Auteur : Bénédicte Gay-Bataille – Décembre 2009
Consultante en Dermatologie
CHV – 74370 – St MARTIN BELLEVUE
ANNECY
Commémoratifs
Un chien croisé âgé de 4 ans, stérilisé, présente depuis 3 mois des lésions autour des yeux, sur la truffe et sur le ventre, qui ont motivé deux consultations et traitements. Ce chien a été recueilli à l’âge de 4 mois dans un très mauvais état, en Haïti. Il vit depuis trois ans dans un chalet de montagne, en pleine nature, à 1000m. Son alimentation est mixte, de qualité moyenne.
Anamnèse
Ce chien n’a pas présenté de problème autre que dermatologique depuis son arrivée en France. Il a reçu un traitement à la griséofulvine pendant un mois, puis deux courtes corticothérapies orales. Ces traitements ont été suivis d’une amélioration, toujours transitoire.
Symptômes cliniques
L’examen clinique à distance révèle la présence de lésions périorificielles. En vue rapprochée, une dermite ulcéro-croûteuse affecte sévèrement le tour des yeux, le tour des lèvres et la truffe, et moins sévèrement les pavillons auriculaires et le prépuce. Il n’y a pas de prurit, et on ne note aucune atteinte de l’état général.
Photo 1 : Érosions, ulcérations et croûtes sur les pourtours oculaires et sur la truffe.
Photo 2 : Vue rapprochée: ulcération des piliers nasaux,
croûtes épaisses sur le planum nasal,
érythème et dépigmentation
des lèvres inférieures et supérieures
Photo 3 : Érosions, croûtes sur la face interne du pavillon auriculaire G
Photo 4 : Erosions et croûtes du pourtour prépucial
Hypothèses diagnostiques
Elles sont les suivantes:
- Pyodermite cutanéo-muqueuse (clinique très évocatrice)
- Lupus cutané, malgré l’absence de réponse durable après la corticothérapie mise en œuvre
- Pemphigoïde bulleuse (malgré l’absence d’atteinte générale et surtout buccale)
- Démodécie (peu probable)
Examens complémentaires
Des raclages cutanés sont réalisés en région péri-oculaire, ainsi que des calques cutanés sur les lèvres (par impression d’une croûte). Aucun élément figuré n’est observé. La cytologie révèle la présence de bactéries coccoïdes en position intracellulaire et des polynucléaires dégénérés. De nombreuses biopsies cutanées ont été réalisées en périphérie des lésions, sur des zones dépigmentées ou érythémateuses en voie d’érosion.
Les lésions microscopiques observées lors de l’examen histopathologique sont celles d’une dermatite d’interface: dégénérescence hydropique des cellules basales, infiltrat inflammatoire lichénoïde dermique lympho-plasmocytaire, incontinence pigmentaire (mélanophages). Sont également observés des kératinocytes apoptotiques dispersés au-dessus de la membrane basale.
Diagnostic
Malgré la présence de lésions microscopiques communes, la dégénérescence hydropique des cellules basales et l’apoptose permettent d’écareter le diagnostic de pyodermite muco-cutanée et de confirmer un diagnostic de lupus cutané.
Traitements
Une corticothérapie orale à visée immunosuppressive (prednisolone 1,5 mg/kg/J, soit 2 comprimés de DERMIPRED® 10) est mise en œuvre, associée à une antibiothérapie (céfalexine, 30mg/kg/j).
Suivis mensuels
J + 2 sem Une cicatrisation de la peau et de la jonction muqueuse autour des yeux est observée. Les croûtes sur le planum nasal sont presque toutes tombées. Il n’y a plus d’ érosions prépuciales. En revanche on note la persistance d’une sévère ulcération des piliers du nez, qui sont «creusés». La corticothérapie est diminuée: 1mg/kg/j pendant deux semaines.
Photo 5 : Cicatrisation péri-orbitaire et du planum nasal
Photo 6 : Vue rapprochée du nez:
persistance des ulcérations des piliers nasaux
Photo 7 : Vue rapprochée du globe oculaire:
cicatrisation de la jonction cutanéo-muqueuse
Photo 8 : Vue rapprochée du prépuce:
absence d’érosions
- J + 1 mois Un mois plus tard, le chien est revu. Une nette amélioration clinique est notéeau niveau du tour des yeux, du prépuce, et les croûtes sur le pourtour de la truffe ont disparues. Les piliers nasaux sont toujours érodés. La corticothérapie est maintenue deux semaine, puis arrêtée, et l’antibiothérapie maintenue une semaine. Il est prescrit, lorsque la corticothérapie sera achevée, un traitement à visée immunomodulatrice, associant doxycycline et nicotinamide (1 comp. de DOXY-GE® 100 mg et ½ comp. de NICOBION® 500 mgmatin et soir, pendant 6 à 8 semaines.
