Une forme particulière de pemphigus foliacé chez un jeune Bouvier Bernois


eric-florantAuteur : Eric Florant
Ces de Dermatologie – Ex chargé de consultation de dermatologie ENVA
Clinique vétérinaire Les Sablons
78370 Plaisir

 


Motif de consultation

Une femelle Bouvier Bernois de 2 ans, pesant 41kg, nous est présentée à la consultation pour des lésions croûteuses étendues qui s’aggravent malgré un traitement antibiotique prescrit depuis 10 jours.

Commémoratifs

Cette chienne vit seule en pavillon et n’a aucun antécédent dermatologique, ni médical.

Anamnèse

La dermatose a été remarquée par le propriétaire 2 semaines avant (octobre). Suite à l’apparition d’un prurit, il a observé quelques croûtes dans les poils

Examen général

L’état général est bon. Elle présente un œdème modéré de sa patte avant gauche non douloureux. La chienne est simplement gênée par un prurit qui augmente beaucoup depuis le début de la dermatose.

Examen dermatologique

Les lésions sont localisées à l’ensemble du bas du corps : face latérale des flancs et du thorax, face ventrale du cou, abdomen, membres.

Les poils sont collés par endroits, avec des croûtes de grande taille à la base, visibles difficilement dans certaines zones suite à la densité du pelage et la longueur des poils. Au retrait des croûtes, les lésions apparaissent très érythémateuses, avec des exulcérations et une suppuration. On note également un érythème plus modéré au niveau des lèvres et en zone interdigitée plantaire des pattes avant. Nous proposons au propriétaire une tonte, sous forte tranquillisation, des zones les plus atteintes, de façon à la fois à mieux voir les lésions, et en faciliter le diagnostic, mais aussi dans un but thérapeutique. Nous remarquons alors que ces lésions sont de grande taille, souvent très circulaires, d’autres arciformes, avec une coalescence de certaines d’entre elles formant de larges zones exulcérées et suintantes pour les plus récentes, et une bordure épaissie et croûteuse avec une zone centrale cicatrisée pour les plus anciennes. Nous remarquons dans d’autres zones moins poilues la présence de quelques pustules de grande taille, qui englobent plusieurs follicules pileux.

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Diagnostic différentiel

Face à ce tableau de dermatose pustuleuse, ulcérative et croûteuse, de distribution symétrique, les diagnostics suivants sont envisagés :

Étiologie

Arguments pour

Arguments contre

 

Examens complémentaires

Pemphigus foliacé

  • D. pustuleuse, ulcérative, croûteuse, symétrique
  • Pustules de grande taille
  • Œdème d’une patte
  • Pas de lésions faciales
  • Calques de pustules
  • Biopsie pour histologie

Érythème polymorphe

  • D. ulcérative et croûteuse
  • Lésions érythémateuses circulaires, polycycliques, arciformes
  • Pustules de grande taille
  • Biopsie pour histologie
    (très différente du PF)

Pyodermite superficielle
Étendue

  • D. pustuleuse, ulcérative, croûteuse
  • Pustules de grande taille
  • (ne s’observe que dans les pyodermites de type impétigo)
  • Aggravation sous antibiothérapie
  • Calques de pustules
  • Antibiogramme

Pyodermite superficielle
étendue sur dermatite atopique

  • Idem
  • Érythème des lèvres et interdigité antérieur
  • Idem
  • Idem
  • A réévaluer après traitement

Dermatophytie atypique

  • D. pustuleuse, ulcérative, croûteuse
  • Étendue des lésions
  • Calques
  • Biopsie pour histologie
 

Examens complémentaires

  • Calques de pustules : nombreux neutrophiles non dégénérés, avec présence de rares coccis extracellulaires ; quelques cellules kératinocytes acantholytiques.
  • Biopsies : réalisées sur une pustule intacte, et sur la bordure croûteuse et érythémateuse de plusieurs lésions polycycliques. L’histopathologie montre plusieurs pustules larges en position sous cornée qui contiennent principalement des polynucléaires neutrophiles non dégénérés avec la présence de cellules acantholytiques. Certaines de ces cellules sont regroupées (images en radeaux), d’autres sont entourées de polynucléaires neutrophiles (images de roue crantée). Une coloration au PAS (Acide Périodique de Schiff) permet d’éliminer la présence d’un dermatophyte. 

