Un cas de pemphigus foliacé chez un chat


Auteur : Bénédicte Gay-Bataille – Octobre 2008
Consultante en Dermatologie
CHV – 74370 – St MARTIN BELLEVUE
ANNECY


Commémoratifs

Une chatte Persan de couleur crème, âgée de 7 ans, présente depuis un mois une dermatose croûteuse, qui s’est généralisée avec un aspect ulcéro-croûteux.

Anamnèse

La chatte a été adoptée à l’âge de 4 ans, et vit avec une autre chatte qui ne présente aucun problème dermatologique. Il y a un mois, après un séjour d’une semaine dans la famille de la fille de la propriétaire (où la chatte est restée apeurée dans un coin) l’apparition de croûtes en zone génito-anale a justifié une consultation chez le vétérinaire traitant, qui a réalisé une injection  d’AINS (Tolfédine®).
Les croûtes se sont étendues les jours suivants au niveau des membres postérieurs, puis à la queue, puis aux pavillons auriculaires et au chanfrei. La chatte reçoit alors une semaine plus tard une injection de corticoïde à effet retard (Depo-Medrol®), associée à un traitement antibiotique (Marbocyl®). L’état cutané de la chatte s’améliore, mais deux semaines plus tard, une rechute est observée, avec des douleurs cutanées. Une nouvelle injection de Tolfédine® est alors réalisée. L’animal nous est référé deux jours plus tard.

Symptômes cliniques

L’état général est altéré. Des lésions érosives et/ou crouteuses de différentes tailles siègent sur la face principalement, sur les quatre membres (doigts et coussinets plantaires),  sur l’extrémité de la queue, et enfin en zone ano-vulvaire. Les jonctions cutanéo-muqueuses sont affectées : anale et vulvaire.

La chatte est en bon état d’entretien, mais elle semble souffrir lors de la manipulation et répugne à se déplacer.  Sa température rectale est de 39°, l’appétit est conservé et aucun commémoratif de diarrhée, de vomissement ni d’augmentation de la quantité d’eau bue ou d’urine émise n’est rapporté. Aucun prurit n’est signalé. L’examen dermatologique révèle la présence de croûtes localisées aux front et dans les plis faciaux (Photo 1) ainsi que sur les deux faces des pavillons auriculaires.

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Photo 1 : Erythème, croûtes et érosions sur le planum nasal,
les lèvres et le menton,
les conques auriculaires et dans les plis faciaux

La région ano-génitale est croûteuse, érythémateuse et suintante.
Enfin, la partie proximale des quatre membres présente une alopécie avec érythème et croûtes (Photo 2 et 3).

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Photo 2 : Érythème et croûtes face interne des membres

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Photo 3 : Croûtes, érosions et squames-croûtes
jaunâtre face proximale des extrémités

Après tonte et nettoyage des lésions (sauf les zones à biopser), sous tranquillisation, on note sous les croûtes de la face, de la queue, des membres et de la zone ano-génitale, un érythème franc, des pustules, des érosions importantes et un suintement (Photos 4,5,6,7). Un périonyxis est visible, et l’observation des ulcérations en zones interdigitée et péri-unguéale permet d’expliquer la douleur à la marche manifestée par l’animal (Photos 8, 9).

cas-de-pemphigus-foliace-chez-chat4Photo 4 : Après tonte et nettoyage des lésions :
érosions marquées sur le planum nasal,
en région périorbitaire et dans les plis faciaux

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Photo 5 : Après tonte et nettoyage des lésions :
érosions et ulcérations du bout de la queue

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Photo 6 : Après tonte et nettoyage des lésions :
érosions et ulcérations sur les faces internes des quatre membres,
atteinte des coussinets, des espaces interdigités et des doigts.

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Photo 7 : Après tonte et nettoyage des lésions :
érosions et ulcérations de la zone ano-génitale,
avec atteinte des jonctions cutanéo-muqueuses

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Photo 8 : Après tonte et nettoyage des lésions :
onyxis, avec  onychorrhexis et onychomadèse

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Photo 9 : Après tonte et nettoyage des lésions :
érosions et ulcérations des espaces interdigités et des coussinets.

 Hypothèses diagnostiques

Cette dermite subaiguë est évocatrice en premier lieu d’un érythème polymorphe, éventuellement dû à un accident cutané médicamenteux (éléments d’anamnèse recueillis ultérieurement ci-dessous) ou lié à une virose (pas de signes cliniques antérieurs évocateurs probants) , ensuite d’une dermite auto-immune (groupe des pemphigus ) ou encore d’un lymphome cutané épithéliotrope.

Une anamnèse plus poussée nous a indiqué l’existence d’un accident de la circulation six mois auparavant, ayant nécessité des injections puis une prise orale d’anti-inflammatoire non stéroïdien.

Examens complémentaires

Une tonte et nettoyage soigneux des lésions est réalisée sous tranquillisation.

L’examen cytologique du contenu d’une pustule, et à partir de calques sous-crustacés de croûtes des pavillons auriculaires révèle  la présence de nombreux kératinocytes acantholytiques accolés à des neutrophiles.

