Un cas de pyodermite profonde récidivante due à une leishmaniose


Auteur : Marie-Christine Cadiergues
The RoyalVeterinaryCollege, Queen MotherHospital,
Hatfield AL97TA, United Kingdom.

École Nationale Vétérinaire
31076 Toulouse cedex 3
France.


Commémoratifs

Opale est une chienne stérilisée de race Labrador, âgée de 5 ½ ans. Elle est présentée en octobre à la consultation de dermatologie de l’Ecole Nationale vétérinaire de Toulouse en raison de « plaies sur le corps ».
Opale est née à Apt, sous préfecture du Vaucluse et y a été achetée à l’âge de 3 mois. Depuis, elle vit en compagnie d’un autre chien (son fils) dans une villa avec jardin en périphérie de Toulouse, région qu’elle n’a jamais quitté depuis son acquisition. Elle couche à l’intérieur, dans le salon sur un coussin en mousse recouvert de tissu, l’accès à l’extérieur est libre. Son alimentation est industrielle et de bonne qualité (croquettes à base d’agneau).
Le chien est correctement vacciné contre la maladie de Carré, l’hépatite de Rubarth, la parvovirose et la leptospirose. La lutte contre les puces est effectuée de façon irrégulière, le dernier traitement a été réalisé en septembre. Aucune affection particulière n’est signalée.

Anamnèse

Les premières lésions sont apparues 15 mois auparavant, elles concernaient uniquement les griffes du membre antérieur droit qui avaient tendance à se fissurer, une inflammation dans le lit de la griffe était également rapportée (périonyxis). Par la suite, des lésions de pyodermite profonde, notamment aux points d’appui ont été relevées. Elles n’ont que très partiellement répondu à plusieurs traitements antibactériens prolongés.

Examen clinique

Examen général

L’animal est en état de surcharge pondérale, son poids est de 40 kg, sa température rectale est de 38,9 °C. L’examen général ne révèle aucune anomalie hormis une adénomégalie poplitée droite et une hyperplasie de type « nodulaire » de l’extrémité de la langue (Photo 1). Les propriétaires signalent une baisse de l’état général et une apathie depuis quelques semaines bien qu’ils n’aient pas relevé de changement de comportement de soif ou alimentaire. Un prurit estimé à 0-1 sur une échelle de 0 à 5 est noté.

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose1

Photo 1

Examen dermatologique à distance

Les lésions siègent essentiellement au niveau des points d’appui : coudes, pointes ischiales et talons.

Examen dermatologique rapproché

L’examen rapproché permet l’observation de

Lésions ulcérées bien circonscrites en diverses régions du corps : babines (Photo 2), coude (Photo 3), abdomen (Photo 4), coussinet (Photo 5).

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose2Photo 2

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose3Photo 3

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose4Photo 4

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose5Photo 5

Lésions de pyodermite profonde sur les coudes, talons et dans les espaces interdigités (Photos 3 et 6)

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose6Photo 6

Lésions associées à un trouble de la kératinisation, sous la forme de lésions squameuses de 5 à 10 mm de diamètre, situées sur la face externe des oreilles (Photo 7), en périphérie oculaire (Photo 8), sur les extrémités digitées et les coussinets (Photos 9 à 11) ;

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose7Photo 7

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose8Photo 8

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose9Photo 9

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose0Photo 10

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose11Photo 11

Papules à la face internes des pavillons auriculaires et l’abdomen (Photo 12).

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose12Photo 12

Périonyxis et onychoclasie concernant plusieurs griffes (Photo 13).

