Chers lecteurs, le bulletin du mois dernier traitait des acariens de stockage (AS), et plus particulièrement des endroits où les chiens pourraient rencontrer de tels acariens, c’est-à-dire leur environnement et les aliments pour chiens commerciaux mal entreposés. Dans le bulletin de ce mois-ci, je vais explorer plusieurs questions importantes liées à l’allergénicité des AS et aux conséquences de cette allergenicité!
Thierry Olivry
Professeur de recherche en immunodermatologie
NC State University College of Veterinary Medicine, Raleigh, Caroline du Nord, États-Unis
Conseiller scientifique et consultant en dermatologie et allergie
Nextmune, Stockholm, Suède
Sensibilisation IgE aux acariens de stockage
Comme la plupart d’entre vous le savent déjà, les chiens (et les chats) ont souvent des IgE sériques détectables (et des tests intradermiques positifs qui en découlent) à des extraits de Dermatophagoides (Acariens de la poussière – HDM pour House Dust Mites) En fait, la plupart des chiens – non seulement les atopiques, mais aussi les sains – ont des tests sérologiques et intradermiques positifs (IDT) et IgE pour les Dermatophagoides farinae (Df).
De même que la situation observée avec les HDM, les chiens atopiques et en bonne santé ont longtemps été connus pour avoir fréquemment des IgE sériques détectables et des réactions positives IDT à des extraits de l’Acarus siro (As), Glycyphagus domesticus (Gd), Lepidoglyphus destructor (Ld) et Tyrophagus putrescentiae (Tp) SMs, avec des pourcentages de réactions positives à chaque espèce d’acariens variant entre les études.
Une observation importante est que, dans certains rapports, (par exemple ici Sensitivity patterns to house dust mites and forage mites in atopic dogs: 150 cases – PubMed (nih.gov) et ici Assessment of cross-reactivity among five species of house dust and storage mites – PubMed (nih.gov) ), la plupart des chiens atopiques avaient des IDT positifs ou des IgE détectables contre plusieurs espèces d’ AS et HDM. En fait, la sensibilisation à une seule espèce d’ AS semble exceptionnelle, ce qui suggère l’existence de phénomènes de co-sensibilisation ou de réactivité croisée.
Réactivité croisée entre les acariens de la poussière et les acariens de stockage
En utilisant la technique d’inhibition ELISA, M. Saridomichelakis et ses collègues (ici Assessment of cross-reactivity among five species of house dust and storage mites – PubMed (nih.gov)) ont fourni la preuve sans équivoque de la profonde réactivité croisée allergène qui existe au sein des HDM, des AS et entre eux ! Les réactions croisées les plus fortes étant entre Df, Tp et As; la plus faible étant avec Ld.
Le fait que les acariens réagissent entre eux n’est guère surprenant : ils sont liés à l’évolution et partagent des familles d’allergènes similaires et des allergènes homologues.
Par exemple, regardons deux des acariens les plus pertinents et les plus intéressants : le Df HDM et le Tp AS. En date d’aujourd’hui, il y a 36 allergènes de Df, mais beaucoup moins (12) allergènes de Tp officiellement reconnus (WHO/IUIS Allergen Nomenclature Home Page). Pour certains des allergènes partagés entre ces deux acariens, l’homologie de séquence est moyenne à substantielle, ce qui entraîne un risque moyen (p. ex., Der f 2/Tyr p 2) à très élevé (p. ex., les tropomyosines Der f 10/Tyr p 10) de réactivité allergènique croisée. De plus, les allergènes de poids moléculaires élevés reconnus par l’IgE chez les chiens atopiques de Df (Characterization of house dust mite and scabies mite allergens by use of canine serum antibodies – PubMed (nih.gov)) et de Tp (Serum immunoglobulin E against storage mite allergens in dogs with atopic dermatitis – PubMed (nih.gov)) semblent également similaires, l’équivalent Der f 15 existant également chez sept autres espèces d’acariens (Non-protease native allergens partially purified from bodies of eight domestic mites using p-aminobenzamidine ligand – PubMed (nih.gov)). Dans l’ensemble, ces études d’allergologie moléculaire supporte la profonde réactivité croisée allergène qui avait été détectée avec des extraits d’acariens entiers.