Diagnostic

Les examens réalisés permettent de conclure à un pemphigus foliacé.

Traitement

Avant de mettre en place le traitement, nous réalisons un bilan sanguin rénal et hépatique, afin de nous assurer qu’il n’y a pas de contre-indications.

Nous décidons de combiner 2 traitements dans le but de limiter les effets secondaires. Nous prescrivons d’une part une association de nicotinamide (NICOBIONâ) et de doxycycline (RONAXANâ), et d’autre part un traitement corticoïde de méthylprednisolone (OROMEDROLâ) (Cf discussion pour le choix du traitement).

Les doses choisies sont de 1 comprimé matin et soir de Nicobion 500, 1 comprimé ½ matin et soir de Ronaxan 250 (soit environ 10mg/kg 2 fois par jour) et de 2 comprimés d’Oromedrol 16 par jour en une prise (soit 0,8 mg/kg/jour).

Evolution

Deux semaines après les lésions ne sont plus inflammatoires, et les croûtes pour la plupart sèchent bien (disparition des ulcérations et du suintement sous les croûtes). Le propriétaire signale une polyuro-polydypsie classique avec les traitements corticoïdes, mais le bilan sanguin de contrôle montre une augmentation modérée du taux d’urée sanguine. Cela nous conduit à diminuer plus rapidement la dose de méthylprednisolone à 1,5 comprimé par jour (0,6 mg/kg/j), tout en maintenant le reste du traitement, d’autant que la dermatose évolue favorablement. Un contrôle tous les 15 jours nous permet de suivre l’évolution de la dermatose qui continue à évoluer progressivement vers la guérison. Le traitement à la doxycycline est arrêté au bout de 6 semaines de traitement (pour une question de coût), alors que la chienne est toujours à une dose de 0,6 mg/kg/jour de méthylprednisolone. Ces doses sont ensuite progressivement diminuées à 0,4mg/kg/jour, puis tous les 2 jours par paliers de 15 jours. Le traitement aura duré 12 semaines.

La dermatose n’a jamais rechuté. Par contre 3 ans après la chienne a eu une polyarthrite auto-immune grave et invalidante, qui aboutira après 8 mois d’évolution à son euthanasie.

Discussion

Le pemphigus foliacé (PF) est une dermatose rare, qui représente selon les auteurs entre 0,5 et 1% des dermatoses chez le chien (1,4,7). C’est la deuxième maladie auto-immune diagnostiquée, après le lupus cutané (1,7).

Une prédisposition raciale est notée par certains auteurs (4,7) : en particulier dans les races akita, dobermann, teckel, chow-chow, berger australien, cocker. Notre Bouvier Bernois n’en fait pas partie.

Des facteurs environnementaux pourraient déclencher l’apparition de lésions : il semble y avoir une prévalence dans les régions plus chaudes et pendant les saisons chaudes (4). Le rôle des radiations de type UVB est suspecté (4). Les chiens à terrain atopique ou ayant présenté des épisodes de DAPP, paraissent des sujets plus à risques (4). Le cas présenté a débuté un mois d’octobre (assez doux et beau) et chez un chien à terrain atopique modéré.

Le PF est une maladie auto-immune liée à la synthèse d’auto-anticorps qui s’attaquent à la desmogléine 1 (1,3,4,5,6,7). Cette desmogléine 1 est un constituant important des desmosomes dans les parties supérieures de l’épiderme, ce qui explique que les lésions d’acantholyse soient localisées à ce niveau (6).

Il existe 3 formes de PF: des PF spontanés sans aucun antécédent, des PF chez des chiens présentant des dermatoses chroniques allergiques en particulier, et des PF médicamento-induits (6,7,9).