Les résultats de l’examen histopathologique des biopsies cutanées sont les suivants : dans l’épiderme, nombreuses pustules intra-cornées contenant des polynucléaires neutrophiles non dégénérés avec des kératinocytes acantholytiques, dans le stratum corneum, acanthocytes isolés ou en radeau ; dans le derme ; infiltrat à mastocytes et à polynucléaires neutrophiles.

L’examen à la lampe de Wood ainsi que le trichogramme sont négatifs, ce qui diminue fortement la suspicion de dermatophytose. Une mise en culture mycologique est réalisée pour en exclure définitivement l’hypothèse ; trois semaines plus tard, elle se révèlera négative.

Traitements –  Evolution

Avant les résultats, l’hypothèse d’érythème polymorphe semble la plus probable. Après discussion avec la propriétaire de la chatte sur les controverses existant quant à la prescription d’une corticothérapie à doses immunosupressives dans un tel cas (médicamento-induit ou viro-induit ?), nous décidons de prescrire une  corticothérapie  orale  à dose immunosupressive, associée à l’ antibiothérapie qui est maintenue (marbofloxacine). Des soins locaux (nettoyants, antiseptiques et calmants: Allercalm®, Dermaflon®) sont effectués quotidiennement. Quatre jours plus tard, les lésions sont améliorées, beaucoup moins douloureuses, mais en revanche de nouvelles lésions sont apparues (pustules sur les pavillons auriculaires (Photo 10). L’état de l’animal empire brusquement 48h plus tard : la chatte  nous est présentée pour abattement et difficultés respiratoires. Son état cutané s’est lui aussi détérioré. Une dyspnée majeure est notée, La propriétaire refuse toute investigation supplémentaire et nous demande d’euthanasier sa chatte.

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Photo 10 : Larges érosions, pustules et croûtes
sur la face externe des pavillons auriculaires,
après 4 j de corticothérapie à visée immunosuppressive.

Diagnostic

Les aspects cliniques d’une part, les observations cytologiques et histologiques d’autre part permettent de poser un diagnostic de pemphigus superficiel. L’anamnèse, et le mode d’évolution subaiguë à aiguë du tableau clinique, nous font suspecter un pemphigus d’origine médicamenteuse, même si la démarche d’imputabilité médicamenteuse pour l’acide tolfénamique ne nous permettra pas de conclure.

Discussion

Le pemphigus foliacé est une dermatose auto-immune qui se caractérise par une rupture des desmosomes : l’adhérence entre les kératinocytes ne se fait plus, une acantholyse a lieu, et des lésions apparaissent sur la peau. Ce sont les protéines qui constituent les desmosomes, les desmogléines, qui sont la cible d’autoanticorps.

Le pemphigus foliacé est la plus commune des dermatoses auto-immunes du chat, bien qu’elle reste rare, puisqu’elle ne représente que 0,5 à 1% des dermatoses félines. L’affection touche généralement de jeunes adultes. Aucune prédisposition raciale n’est rapportée chez le chat. L’affection se caractérise dans l’espèce féline par une dermatose pustuleuse et croûteuse, localisée à la face (planum nasal, chanfrein, pavillons auriculaires), aux membres, et dont l’issue peut être fatale sans traitement. Les lésions primaires sont des pustules, qui ne sont pas toujours observées lors de la consultation. Elles laissent rapidement place aux lésions secondaires qui sont le plus fréquemment visualisées, c’est-à-dire des croûtes de couleur jaune à marron, des squames, de l’alopécie et des collerettes épidermiques. Un périonyxis avec un exsudat péri-unguéal purulent accompagnant une onychomadèse ainsi qu’une atteinte péri-mammaire sont assez fréquents et très évocateurs chez le chat. Des lésions dans la cavité orale sont exceptionnelles. Le prurit est très variable. Des signes généraux peuvent accompagner les signes cutanés dans certains cas. Le diagnostic différentiel du pemphigus foliacé est assez vaste. Le diagnostic se base en premier lieu sur l’anamnèse et l’examen clinique.

L’examen cytologique est ensuite un bon élément d’orientation, mettant en évidence des acanthocytes entourés de granulocytes neutrophiles non dégénérés ou d’ éosinophiles.

L’examen histopathologique des pemphigus apporte quant à lui un diagnostic de quasi-certitude. Il  révèle la présence de pustules intraépidermiques, sous cornées ou intra épineuses, pouvant intéresser aussi la gaine épithéliale externe des follicules pileux. Ces pustules contiennent des acanthocytes, isolés ou en amas, parfois des polynucléaires neutrophiles non dégénérés et des polynucléaires éosinophiles. Les polynucléaires peuvent être accolés aux acanthocytes formant ainsi une image en “roue crantée”.

Le pronostic est en général assez bon, mais  variable, et dans le cas d’un pemphigus médicamento-induit, selon la précocité du diagnostic et donc l’arrêt de l’exposition au médicament incriminé, l’étendue des lésions, et la présence de symptômes généraux. Le traitement est souvent nécessaire à vie. Les effets secondaires liés aux médicaments prescrits (corticothérapie à dose immunosuppressive) peuvent nécessiter l’arrêt des traitements. Le principe du traitement du pemphigus foliacé repose sur l’immunosuppression. 