Face à des preuves en laboratoire de réactivité croisée entre allergènes de sources différentes, il est logique de se demander si une telle réactivité croisée aurait un impact clinique.
Dans le cas des HDM et des AS, nous avons la preuve depuis une décennie qu’une telle réactivité croisée in vitro est cliniquement pertinente. En effet, R. Marsella a sensibilisé des beagles atopiques aux Df (Environmental and oral challenge with storage mites in beagles experimentally sensitized to Dermatophagoides farinae – PubMed (nih.gov)). Ensuite, ces beagles ont été stimulé avec du Tp oralement dans l’environnement du chien. Les résultats ont été sans équivoque : les chiens sensibilisés à Df ont eu une éruption de leurs signes de dermatite atopic après défi oral ou environnemental avec Tp! Ces résultats n’étaient pas surprenants, car les chiens présentaient des sérologies IDT et IgE positives pour Df et plusieurs espèces d’ AS avant d’être stimulé avec du Tp.
Bilan clinique
Les chiens atopiques (et en bonne santé) sont généralement IgE-sensibilisés aux HDM et AS, et il y a une profonde réactivité croisée des allergènes dans chacun des, et entre, ces deux groupes d’acariens.
Cela laisse malheureusement les praticiens dans un dilemme : quels allergènes choisir pour l’immunothérapie dans les situations où les sérologies IDT/IgE donnent des résultats positifs pour plusieurs acariens ?
Permettez-moi de partager ma réponse, qui est celle que j’utilise le plus : cela dépend de la situation !
Certes, d’après les données résumées ci-dessus, si l’on a un test positif pour une seule espèce d’acariens, il faudrait se demander alors si ce résultat pourrait simplement être fortuit. Je suggère aujourd’hui de laisser de côté cette monoréactivité, à moins qu’il n’y ait une preuve irréfutable de l’exposition à cet acarien.
En cas de multi-réactivité aux HDM/AS, ce qui est la situation la plus courante, l’approche est moins claire.
D’une part, on pourrait sélectionner les acariens que le chien est censé rencontrer le plus souvent – c’est-à-dire Df ou Tp – et utiliser ce seul allergène pour l’immunothérapie, en espérant également désensibiliser aux allergènes ayant une réactivité croisée avec d’autres acariens (des études appuient cette approche de la réactivité croisée pour les humains allergiques). Alternativement, il semblerait également logique d’inclure à la fois Df et Tp, car ils sont les principaux représentants des deux groupes acariens. Je serais plutôt favorable à cette approche aujourd’hui.
Enfin, on pourrait également faire valoir que l’inclusion de tous les acariens dans la formulation d’immunothérapie serait une autre option valable. Toutefois, ce faisant, il existe un risque élevé de diluer la quantité des principaux allergènes des espèces d’acariens pertinentes avec des allergènes moins importants des autres acariens croisant.
Voici un élément critique de la recherche manquante dans la littérature : pourquoi, après des décennies d’identification des AS comme allergènes pour les chiens, n’avons-nous pas une seule étude montrant les avantages de l’éviction des AS ou de-mono-immunothérapie avec des AS chez les chiens allergiques sensibilisés à de tels acariens? J’aimerais bien voir les résultats de telles épreuves !
Malheureusement, plus on étudie, moins on sait… J’espère que, dans un proche avenir, la caractérisation des allergènes d’AS aidera à élucider certains de ces problèmes de réactivité croisée et nous permettra de sélectionner les meilleurs allergènes d’acariens pour l’immunothérapie!
Au mois prochain !
Confraternellement,