- J + 2 mois Il n’y pas d’amélioration par rapport au mois précédent. Un reprise des lésions et l’installation de quelques croûtes sur le planum nasal est notée. L’application quotidienne de clobétasol (DERMOVAL®) est prescrite en plus du traitement oral doxycycline/nicotinamide pendant 10 jours, puis un soir sur deux encore 20 jours.
- J + 3 mois Les lésions sont sensiblement identiques. Le traitement reste le même, mais il est ajouté le matin sur la truffe l’application d’un écran solaire.
- J + 5 mois: Sévère rechute des lésions péri-oculaires, nasales et prépuciales. Un traitement immunosupresseur est prescrit à nouveau: méthylprednisolone, 1,5 mg/kg/j (soit 1 comprimé et demi d’OROMEDROL® 16mg) pendant 2 semaines, puis 0,75 mg/kg/j encore 2 semaines, associé à de l’azathioprine, à 1,5 mg/kg/j, soit ½ comprimé d’IMUREL 50mg le soir pendant deux mois.
- Quinze jours plus tard une numération-formule sanguine ne révèle aucune anomalie.
- J + 6 mois: Les lésions sont assez bien contrôlées. Mais la PUPD inhérente à ce traitement est difficile à supporter par les propriétaires. L’azathioprine est stoppé une semaine plus tard, en raison de diarrhées incontrôlables. Le traitement doxycycline/ nicotinamide est prescrit à nouveau pour 6 semaines. A la place du clobétasol, une application quotidienne d’un spray à base d’acéponate d’hydrocortisone est prescrite sur la truffe, en protégeant les yeux, 1 fois/j pendant 10 jours, puis un soir sur deux encore 20 jours.
- J + 6,5 mois: Au téléphone le propriétaire confirme que le contrôle de l’état de la truffe n’est pas satisfaisant. Il précise que ce chien reste allongé toute la journée sur une terrasse, donc fréquemment en plein soleil d’altitude. Nous conseillons alors au propriétaire d’essayer de garder enfermé entre 10h et 16h son chien pendant deux semaines.
Photo 9 : le chien reste couché au soleil
de longues périodes dans la journée
- J + 7 mois: L’amélioration des lésions nasales est rapide et nette, l’essai est concluant: les lésions sont bien contrôlées sous éviction stricte solaire.
Photo 10 : Amélioration des lésions;
persistance d’érythème et de dépigmentation;
un tissu de granulation est observé sur les piliers nasaux.
Photo 11 : Bon contrôle des lésions péri-oculaires
L’animal est, depuis 6 mois, assez bien contrôlé par le protocole thérapeutique suivant: acéponate d’hydrocortisone, un jour sur deux, éviction stricte solaire et, en cas d’impossibilité, écran anti-actinique, enfin doxycycline/nicotinamide 6 semaines alternant avec 4 semaines de repos.
Discussion: le traitement du Lupus cutané
Le lupus cutané (LC) (anciennement nommé lupus discoïde) regroupe plusieurs entités différentes. C’est la dermatite auto-immune la plus fréquente dans l’espèce canine. L’examen histopathologique est la clé du diagnostic, bien que parfois il ne permette pas de différentier un LC d’une pyodermite cutanéo-muqueuse, entité récemment décrite.
Il n’existe pas de protocole standard de traitement scientifiquement établi par des études cliniques, mais plutôt un ensemble de traitements qui sont classiquement proposés et qui permettront un contrôle de l’affection, selon le stade de la maladie: atteinte peu évoluée ou débutante, atteinte modérée, atteinte sévère voire invalidante. Le propriétaire doit, dès le diagnostic effectué, avoir intégré la notion de traitement à long terme, voire à vie, avec un suivi régulier, pour juger de la bonne réponse au traitement (et de l’adapter en conséquence), enfin de la présence ou non d’effets secondaires.