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose13

Photo 13

Synthèse clinique – hypothèses diagnostiques – examens complémentaires – diagnostic

Chienne labrador de cinq ans 1/2 présentant une apathie sans hyperthermie marquée mais avec hypertrophie du NL poplité droit associée avec une dermatose non prurigineuse caractérisée par des lésions ulcératives circulaires bien circonscrites, une pyodermite interdigitée, des papules, des lésions circulaires bien circonscrites de trouble de la kératinisation et des lésions d’onychoclasie et de périonyxis.
Les principales hypothèses diagnostiques à envisager sont la leishmaniose, une dermatose auto-immune, une pyodermite des points d’appui, un syndrome hépato-cutané.
Les examens complémentaires réalisés sont :

  • un adénogramme – normal
  • un calque dermique réalisé à partir d’une papule auriculaire – nombreux macrophages et lymphocytes ainsi que des éléments figurés essentiellement en position extra-cellulaire évoquant des leishmanies (figure 14)

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose14

Photo 14

  • un hémogramme – normal
  • un bilan biochimique – hyperprotéinémie (112 g/L)
  • une électrophorèse des protéines – inversion du rapport Albumine/globulines (0.31)
  • un dosage par immunofluorescence indirecte des anticorps anti-leishmanies – positif au 1/4096 (seuil de positivité = 1/160).

Traitement

L’association Antimoniate de N-méglumine – Glucantime® (100 mg/kg, voie sous-cutanée, q 24 h) et allopurino – Zyloric® (10 mg /kg q 8h, voie orale) est proposée pendant 20 jours. Un diurétique doux –extraits d’artichauts – est également prescrit (Chophytol® 200 mg q 8h, per os).

Évolution

L’animal est revu 20 jours plus tard. Le propriétaire rapporte la disparition de l’apathie et une bonne évolution des lésions (cicatrisation des lésions des coudes en 4-5 jours). L’examen clinique permet d’observer la restauration de l‘intégrité cutanée : les ulcères et les squamo-croûtes ont disparu (figures 15-17), les lésions linguales ont également bien évolué (figure 18). Le bilan biochimique montre la stabilité des paramètres hépatiques et rénaux dans les valeurs usuelles, une diminution de la protidémie (94 g/L). Il est décidé de prolonger les injections de Glucantime® pendant 5 jours et par la suite de n’administrer que le Zyloric® et le Chophytol®. L’animal est revu à J70 : il est très énergique et toutes les lésions cutanées ont régressé, seules quelques lésions de la langue persistent (figures 19 et 20). La protidémie est alors de 72 g//L. L’administration conjointe de Zyloric® et de Chophytol® est poursuivie, maintenant la même posologie journalière mais avec seulement une administration bi-quotidienne. Un suivi bi-annuel est proposé.

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose15Photo 15

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose16Photo 16

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose17Photo 17

cas-de-pyodermite-profonde-recidivante-due-a-leishmaniose18Photo 18

Discussion

Ce cas clinique doit attirer l’attention sur le grand polymorphisme de la leishmaniose et sur sa potentielle longue durée d’incubation. Ce chien, né en zone d’endémie, n’est jamais retourné dans une zone parasitée par des phlébotomes. Il est vraisemblable que porteur de leishmanies depuis son plus jeune âge, il a développé la maladie tardivement.
L’examen clinique rapproché et l’identification des lésions primaires montre ici toute son importance. Des gestes techniques simples comme la ponction ganglionnaire ou le calque dermique sont des examens complémentaires utiles à la mise en évidence des parasites, cependant la recherche des leishmanies est parfois difficile et demande de l’expérience.
Il convient d’informer le propriétaire sur le caractère zoonotique – bien que limité hors zone colonisée par le vecteur – de la leishmaniose ainsi que de la persistance de l’infection malgré une apparente guérison clinique.

En ce qui concerne le traitement, les stibiés, utilisés depuis près d’un siècle, demeurent les principales molécules du traitement de la leishmaniose tant humaine que canine et ce malgré leur toxicité, l’apparition de résistances et leur coût élevé voire prohibitif dans certaines zones géographiques. Les dérivés pentavalents de l’antimoine inhibent de façon sélective des enzymes leishmaniennes nécessaires à la glycolyse et à l’oxydation d’acides gras. Le protocole le plus classiquement utilisé avec l’antimoniate de méglumine est de 100 mg/kg q. 24 h. pendant 3 à 4 semaines par voie sous-cutanée ou intraveineuse. L’administration par voie intramusculaire peut entraîner des effets secondaires sévères tels des abcès ou une fibrose musculaire. D’autre part, les dérivés stibiés peuvent provoquer des perturbations digestives, des douleurs musculaires ou articulaires.

