Un cas de dermatose auto-induite chez un chat hyperthyroïdien


eric-florantAuteur : Eric Florant – Août 2005
Ces de Dermatologie – Ex chargé de consultation de dermatologie ENVA
Clinique vétérinaire Les Sablons
78370 Plaisir

 


Motif de consultation

Une chatte européenne de 12 ans nous est référée pour une perte de poils extensive évoluant depuis près de 4 mois.

Commémoratifs

Cette chatte, qui vit en maison, sort régulièrement et n’a aucun antécédent médical. Elle prend régulièrement du Program ND comme traitement de fond contre les puces et est vermifugée environ tous les 6 mois.

Anamnèse

Les propriétaires ont remarqué que leur chatte se léchait beaucoup et s’arrachait les poils. Leur vétérinaire a réalisé 3 injections d’un corticoïde retard (Depomedrol ND) ayant amélioré légèrement la dermatose, mais ensuite la perte de poils s’est réaggravée. Aucun changement n’est signalé dans l’environnement du chat. La chatte a toujours été craintive, et l’est un peu plus depuis son problème. Elle a toujours beaucoup miaulé.

Examen général

L’état général est bon. La chatte a tout de même maigrit d’environ 500g en quelques mois, malgré son bon appétit. Elle est toujours très active. A l’auscultation, une tachycardie est remarquée. La recherche d’un nodule thyroïdien dans la région du cou s’avère difficile, la chatte n’étant pas coopérative.

Examen dermatologique

Une alopécie diffuse est remarquée sur l’ensemble du bas du corps et une partie des flancs et des parties latérales du thorax. Dans les zones alopéciques, les poils sont de longueur variable. Quelques lésions de grattage sont aussi présentes (traces de griffures). Le poil paraît repousser par endroits.

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Diagnostic différentiel

Face à une alopécie diffuse étendue, avec des poils de longueur variable, et une partie du poil qui repousse par endroit, chez un chat âgé n’ayant aucun antécédent, nous sommes probablement en présence d’une alopécie auto-induite.

Cette alopécie auto-induite est le plus probablement secondaire à une anxiété. Dans le questionnaire détaillé posé au propriétaire cependant aucun élément extérieur ne semble pouvoir l’avoir déclenché.

L’amaigrissement malgré le bon appétit, et la tachycardie (mais elle peut aussi être liée au stress) pourrait évoquer une hyperthyroïdie. Des cas d’anxiétés intermittentes secondaires à une hyperthyroïdie sont décrits. Cependant nous ne pouvons confirmer la présence d’un nodule au niveau du cou.

Une alopécie auto-induite secondaire à une allergie est moins probable, en particulier suite au peu d’effet de 3 injections de corticoïdes et à l’absence d’antécédents.

Un début d’alopécie paranéoplasique féline est possible à cet âge, mais elle se traduirait par une chute plus complète des poils.

Examens complémentaires

  • Un trichogramme est réalisé et permet de confirmer que nous sommes bien en présence d’une alopécie auto-induite. Les poils, dont toutes les phases sont représentées, sont d’aspect normal, mais leur extrémité est cassée par léchage (cf photo)
  • Bilan sanguin : le bilan biochimique de base est normal :
    • urée= 0,32g/l  (0,33-0,75); créatinine= 11,1 mg/l (8-24);
    • protéines totales= 69 g /l (57-89 g/l);
    • glycémie= 1,59 g/l (0,76-1,45);
    • PAL = 70 UI (14-111),
    • ALAT = 69 UI (12-130),
    • ASAT= 0 UI (<48), cholestérol= 1,2 (0,65-2,25)
    • la thyroxine totale (T4 totale) est de 58 nmol/l (10-50).

Diagnostic

Le diagnostic d’hyperthyroïdie féline nous paraît probable

Traitement

En attendant le résultat de l’analyse de la T4 totale, nous avions préconisé de donner un traitement de clomipramine (CLOMICALM 5 ND) hors amm, à raison d’1/2 comprimé par jour. Suite au résultat, nous proposons de donner en plus un traitement de methimazole (FELIMAZOLE ND) à raison d’1 comprimé de 5 mg par jour, tout en continuant le CLOMICALM en tout pendant 1 mois (de manière à traiter l’anxiété intermittente le temps que le FELIMAZOLE régularise la fonction thyroïdienne). Un contrôle sanguin est conseillé au bout de 3 à 4 semaines de traitement.

Évolution

Le contrôle n’est finalement fait que 2 mois après par le vétérinaire traitant. Le poil a totalement repoussé (photo 3 mois après). Suite à l’administration du traitement, les propriétaires ont remarqué un changement dans le comportement de leur animal, et en particulier en l’espace de 2 semaines environ, qu’elle a arrêté d’arracher ses poils. Suite à l’arrêt du CLOMICALM ND après 1 mois de traitement, et en continuant le FELIMAZOLE, les propriétaires n’ont constaté aucun changement. Le contrôle sanguin réalisé 9 heures après la prise de Felimazole ND donne un résultat de 23 nmol/l (10-50nmol/l), et confirme que la dose est suffisante.

