Un cas de syndrome hépato-cutané


Auteur : Emmanuel Bensignor
Spécialiste en dermatologie vétérinaire
DESV Dermatologie, DIP ECVD, CES Dermatologie
Consultant en dermatologie
75003 Paris, 35510 Rennes-Cesson, 44000 Nantes


Anamnèse

Un chien Caniche, mâle, âgé de 13 ans, est référé à la consultation de dermatologie pour des lésions cutanées évoluant depuis plusieurs semaines.

Le chien est correctement vacciné et vermifugé. Il vit dans une maison avec libre accès à un jardin. Le passé pathologique ne rapporte pas d’anomalie notable, hormis une arthrose chronique, non traitée.

Les lésions ont initialement débuté sur les extrémités podales, puis ont eu progressivement tendance à la généralisation.  L’animal était en bon état général, mais un abattement et des vomissement sont apparus récemment.

Différents traitements ont été réalisés avant que le chien ne nous soit présenté. Aucun n’a permis d’amélioration notable : antibiothérapie avec la céfalexine à la dose de 30 mg/kg/j pendant 3 semaines, avec l’enrofloxacine à la dose de 5 mg/kg/j pendant 2 semaines, corticothérapie avec la prednisolone à la dose de 0.5 mg/kg/j pendant 2 semaines. Différents shampooings ont également été appliqués. Ils ont permis de soulager temporairement l’animal, mais les lésions ont continué à évoluer.

Examen clinique

Le chien est en mauvais état général. Une déshydratation à 2% est notée. Par ailleurs, il est très abattu et les propriétaires rapportent une anorexie depuis plusieurs jours ainsi qu’une polyuropolydipsie. Une boiterie est notée.

Les lésions cutanées sont localisées aux extrémités podales, au scrotum et sur les jonctions cutanéomuqueuses (paupières, lèvres, prépuce). Il s’agit d’érosions, ayant parfois tendance à l’ulcération, d’érythème, de croûtes jaunâtres et de suintements (photos 1 et 2). Au niveau scrotal, des croûtes épaisses sont notées (photo 3). Les lésions sont douloureuses. 

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Hypothèses diagnostiques

Les principales hypothèses envisagées sont les causes d’érosion/ulcération des jonctions cutanéomuqueuses chez un chien âgé : néoplasme cutané (notamment lymphome épithéliotrope ou mycosis fongoïde), dermatite auto-immune (pemphigus profond de type vulgaire ou pemphigoïde bulleuse) ou syndrome paranéoplasique (érythème nécrolytique ou syndrome hépatocutané). Une pyodémodécie semble moins probable du fait de l’absence d’autre localisation des lésions dermatologiques. Un syndrome de Stevens-Johnson (toxidermie) est également moins probable du fait de l’absence d’administration de médicament avant l’apparition des lésions. 

Examens complémentaires

Des raclages cutanés sont réalisés. Ils ne montrent pas de parasite. Des examens cytologiques par impression sous-crustacée montrent des polynucléaires neutrophiles, quelques cocci en position intra et extracellulaire et de rares lympho-plasmocytes. Des biopsies cutanées sont réalisées. Un bilan biochimique montre une élévation des enzymes hépatiques. La glycémie est dans les normes. Une hypoalbuminémie est notée.

Traitement d’attente

Dans l’attente des résultats de l’examen histopathologique, une antibiothérapie par voie générale est mise en place avec la céfalexine à la dose de 30 mg/kg/j pendant 15 jours. Des shampooings doux suivis de l’application d’un émollient sont conseillés tous les deux jours pour réhydrater la peau et soulager l’animal.

Résultats de l’examen histopathologique

Les biopsies cutanées montrent la présence d’une hyperkératose parakératosique massive, d’un œdème de la couche granuleuse et d’une acanthose des couches profondes de l’épiderme donnant un aspect en drapeau français (« bleu-blanc-rouge ») très évocateur d’un syndrome hépato-cutané.

Évolution

Les propriétaires sont informés du mauvais pronostic et décident de l’euthanasie de leur animal.

Autopsie

L’autopsie confirme la présence d’une tumeur hépatique (visualisation de multiples nodules sur le foie, photo 4).

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Commentaires

Le syndrome hépato-cutané (« dermatite nécrolytique superficielle », « érythème nécrolytique migrateur ») est une entité rare du chien âgé, due à la présence d’un cancer du foie ou d’une cirrhose. Chez le chien, la présence d’une tumeur pancréatique est possible, mais rare.

Les mécanismes d’apparition des lésions cutanées sont inconnus, bien qu’une hypoaminoacidémie puisse être à l’origine des troubles cutanés. L’hyperglucagonémie, systématique chez l’homme, est rarement présente dans l’espèce canine.

On décrit un érythème, des croûtes, des lésions exsudatives au niveau de la face, des jonctions cutanéo-muqueuses et des extrémités. Les coussinets sont épaissis et craquelés. Le prurit est variable. Notre cas présentait des lésions assez caractéristiques de cette maladie. L’association des lésions cutanées et des symptômes généraux doit faire évoquer chez un chien âgé l’évolution de ce type dermatologique et doit faire précocement réaliser un bilan biochimique, des biopsies cutanées et une échographie abdominale. Il est important de noter toutefois que les signes généraux sont généralement très nettement postérieurs aux signes cutanés et que les constantes biochimiques hépatiques ne sont pas systématiquement augmentées au moins dans les phases inaugurales de la maladie.

Aucun traitement n’est efficace et le pronostic doit donc être réservé. En cas d’hépatopathie médicamenteuse (traitement anticonvulsivant par exemple), les médicaments responsables doivent être arrêtés et un traitement hépatoprotecteur peut être mis en place. Dans certains cas, l’administration d’acides aminés, par voie orale (jaune d’œuf) ou par voie intraveineuse, associée à un contrôle adéquat des infections bactériennes et fongiques permet de maintenir les patients pendant des périodes plus importantes. Dans une série récente, plusieurs chiens ont ainsi pu être maintenus en vie pendant plus d’un an, avec des injections intraveineuses régulières de solutions d’acides aminés.

Bibliographie

  • Scott DW et coll Small Animal Dermatology, WB Saunders, Philadelphia, 2001.
  • Gross TL et coll Skin diseases of the dog and cat. Blackwell, Oxford, 2005.
  • Bensignor E et Germain PA Dermatologie du chien et du chat. MedCom, Paris, 2005.
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