Chez le chien et encore plus chez le chat, les pemphigus médicamento-induits sont très rares. Notons que les réactions cutanées auto-immunes-like sont également peu fréquentes chez l’homme, chez qui la durée du traitement  inducteur est au contraire plutôt longue pour cette affection.

Les pemphigus médicamenteux sont peu répertoriés. Les médicaments qui le sont actuellement pour le chien sont les suivants : amoxicilline, céfalosporines, diéthylcarbamazine, énalapril, phénytoïne, procainamide,  sulfamides, thiabendazole. Les médicaments suspectés dans les rares cas documentés chez le chat sont les suivants : ampicilline, doxicycline, itraconazole, ipodate et méthimazole (anti thyroïdiens).

Les mécanismes étiopathogéniques conduisant à une acantholyse peuvent être pharmacologiques:  médicament contenant un groupe sulfhydrile (thiol) ou une fonction amide, qui empêchent la liaison entre les kératinocytes. Ce sont les pemphigus médicamento-induit qui régressent dès l’arrêt de l’exposition au médicament. Mais mes mécanismes étiopathogéniques  peuvent aussi être d’ordre immunologique: certains  médicaments peuvent former avec d’autres molécules des ponts disulfures, et entrainer la modification des kératinocytes par des néoantigènes, ou bien provoquer la synthèse d’autoanticorps dirigés contre la desmogléine . Ce phénomène d’immunisation secondaire serait à l’origine d’une acantholyse immunologique, responsable de pemphigus médicamento-déclenchés, qui ne régressent pas spontanément à l’arrêt du médicament.

L’acide tolfénamique (acide anthranilique N-(2-méthyl-3-chlorophényl)) est un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), appartenant au groupe des fénamates. Puissant inhibiteur de l’enzyme cyclo-oxygénase (COX), il inhibe la synthèse d’importants médiateurs de l’inflammation tels les thromboxanes (Tx)B2 et les prostaglandines (PG)E2. Nous avons observé trois cas de toxidermie chez le chien (érythrodermie, érythème polymorphe et érythème fixe localisé aux ars) fortement imputables à des AINS de la famille des oxicam.

Rappelons que diagnostic d’un ACM est difficile.

  • Le diagnostic, tout d’abord, du tableau lésionnel, fait appel à l’anamnèse, à la clinique si l’examen histopathologique est diagnostique. Dans le cas d’un pemphigus foliacé, le diagnostic est de certitude.
  • Le diagnostic de toxidermie, ensuite, nécessite de réaliser une démarche d’imputabilité médicamenteuse. Elle consiste à établir un lien de causalité entre un médicament et un tableau clinique. De façon méthodique on rassemble divers éléments, pour chacun desquels on établira un score :
  1. Des données de la littérature (c’est l’imputabilité extrinsèque)
  2. Des critères chronologiques (imputabilité chronologique) : délai d’apparition des symptômes après la prise du médicament, et aussi effet de l’arrêt du médicament incriminé sur l’évolution des lésions
  3. Des critères sémiologiques : aspect clinique compatible ou non avec les descriptions antérieures d’ACM

La corrélation entre toutes ces données permet ensuite de définir l’imputabilité, en la situant comme très vraisemblable, vraisemblable, plausible ou douteuse . Dans le cas qui nous intéresse, aucun description documentée d’effet notoire pour l’acide tolfénamique n’ a été publiée. Le délai d’apparition des symptômes après la prise du médicament est compatible, en revanche il est impossible d’évaluer l’effet de l’arrêt du médicament sur les lésions, l’administration ayant été parentérale et l’évolution ayant entraîné une décision d’euthanasie de l’animal. Cette absence d’éléments, déterminante pour imputer de façon plausible ou non  ce médicament au pemphigus observé, ne nous permettra pas de porter une conclusion.

 Lectures conseillées

  • W Bordeau : A case of pemphigus foliaceus in a cat Point Veterinaire, 2005, Vol 36, Iss 259, pp 70+
  • F Chapelin, MC Cadiergues, M Delverdier, C Petit, B Reynolds et M Franc
  • Le pemphigus foliacé chez le chat : étude d’un cas et synthèse des données actuelles Revue de Medecine Vétérinaire, 2004, 87-91
  • T Olivry : A review of autoimmune skin diseases in domestic animals: I – Superficial pemphigus Veterinary Dermatology, 2006, Vol 17, Iss 5, pp 291-305
  • Preziosi de & coll (2003) Feline pemphigus foliaceus : a retrospective analysis of 57 cases Vet Dermatol 14 : 313-321
  • C Rivierre : Pemphigus foliaceus in dogs and cats Point Veterinaire, 2003, Vol 34, Iss 233, pp 30+
  • C Spilmont, F Ponce, D Pin : A case of pemphigus foliaceus in a cat. Point Veterinaire, 2005, Vol 36, Iss 260, pp 58+
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