Auteurs : Eric Florant
Ces de Dermatologie – Ex chargé de consultation de dermatologie ENVA
Clinique vétérinaire Les Sablons
78370 Plaisir
Et
Frédérique Degorce Rubiales
Laboratoire d’Anatomie Pathologique
Vétérinaire du Sud Ouest (L.A.P.V.S.O.)
Motif de consultation
Une chatte européenne de 10 ans pesant 5 kg nous est présentée pour un dermatose sévère du menton évoluant depuis 2 mois.
Commémoratifs
Cette chatte stérilisée n’a aucun antécédent médical, à part une insuffisance rénale modérée; elle vit en maison avec un autre chat, et a un accès libre à l’extérieur. Elle est régulièrement vaccinée et vermifugée. Elle a séjourné un mois en chatterie juste avant le début de la dermatose.
Anamnèse
Les lésions ont été remarquées par la propriétaire suite au retour du séjour en chatterie.
Elle a remarqué des croûtes et des saignements du menton, motivant une consultation chez son vétérinaire traitant. Un traitement antibiotique de 2 semaines associé à un traitement antiseptique local, n’a permis qu’une légère amélioration, puis une aggravation avec extension des lésions. La propriétaire signale que la chatte au retour de la chatterie est restée plusieurs jours sans manger, et que depuis son comportement a changé (elle s’isole plus).
Examen général
L’examen général est bon. Nous notons une hypertrophie des ganglions rétropharyngiens.
Examen dermatologique
Toute la zone du menton est très enflée, un peu oedèmateuse, et érythémateuse, avec la présence d’un grand nombre de furoncles, ainsi que des comédons et des manchons en périphérie. Par endroits suite à l’éclatement de certains furoncles, des croûtes se sont formées suite aux saignements. La lèvre supérieure du côté gauche de la truffe est aussi atteinte mais de façon plus modérée.
Photos 1 à 4 : ces photos ont été prises après 4 semaines d’antibiothérapie
Diagnostic différentiel
Étiologie |
Arguments pour |
Arguments contre |
Examens complémentaires |
Furonculose |
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Acné |
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Complexe granulome éosinophilique |
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Dermatite à Malassezia |
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Dermatophytie |
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Lymphome |
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Allergie de contact |
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Œdème |
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Démodécie |
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Examens complémentaires
Par rapport aux hypothèses diagnostiques nous réalisons dans un premier temps les examens complémentaires immédiats suivants :
- Raclages cutanés : négatifs
- Calques cutanés : présence de nombreux neutrophiles, et moins nombreux lymphocytes et plasmocytes; bactéries de type coccis et bacilles situées en position intracytoplasmiques et extracellulaires
- Trichogramme : RAS
- Numération formule + bilan hépatique : normaux ; bilan rénal subnormal
Traitement
Nous prescrivons une antibiothérapie par voie orale, qui soit active sur les 2 types de bactéries visualisées sur les calques : marbofloxacine (Marbocyl â) à la dose de 4mg/kg/jour en une prise quotidienne (double dose afin d’agir sur les bacilles) pendant 6 semaines, en proposant à la propriétaire de réaliser des biopsies pour histologie selon évolution. Nous faisons valoir l’intérêt du report des biopsies, dont l’interprétation pourrait être plus difficile face à l’importance de la surinfection bactérienne.
Nous prescrivons en plus l’application biquotidienne d’une pommade à la mupirocine (MUPIDERMâ) pendant 3 semaines, après nettoyage avec une solution de chlorhexhidine diluée. Etant donné que les lésions sont apparues suite à un séjour en chatterie et que le comportement de l’animal a changé depuis, nous conseillons la mise en place d’un diffuseur d’analogues de phéromones faciales de chat (Feliway diffuseur â) (cf discussion). Nous aurions pu également prescrire un traitement complémentaire par voie orale, mais la propriétaire souhaite limiter le nombre de médicaments face à la difficulté d’administration.