Cliniquement, la dermatose démarre généralement sur la face, en particulier autour des yeux, au niveau du chanfrein, et sur la face interne des pavillons auriculaires (la présence de petites pustules à ce niveau doit attirer l’attention), ainsi qu’au niveau des extrémités des pattes, en particulier la zone périunguéale, et/ou les bordures des coussinets (1,3,6,7). Dans de nombreux cas, les lésions peuvent se généraliser à l’ensemble du corps (1,3,6,7). Il existe également plus rarement des formes exclusivement localisées au niveau des coussinets plantaires (1,3,6,7).Dans le cas présenté, seul le bas du tronc et le haut des membres étaient atteints.

Les lésions primaires à rechercher sont des pustules de grande taille qui englobent plusieurs follicules pileux, mais elles sont relativement fugaces et évoluent rapidement en croûtes (1,3,6,7). Lors de la consultation, il est fréquent de ne voir qu’une dermatose croûteuse. Ces croûtes sont souvent relativement épaisses et plutôt de taille petite ou moyenne. Lors d’atteintes des coussinets plantaires, on note soit la présence de croûtes sur la bordure des coussinets, soit un épaississement de l’ensemble des coussinets avec des fissurations, puis des ulcérations, à l’origine de boiteries (1,3,6,7). Une variante moins fréquente du PF consiste en la présence de lésions très érythémateuses cycliques et polycycliques, exfoliatives, exulcérées et suintantes d’où la formation de placards croûteux de plus grande taille; ces lésions peuvent aussi être arciformes avec une bordure souvent épaissie et croûteuse (7). C’est le cas du Bouvier Bernois présenté. Cette dernière forme clinique ressemble à celle qui est observée lors d’érythème polymorphe.

Le diagnostic  (1,3,6,7) commence par la réalisation d’un calque de pustules ou à défaut d’un calque réalisé par l’apposition de la face inférieure d’une croûte sur une lame. L’examen cytologique permet de visualiser un grand nombre de polynucléaires  neutrophiles non dégénérés, d’éosinophiles en petite quantité, et de quelques cellules acantholytiques, dont certaines peuvent être regroupées en amas (nommés radeaux) et d’autres entourées de polynucléaires  neutrophiles (images de roue crantée) La présence de cellules acantholytiques n’est cependant pas pathognomonique d’un pemphigus, car elles peuvent être présentes dans quelques cas de folliculite bactérienne ou de dermatophytie. Par contre ces pustules ne contiennent habituellement pas de germes, sauf en cas de contamination secondaire :  dans ce cas les bactéries ne sont pas en grande quantité, et elles  sont plutôt extracellulaires (pas d’images de phagocytose).

C’est l’histologie qui permet le plus souvent la confirmation du diagnostic. L’idéal est de repérer et biopsier une pustule non éclatée; à défaut, il faut prélever une zone croûteuse la plus récente possible (se baser sur l’érythème présent). Les zones exulcérées ne présentent aucun intérêt, puisqu’elles ne contiennent plus les lésions recherchées qui sont des pustules larges en position sous cornée contenant des polynucléaires neutrophiles non dégénérés et des cellules acantholytiques. Une coloration à l’acide périodique de Schiff (PAS) est indispensable pour éliminer la présence d’un dermatophyte qui dans de très rares cas peut être à l’origine de lésions identiques (5). Dans le cas présenté, l’histologie a permis en particulier de faire la différence entre une pemphigus foliacé et un érythème polymorphe.

Des tests d’immunofluorescence directe sont parfois utilisés pour confirmer des cas douteux. Leur interprétation est délicate (faux positifs et négatifs), et seuls certains laboratoires de recherche spécialisés sont à même de d’effectuer ces tests qui ne sont pas réalisables en routine (1,6).

Traitement

En présence de lésions peu étendues, des traitements topiques à base de dermocorticoïdes peuvent être prescrits. Le léchage peut être un facteur limitant.

La corticothérapie par voie orale est le traitement de première intention (1,2,6,7). Après s’être assuré que l’animal ne présente pas de problème rénal ou hépatique grave, une dose d’induction de 1 à 4 mg/kg /jour de prednisolone (en 2 prises par jour) ou  de méthylprednisolone (en 1 prise par jour) est prescrite jusqu’à disparition des lésions. Des contrôles tous les 15 jours sont conseillés et permettront de diminuer progressivement les doses, par paliers de 15 jours minimum , avant de passer à une administration à jours alternés. La plupart des chiens auront besoin d’un traitement au long cours – dans ce cas, le but est de trouver la plus petite dose efficace et dénuée d’effets secondaires -, d’autres guériront totalement après quelques mois d’évolution. C’est le cas de notre Bouvier Bernois, qui a guéri en l’espace de 3 mois.