L’allopurinol, analogue purique administré par voie orale, est métabolisé par les leishmanies en nucléotides puis incorporé dans l’ARN et secondairement interrompant la synthèse protéique. Cette molécule est dotée de peu d’effets secondaires chez le chien même si à long terme elle peut entraîner la formation de calculs néphrétiques contenant de la xanthine. Diverses études ont été réalisées à différentes posologies (5 mg/kg q. 8 h. – 10 mg/kg q. 24 h. – 20 mg/kg q. 24 h.). A l’heure actuelle la posologie retenue est de 10 mg/kg q. 8 h. ou 15 mg/kg q. 12 h. en association en début de traitement avec l’antimoniate de méglumine (cf. infra.).

L’amphotéricine B est un antibiotique antifongique de la famille des polyènes macrocycliques, produit par une souche de Streptomyces nodosus. Cette molécule est utilisée chez l’homme dans le traitement des leishmanioses viscérales en seconde intention, par exemple en cas de résistance prouvée ou probable aux antimoniés. Elle n’est disponible que dans des formulations réservées à l’usage hospitalier. La très forte toxicité rénale de l’amphotéricine B conventionnelle a été réduite dans les formulations liposomales. Une étude récente chez le chien a montré que le traitement par la chaleur (80° C – 15 minutes) d’une solution préparée d’amphotéricine B (excipient désoxycholate de sodium) réduisait les effets secondaires tout en permettant d’augmenter les doses. Chez le chien, la formulation liposomale a été utilisée à la dose de 0,5 à 0,8 mg/kg par voie intraveineuse rapide deux fois par semaine jusqu’à atteindre une dose cumulée de 6 à 16 mg/kg, la créatinémie étant contrôlée au minimum une fois par semaine , le traitement suspendu dès qu’elle dépasse la valeur seuil de 220 µmol/L ; ce traitement a entraîné une amélioration clinique chez 28 des 30 chiens traités. 27 de ces chiens n’ont pas présenté de rechutes dans les 12 mois qui ont suivi.

L’association antimoniate de méglumine (100 mg/kg q. 24 h. x 30 j. SC) – métronidazole (25 mg/kg q. 24 h. x 30 j. P.O.) – spiramycine (150000 UI/kg q. 24 h. x 30 j. P.O.) a été évaluée au cours d’une étude terrain récente et a montré une efficacité intéressante, plus rapide et plus intense que l’association classique antimoniate de méglumine-allopurinol.

La pentamidine peut également être utilisée à la posologie de 4 mg/kg IM q. 72 h. x 3 semaines renouvelée à l’identique 3 semaines plus tard. La difficulté de ce schéma thérapeutique tient à l’irritation musculaire majeure de ce produit au niveau des sites d’injection ainsi que des effets secondaires cardiaques et digestifs.
La miltefosine est une molécule utilisée habituellement en topique dans le traitement des métastases cutanées du cancer du sein et qui s’est révélée potentiellement efficace dans le traitement de la leishmaniose viscérale humaine par voie orale et est autorisée dans plusieurs pays.

D’autres molécules comme la paromomycine et la sitamaquine sont en développement chez l’homme avec des résultats prometteurs.
Il est important de garder à l’esprit la nécessité de traiter la leishmaniose humaine et la leishmaniose canine avec des molécules différentes pour diminuer le risque d’apparition de résistances au traitement chez l’homme. Le recours à de nouvelles molécules ou à de nouveaux schémas thérapeutiques (privilégiant les associations de molécules) est également nécessaire.

Retour en haut