Évolution
Après 4 semaines, nous notons une amélioration des lésions, mais modérée par rapport à la durée du traitement (voir photos, elles ont été prises à ce moment là). L’observance du traitement par voie orale a été bonne, mais le traitement local a été difficile à faire régulièrement et n’a été fait que pendant 2 semaines.
Photo 5 : Cette photo a été prise le jour de la 3° injection d’interféron
Les croûtes ont disparues, il n’y a plus de saignements secondaires à la rupture de furoncles, les manchons pilaires sont peu importants, l’œdème a bien diminué, le poil repousse un peu, mais la peau reste quand même très épaissie, érythémateuse et les ganglions rétromandibulaires sont encore hypertrophiés.
L’animal a retrouvé un comportement normal, mais semble boire plus.
Nous réalisons donc sous anesthésie des biopsies cutanées, ainsi qu’une ponction ganglionnaire, et un nouveau bilan, avec en plus une mesure de la fructosamine. Le bilan est à nouveau normal. Le traitement antibiotique est maintenu pendant 2 semaines dans l’attente des résultats.
L’histologie réalisée par le L.A.P.V.S.O. montre une hyperkératose orthokératosique épidermique et folliculaire avec des lésions inflammatoires granulomateuses ou pyogranulomateuses nodulaires en particulier à l’emplacement de l’organe mentonnier. L’infiltrat cellulaire inflammatoire est particulièrement riche en macrophages, mêlés à quelques éosinophiles, neutrophiles, lymphocytes et plasmocytes. Certains follicules pileux sont dilatés et remplis de kératine. Nous sommes donc en présence de lésions d’acné féline avancées d’où l’inflammation pyogranulomateuse et granulomateuse importante.
La cytologie du ganglion est en faveur d’une adénopathie réactionnelle (drainage des lésions inflammatoires du menton).
Face à l’inflammation importante persistante, et par rapport au risque pour la fonction rénale, un traitement corticoïde ne nous paraît pas opportun, et nous décidons de mettre en place un traitement à base d’interféron oméga (VIRBAGEN OMEGAâ) pour ses propriétés immunomodulatrices (cf discussion). Nous choisissons le protocole d’une injection par semaine pendant 3 semaines à une dose de 1MUI/kg, soit 5MUI. L’amélioration est rapide, visible dès la deuxième injection ; les lésions ont totalement disparues à la troisième, et les ganglions ne sont plus hypertrophiés. Le chat n’a pas rechuté depuis (recul de 6 mois).
Discussion
L’acné féline est un trouble primaire de la kératinisation dans les zones riches en glandes sébacées, au niveau du menton en particulier (1,4,5). La plupart des chats ayant cette pathologie la font de façon récurrente voire chronique. Certains chats cependant font un seul épisode dans leur vie.
Les zones concernées sont avant tout le menton, et la lèvre inférieure, voire dans certains cas, comme dans celui présenté, la lèvre supérieure (3,5,6). Au départ ne sont visibles que des manchons pilaires et quelques comédons. Puis des papules, des pustules et des furoncles, avec secondairement des croûtes apparaissent (3,5,6). Lors de cas plus sévères, comme celui présenté, un épaississement de la peau, voire un œdème, peuvent être présents., avec rarement une adénopathie réactionnelle (6). Parfois des kystes folliculaires de taille variable se forment (5).
La pathogénie est mal connue; différents facteurs pourraient favoriser l’apparition de l’acné (4,6) :
- Toute cause sous jacente induisant un état kératoséborrhéique : dans ce cas d’autres zones sont concernées,
- Toilette insuffisante (idem),
- Toute cause d’immunosuppression (iatrogène ou maladie interne),
- La production d’un sébum anormal,
- Certaines dermatoses allergiques : souvent inflammation avec gonflement, et d’autres zones concernées
- Stress important : le chat sécrète à ce niveau des phéromones faciales apaisantes
- Influence virale aggravante suspectée dans un cas (Kim Lover 2002) : un calicivirus a été isolé des lésions d’un chat sévèrement atteint, et un traitement avec de l’interféron s’est révélé efficace.