Il s’agit d’une dermatose chronique dont le traitement nécessite de connaître quelques principes: chaque cas de LC est unique, et les thérapeutiques proposées sont à adapter au cas par cas, au fur et à mesure. Dans un premier temps, il faut utiliser les molécules les moins toxiques, avec des associations médicamenteuses qui permettent souvent de limiter les effets secondaires de chaque molécule. Il sera parallèlement important de choisir et d’adapter le traitement en fonction de l’animal et de son propriétaire (de sa motivation, de son budget).
* Dans le premier cas, si une atteinte unique de la truffe est rapportée, peu évoluée, un traitement topique est suffisant. Un bon contrôle peut être obtenu par l’application de dermocorticoïdes, qui seront espacées après amélioration, avec une éviction solaire, le plus souvent l’application d’un écran total. Les dermocorticoïdes sont au départ puissants (nouvellement classe IV): clobétasol (DERMOVAL®), acéponate d’hydrocortisone (CORTAVANCE®). Ils peuvent ensuite être relayés par des corticoïdes de classe faible.
* Pour les atteintes modérées mais plus évoluées, ces traitements topiques seront accompagnés d’un traitement à visée immunosuppressive. L’association de la doxycycline (la tétracycline n’est plus disponible) avec la nicotinamide, a été montrée efficace dans deux tiers des cas et sans effets secondaires. Si une infection secondaire nécessite un traitement, des topiques antibiotiques peuvent avantageusement remplacer une antibiothérapie systémique dans ces cas (acide fusidique FORUDINE®). L’intérêt de l’adjonction de vitamine E et d‘acides gras essentiels, pour leur action antioxydante, est plus discutée.
Il existe aussi une bonne alternative thérapeutique topique pour les cas plus évolués, sans recourir à une immunosuppression par voie générale. Topique à visée immunomodulatrice, le tacrolimus (PROTOPIC®, à 0,1%) est une molécule qui présente une action assez similaire à la ciclosporine, mais avec une activité supérieure. Il ne semble entraîner aucun effet secondaire. Son efficacité a été évaluée dans le traitement du LC. Deux tiers des chiens ont eu une très nette amélioration, un tiers une bonne amélioration et un tiers peu d’amélioration. Même si cette molécule est disponible en France, elle ne l’est qu’en milieu hospitalier (ordonnance sécurisée), elle reste assez onéreuse.
* Un traitement agressif est nécessaire pour les cas sévères ou très évolués. Il sera obligatoirement accompagné d’une antibiothérapie systémique. Une corticothérapie générale à dose immunosuppressive est indiquée, en diminuant les doses un fois l’amélioration constatée. Parfois, pour des cas réfractaires, il est nécessaire de recourir à une molécule immunosuppressive, l’azathioprine( IMUREL®), qui sera prescrite parallèlement à la corticothérapie, ou en relais lorsque cette dernière sera interrompue. Pour ces cas difficiles, la difficulté est de trouver un équilibre entre la plus petite dose d’immunosuppresseur et un aspect cutané ” correct “; il ne faut pas rechercher la perfection et tolérer la présence de quelques lésions non gênantes.
Le chlorambucil, le cyclophosphamide, le mycophénolate mofétyl, la dapsone, la pentoxyphylline sont des molécules peu ou pas utilisés dans le traitement du LC (absence de résultats ou de données). La ciclosporine n’a donné de bons résultats que de façon très anecdotique.
Les difficultés de traitements topique pour cette localisation de la truffe existent: léchage pouvant diminuer nettement la pénétration dermique et donc l’efficacité escomptée, et absorption buccale pouvant être à l’origine d’effets secondaires notoires. Une muselière peut être installée pendant 30 mn, pour limiter le léchage. Il semble que ce soit notamment le cas lorsque l’on applique des écrans solaires. L’éviction solaire stricte, thérapeutique souvent délaissée au profit de «nouvelles molécules», reste pourtant, comme nous avons pu le voir dans ce cas, un élément primordial de bon contrôle du LC, et notamment pour les cas sévères.
Quelques références
- M Forget, F DegorceRubiales, E Bensignor (2002). Cutaneous lupus in dogs – A retrospective study of 15 cases, Pratique Medicale et Chirurgicale de L Animal de Compagnie, , Vol 37,4, 305-317
- Griffies JD & coll (2004). Topical 0,1 % tacrolimus for the treatment of discoid lupus erythematosus and pemphigus erythematosus in dogs. J Amer Anim Hosp Assn 40 : 2941.
- White SD et col (1992). Use of tetracycline and niacinamide for treatment of autoimmune skin disease in 31 dogs. JAVMA, vol 200 : 1497-1500.