Le traitement est maintenu.

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Discussion

Les troubles cutanés sont des signes fréquents, mais pas systématiques chez les chats hyperthyroidiens. On observe le plus souvent des états kératoséborrhéiques, et parfois des zones d’alopécie, secondaires à un poil plus cassant et à un léchage excessif (alopécie auto-induite) secondaire à une anxiété intermittente, comme dans le cas présenté.

D’autres signes cliniques plus caractéristiques sont présents. De façon presque systématique, le chat présente un amaigrissement et des troubles du comportement (en particulier hyperactivité et agitation), avec en plus la présence d’un goitre détecté par palpation minutieuse au niveau du cou (90% des cas). Les autres symptômes fréquemment observés (environ 50% des cas) sont une polyuro-polydipsie, une polyphagie, des symptômes digestifs (vomissements et/ou diarrhée, ou selles en bouses), et des symptômes cardiovasculaires (tachycardie, galop cardiaque, et/ou souffle systolique). Les symptômes plus rares: anorexie avec abattement, dyspnée (hyperventilation même au repos), thermophobie, ventroflexion de la tête.

Pour confirmer la suspicion clinique, un dosage de la thyroxinémie totale est le plus souvent suffisant. En cas de valeur proche des limites supérieures de la normalité, il est conseillé, soit de renouveller le dosage quelque temps après quand la symptomatologie s’est aggravée, soit de réaliser une mesure de la thyroxinémie libre (technique dialyse à l’équilibre). Cette technique peut le plus souvent permettre de confirmer l’hyperthyroidie.

Il est important de rechercher une insuffisance rénale chronique associée, en sachant que les valeurs de la créatininémie et/ou de l’urémie peuvent être faussées par l’hyperthyroïdie. (baisse de la créatininémie et augmentation de l’urémie). En présence de valeurs élevées des paramètres rénaux, l’intérêt d’un traitement de l’hyperthyroïdie est risquée, mais même si les valeurs sembles usuelles, une insuffisance rénale chronique peut être latente et s’aggraver avec le traitement de l’hyperthyroïdie entraînant l’apparition de signes cliniques. Heureusement, cette aggravation est réversible avec l’arrêt du traitement.

Jusqu’à récemment en France, les chats hyperthyroïdiens étaient traités avec du carbimazole (Néomercazole ND, médicament à usage humain). Il existe maintenant un médicament avec amm vétérinaire le méthimazole (FELIMAZOLE ND) (le carbimazole est en fait la prodrogue du méthimazole). Il agit par blocage de la synthèse des hormones thyroïdiennes sans effet cytotoxique. Le Félimazole ND est prescrit au départ à une raison d’1 comprimé de 5 mg par jour pendant 3 à 4 semaines, et si c’est insuffisant la dose est progressivement augmentée par palier de 5mg en 2 prises quotidiennes (avec un maximum de 20 mg). La plupart des chats sont équilibrés en quelques semaines.

Les complications cardiaques et d’hypertension artérielle ne nécessitent pas, la plupart du temps, de traitement complémentaire. La régularisation de la thyroxinémie est le plus souvent suffisante.

D’un point de vue dermatologique, pas de traitement spécifique. Lors d’état kératoséborrhéique, brossage et supplémentation avec des compléments vitaminiques et en acides gras essentiels adaptés pour le pelage (ex PETPHOS FELIN SPECIAL PELAGE ND). Les nouveaux traitements en spot on ( DERMOSCENT et DOUXO Séborrhée spot on) ont le plus souvent une bonne action et sont faciles d’utilisation.

Lors d’alopécie auto-induite, un traitement anxyolytique peut être prescrit en début de traitement, associé à une phéromonothérapie (FELIWAY diffuseur)

Par la suite, un traitement à vie du methimazole est le plus souvent choisi, mais deux autres options sont possibles :

  • un traitement chirugical, après scintigraphie pour bien visualiser tous les nodules, car il peut y en avoir plusieurs dont certains de petite taille, et en plus parfois en position extracervicale.
  • Une radiothérapie métabolique : elle consiste à administrer de l’iode 131 qui a une action cytotoxique spécifique sur les cellules thyroïdiennes sécrétantes et permet la guérison de 90% des chats après une seule administration. Ce traitement nécessite par contre une hospitalisation d’environ 2 semaines, et a un coût élevé.

Pour en savoir plus

  • Proceeding des soirées proposées cette année par le laboratoire Janssen en partenariat avec l’AFVAC : Dan ROSENBERG – Dernières actualités sur l’hyperthyroïdie féline, son diagnostic, et la mise en place des traitements spécifiques.
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