Dans les cas sévères, comme celui présenté, un diagnostic différentiel doit être fait avec le complexe granulome éosinophilique, un lymphome, une démodécie, et une dermatophytie (voir tableau de diagnostic différentiel). Les complications de furonculose et de dermatite à Malassezia doivent être recherchées.
Traitement
Si les lésions ne sont pas trop sévères, des traitements locaux pourront suffire :
- La réalisation de shampooings antiséborrhéiques réguliers, adaptés pour le chat, permet un contrôle des formes chroniques peu sévères; attention aux shampooings à base de peroxyde de benzoyle qui peuvent parfois provoquer des irritations locales.
- Les topiques antiinfectieux, à base de chlorhexidine sous forme de shampooings ou de solutions sont aussi bénéfiques
- L’application biquotidienne de gel à base de mupirocine à 2% (Mupiderm â) pendant plusieurs semaines se révèle très efficace dans de nombreux cas (6).
- Les acides gras essentiels peuvent avoir un effet bénéfique sur le long terme (4).
- Le stress étant suspecté comme facteur déclenchant dans certains cas, des traitements à base d’analogues de phéromones faciales de chat (Feliway diffuseur â) associé ou non à un traitement bien choisi par voie orale (suite à une consultation de comportement), sont intéressants, et nous ont donné de bons résultats.
Pour les cas les plus sévères :
Une antibiothérapie bien prescrite (choix de la molécule et durée du traitement suffisamment longue de 3 à 6 semaines) est parfois nécessaire, mais pas toujours suffisante.
La trétinoîne topique à 0.01ou 0.05% en application quotidienne jusqu’à guérison peut être essayer, mais elle peut être irritante (4).
Les rétinoïdes de synthèse, comme l’isotrétinoïne (Roaccutane â) à la posologie de 2 mg/kg/jour peut être utilisée avec succès chez certains chats en 3 à 4 semaines (4), avec ensuite espacement des prises à tous les 2 à 3 jours. Cependant des effets secondaires de type augmentation du prurit, sècheresse des muqueuses, et intolérance hépatique sont rapportés et doivent être surveillés.
Pour lutter contre la forte inflammation présente dans les cas les plus sévères, une corticothérapie d’une à 2 semaines, après traitement des surinfections peut être intéressante (5).
Dans notre cas, nous avons choisi de traiter cette forte inflammation avec de l’interféron oméga (VIRBAGEN OMEGA â) pour ses propriétés immunomodulatrices. Le traitement a été très efficace. La question qui peut se poser, est l’éventuelle présence dans notre cas d’un calicivirus qui aurait pu venir aggraver les lésions comme dans le cas décrit par Kim Lover en 2002. Dans ce cas, ce serait plus les propriétés antivirales de l’interféron oméga qui auraient été bénéfiques. Une recherche par PCR de calicivirus dans les lésions sévères d’acné nous paraît intéressante.
Bibliographie
- Bond R. et al: Canine and feline acne, Vet Ann,1993, 33:230
- Gross TL et al: Veterinary Dermatopathology, Mosby Year Book, St Louis, 1992.
- Guaguère E., Prélaud P.: Guide pratique de dermatologie féline, Merial 1999, 6.4.
- Rosenkrantz WS et al: The pathogenesis, diagnosis and mangement of feline acne, Vet Med, 1991, 86:504.
- Scott D.W., et al , Small animal dermatology 6th edition, Muller and Kirk’s, W.B. Saunders company, Philadelphia, 2000.
- White SD et al: Feline acne and results of treatment with mupirocin in an open clinical trial: 25 cases, Vet Dermatol 1997, 8:157.