L’adjonction de molécules immunosuppressives peut être nécessaire dans certains cas récalcitrants ou en cas d’effets secondaires importants (1,2,6,7). Ces molécules permettent une potentialisation des corticoïdes, mais sont aussi à l’origine d’effets secondaires (contrôles sanguins réguliers) :

  • l’azathioprine : dose initiale de 1 à 2 mg/kg/ jour pendant 1 mois puis espacement des doses à un jour sur 2
  • Le chlorambucil : dose de 0,1 à 0,2 mg/kg/jour

Une alternative intéressante dans quelques cas, est l’association tétracycline–nicotinamide (Stephen White dans 6). Elle peut être testée dans les cas d’intensité faible à modérée. Les doses préconisées sont de 500 mg de tétracycline et de nicotinamide 2 à 3 fois par jour chez un chien de plus de 10kg, et de 250 mg de chaque pour les chiens de moins de 10kg. La  doxycycline peut aussi être essayée à la dose est de 10mg/kg matin et soir, avec les mêmes doses de nicotinamide.

Récemment des essais pilotes avec d’autres molécules ont été réalisés, mais avec des résultats insuffisants: le premier avec une association de mycophénolate mofétil à une dose de 20 à 40 mg/kg /jour en 3 prises en association avec des corticoïdes (peu de chiens testés); le deuxième avec de la cyclosporine à une dose de 5 à 10mg/kg/jour en une prise (peu de résultats, problème de posologie ?) (4).

Malgré toutes ces alternatives de traitement, il existe des cas réfractaires ou des animaux qui sont sujets à trop d’effets secondaires, pouvant conduire à l’euthanasie.

Dans notre cas, étant donné les effets secondaires de la corticothérapie, nous avons choisi d’associer la méthylprednisolone – à une dose relativement faible pour ce type de dermatose immunitaire – et l’association doxycycline-nicotinamide. Etant donné les doses de méthylprednisolone prescrites, il nous paraît très vraisemblable que l’association doxycycline-nicotinamide ait été bénéfique pour traiter le pemphigus.

Bibliographie

  • Carlotti D.N., Von Tscharner C. – Pemphigus foliacé: polémique ou le pemphigus foliacé en 10 questions – Proceedings 15° journées annuelles du GEDAC, Marseille 3-4 juin 2000.
  • Marsella R. – Canine pemphigus complex: diagnosis and therapy – Comp Cont Educ Pract Vet 2000, 22 :568-572.
  • Marsella R. – Canine pemphigus complex: pathogenesis and clinical presentation – Comp Cont Educ Pract Vet 2000, 22 :680-689.
  • Olivry T. – Canine Pemphigus foliaceus : recent developments – Proceedings Journées Annuelles du GEDAC, Paris Bercy 13-15 juin 2003
  • Poisson L., Mueller RS, Olivry T. &ndash; Dermatophytose pustuleuse corn&eacute;ophilique canine &eacute;voquant un pemphigus foliac&eacute;. <span>Prat Med Chir Anim Comp, 1998,33&nbsp;:229-234
  • Rivi&egrave;re C &ndash; Le pemphigus foliac&eacute; chez le chien et le chat &ndash; Point Vet, 2003, 233, 30-34
  • Scott D.W, Miller W.H., Griffin C.E. &ndash; Pemphigus foliaceus in Muller and Kirk&rsquo;S Small Animal Dermatology, 6<sup>th</sup> Edition, W.B. Saunders company, Philadelphia, 686-690, 2001
  • White S.D. &ndash; Diagnosis of autoimmune skin disease &ndash; Proceedings 4th World Congress of Vet Dermatology, San Francisco, 30 aout- 2 sept 2000
  • White SD, Carlotti DN, Pin D et coll. Putative drug-related pemphigus foliaceus in four dogs, Vet Dermatol, 2002, 13:195-202.
 
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