Auteur : Christian Collinot – Février 2014
Clinique vétérinaire du ROC
117, avenue du maréchal LECLERC
86100 CHATELLERAULT
Commémoratifs
Inna est une jeune chienne de 6 mois de race Epagneul français. Elle est nourrie avec des croquettes junior et est parfaitement vaccinée et déparasitée (API et APE). Elle vit à la campagne, maison et jardin (dont chenil) avec d’autres chiens. Sa maladie l’oblige a être maintenue à l’intérieur sous surveillance et elle ne sort plus qu’accompagnée dans le jardin.
Anamnèse
A l’âge de 4 mois, elle est présentée à son vétérinaire pour des lésions aux antérieurs après avoir gratté dans son chenil. Il y a principalement une atteinte du doigt IV de l’antérieur droit. Après 8 jours, les plaies des doigts sont décrites fibro-nécrotiques avec désinsertion phalangienne nécessitant l’amputation d’une phalange. Des pansements sont mis en place. Vingt jours plus tard, une hyperthermie (41°c) est notée avec baisse de l’état général et gonflement des ganglions pré scapulaires. Une antibiothérapie est mise en place (céphalosporine) avec des AINS. Les doigts sont très gonflés. Une boiterie du postérieur droit avec hypertrophie du ganglion poplité des deux côtés est notée. De l’enrofloxacine est ajoutée au traitement antibiotique. Un mois plus tard est notée une récidive de la fièvre avec gonflement important des doigts, qui ne sont jamais redevenus normaux. Une radiographie montre une lyse osseuse sur la phalangette du doigt III de l’antérieur droit, pas de problème radiologique sur l’antérieur gauche. Un mois plus tard, l’atteinte persiste, plus de doigts des antérieurs sont touchés avec un écoulement séro-hémorragique, des ganglions préscapulaires qui restent hypertrophiés et une hyperthermie (toujours sous antibiothérapie).
La griffe pousse à travers le coussinet remanié du doigt III de l’antérieur droit. Le port permanent d’une collerette est nécessaire pour éviter les automutilations et la moindre baisse de la garde se solde par de nouvelles lésions auto-infligées. Par contre la douleur est peu ou pas décrite et, en dehors des accès fébriles, la chienne est très gaie et utilise normalement ses antérieurs sans boiterie. L’amputation du doigt V de l’antérieur gauche est effectuée en vue d’un examen histologique et bactériologique. La plaie de l’amputation peine à cicatriser et se réouvre.
Résultat de la bactériologie : Escherichia coli multirésistant. Résultat de l’histologie : descriptif: lyse osseuse des dernières phalanges : un fragment osseux est examiné après décalcification. On observe focalement une érosion d’un cartilage articulaire avec un territoire fibreux périosté. Dans le tissu osseux médullaire, on observe une fragmentation des lamelles osseuses et la présence dans les cavités médullaires d’un infiltrat inflammatoire associant des granulocytes neutrophiles et diverses autres cellules inflammatoires. Pas de contingent cellulaire suspect ni d’éléments figurés pathogènes.
Conclusion : remaniements osseux importants d’ostéolyse, de réaction périostée et d’ostéomyélite. Aspect lésionnel non spécifique révélant strictement une inflammation et probablement une infection du tissu osseux (ostéomyélite). Par contre le fait de décrire dans les commémoratifs une atteinte des deux antérieurs chez un animal appartenant à la race Épagneul français doit conduire à évoquer la possibilité d’un syndrome d’automutilation, surtout chez un jeune sujet. L’examen histologique du tissu osseux ne sera pas diagnostic de cette entité pathologique.
Examen clinique
Photo 1 : vue générale
Hors les deux antérieurs, l’examen général est très correct ce jour. Il n’y a pas d’hyperthermie et la jeune chienne est pleine d’entrain. Elle joue, se déplace sur ses quatre pattes (les deux antérieurs sont pansés mais ne semblent pas la gêner) et ne semble pas être algique. On note une hypertrophie modérée des deux ganglions préscapulaires. La capacité à se déplacer normalement sur ses antérieurs, la facilité à effectuer les soins sans sembler la faire souffrir et des tests nociceptifs négatifs sur les doigts des antérieurs seront les clés du diagnostic clinique. La proprioception est normale, ce qui exclue un traumatisme.
Photo 2 : pose ses antérieurs au sol sans souffrir
Examen dermatologique
Photo 3 : lésions des deux antérieurs
Les lésions concernent uniquement l’extrémité (doigts) des deux antérieurs. On note : Des ulcères surinfectés, des cicatrisations fibreuses exubérantes avec destruction partielle de certains coussinets. L’absence de griffe sur certains doigts et pour un doigt, la griffe pousse à travers le tissu cicatriciel exubérant (doigt III ant. D)
Photo 4 : antérieur, droit profil
Photo 5 : antérieur droit, face plantaire
Photo 6 : antérieur gauche, profil
Photo 7 : antérieur gauche, face plantaire
Diagnostic différentiel
Compte tenu de l’age d’apparition : Syndrome d’automutilation podal Traumatisme surinfecté Cellulite bactérienne primaire ou démodécique Vascularite Infection à candida, mycose profonde Leishmaniose Epidermolyse bulleuse jonctionnelle Une étiologie oncologique est moins probable
Diagnostic
L’ostéolyse et la surinfection bactérienne sont prouvées par les examens préalables. L’élément fondamental pour l’établissement du diagnostic est neurologique, l’absence de nociception sur une race où, de plus, ce syndrome est déjà décrit, limite pratiquement notre liste au syndrome d’automutilation podale justifiant l’appellation de Manon Paradis et son équipe : analgésie et mutilation acrale de l’Epagneul français.