes et non des tiges pilaires. Il est donc impératif de prélever en plus des poils, des squames et des croûtes. C’est pourquoi le diagnostic n’est parfois réalisé qu’avec l’examen histologique en coloration PAS qui montre la présence d’hyphes fongiques dans la couche cornée épidermique et infundibulaire.

Ces cas n’ont jamais été décrits, à notre connaissance, chez le chat, probablement parce que les infections par Trichophyton mentagrophytes sont rares. Dans le cas présenté, étant donné la culture positive révélant la présence de ce dermatophyte, nous nous sommes interrogés sur son rôle dans la dermatose observée. 2 interprétations sont possibles.

La première est que ce chat présentait 2 entités distinctes : pemphigus foliacé et dermatophytose à Trichophyton mentagrophytes, le dermatophyte profitant des lésions provoquées par le pemphigus pour se développer.

La deuxième est que ce cas correspond bien à une dermatophytose acantholytique. Seule la guérison des lésions des oreilles suite à l’administration de l’antifongique est en faveur. Plusieurs arguments sont en défaveur. Les lésions des pattes auraient dû aussi disparaître avec le traitement. Il n’y aurait pas eu de rechute, étant donné que le traitement a été bien mené jusqu’à la mycologie de contrôle négative. Le caractère généralisé au niveau de l’ensemble des griffes est aussi en défaveur.

Il aurait été bien entendu intéressant de pouvoir effectuer des biopsies cutanées pour visualiser les hyphes fongiques dans l’épiderme.

En conclusion, en présence d’un pemphigus foliacé chez un chat, il convient comme pour le chien de s’assurer, en faisant une mycologie correcte (prélèvement de poils, squames et croûtes) ainsi qu’en réalisant idéalement des biopsies cutanées,  qu’il n’y a pas de dermatophytose associée, avant de prescrire une corticothérapie immunosuppressive, sous peine d’entraîner une aggravation majeure de la dermatose. En attendant peut être un jour un cas de dermatophytose acantholytique vraie chez un chat.

Pour en savoir plus

Lire aussi les 2 autres cas de pemphigus foliacé chez le chat présenté sur le site, celui de Bénédicte Gay Bataille médicamento-induit, et celui de Marie Christine Cadiergues décrivant un cas très sévère (y sont détaillés les différents traitements de cette dermatose)

Bibliographie

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