Auteur : Jean-Loup MATHET – Avril 2014
Clinique vétérinaire des glycines
45100 Orléans
Identification
Une femelle terre-neuve âgée de deux ans est présentée à la consultation pour un prurit sévère évoluant depuis plusieurs mois associé à des pertes de poils et une baisse de forme.
Anamnèse
La chienne a été achetée en animalerie à l’âge de 4 mois, et vit seule, essentiellement en intérieur, en Sologne. Parfois d’autres chiens sont présents temporairement, en pension, car la propriétaire dirige une société de gardiennage avec chiens de surveillance. Elle est nourrie depuis quelques semaines avec de nouvelles croquettes de la grande distribution contenant en autres du saumon. Selon ses maîtres, l’état de son pelage s’est depuis un peu amélioré.
Les traitements antiparasitaires externes sont aléatoires en fréquence et par la qualité des molécules utilisées, en général avec du FRONTLINE 40-60kg Spot-On® (fipronil) deux fois par an. Par contre, les vermifugations avec du PROFENDER Grand Chien® (emodepside-praziquantel) et les vaccinations sont à jour, et aucune anomalie n’est rapportée dans son passé pathologique.
Commémoratifs
Les démangeaisons étaient présentes dès l’achat en animalerie à quatre mois, mais n’ont pas inquiété les propriétaires à l’époque en l’absence de lésions. La chienne n’a été présentée que quelques mois auparavant à un collaborateur pour une séborrhée et un prurit diffus, avec suspicion de pyodermite superficielle. Un traitement anti-puces (FRONTLINE®), une antibiothérapie avec une céfalexine à la dose de 30 mg/kg/jour en deux prises quotidiennes (RILEXINE®) sur des courtes durées (une dizaine de jour deux fois, un shampooing anti-séborrhéique SEBODERM® et une supplémentation en acides gras essentiels W3-W6 MEGADERM® ont été prescrits alors.
Il s’en est suivi une amélioration transitoire suivie d’une aggravation progressive de la dermatose et en particulier du prurit qui devient quasi-permanent en particulier la nuit. La chienne est alors remontrée en consultation dermatologique.
Examen clinique général
La chienne est amaigrie d’une dizaine de kilos (55kg) en comparaison avec son poids habituel (64kg), et adynamique, mais le reste du bilan clinique est normal.
Examen clinique dermatologique
À distance, on observe un pelage de mauvaise qualité, terne et malodorant, avec de nombreuses plages alopéciques, de larges zones excoriées ou érythémateuses et une saillie des pointes ischiales également alopéciques. L’alopécie est nettement plus marquée en région abdominale, cervicale et sur les membres (photo 1).
Photo 1 : alopécie diffuse abdominale
L’examen rapproché montre un squamosis, des papules ou des papulo-croûtes folliculaires ou non, des pustules folliculaires abondantes sur l’abdomen et le thorax ventral. Les croûtes plus marquées sur les coudes et les talons. Certaines papules sont confluentes, associées à un érythème est parfois important au niveau des plages alopéciques, en particulier au niveau des grands plis (photos 2 et 3).
Photos 2 et 3 (après tonte) : papules et croûtes folliculaires, érythème (région des flancs)
Photos 4 : alopécie et plaque érosion et excoriée suite au prurit sur le coude gauche
Les pointes ischiales sont alopéciques, très exposées suite à la fonte graisseuse, squameuses et lichénifiées.
Photo 5 : amaigrissement majeur, pointes ischiales saillantes
Une alopécie érythémateuse et squameuse péri-oculaire bilatérale est également constatée (photos 6 et 7).
Photo 6 et 7 : alopécie et érythème bilatéraux palpébraux
Les pavillons auriculaires semblent indemnes, peu alopéciques, cependant de rares lésions érythémateuses, papuleuses et croûteuses sont observables en face interne lorsque l’on écarte les poils. L’examen otoscopique des conduits auditifs montre une otite érythémato-cérumineuse bilatérale. Les réflexes oto-podal et audito-podal réalisés en même temps sont négatifs.
Le prurit est de plus en plus prononcé, généralisé, diurne et nocturne, à l’origine des nombreuses lésions érosives et croûteuses, et à l’origine d’un épuisement de l’animal.
Bilan clinique
figure 1: silhouette topographique
Il s’agit d’une dermatose chronique, fortement prurigineuse, alopécique multifocale épargnant partiellement la ligne du dos, caractérisée par de l’érythème, de nombreuses papules, des croûtes, et un état kérato-séborrhéique malodorant. Une otite cérumineuse, un amaigrissement net et une fatigabilité imputable au prurit y sont associés.
Hypothèses étiologiques (et tableau I)
- dermite atopique (aéroallergènes, trophallergènes)
- gale sarcoptique
- démodécie
- dermatophytie
- pyodermite secondaire
- dermite à Malassezia secondaire
Tableau I: hypothèses diagnostiques
Hypothèses diagnostiques | Arguments en faveur | Arguments contre | Examens complémentaires |
Dermatite atopique |
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DAPP |
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Gale sarcoptique
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Démodécie
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Pyodermite secondaire
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Dermatite à malassezia secondaire |
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Examens complémentaires
De multiples raclages sont réalisés à différents endroits en particulier sur les coudes et la zone de Henry des pavillons auriculaires : ils ne permettent pas de mettre en évidence d’ectoparasites adultes ou leurs formes immatures. Les raclages effectués sur le bord libre des pavillons auriculaires ne déclenchent pas de réflexe oto-podal.
Des cytologies de pus sous-crustacé et des scotch-tests appliqués sur les zones érythémateuses montrent des images de phagocytose de cocci et la présence de nombreuses levures type malassezia (photo 8). Ces levures sont également observées sur une cytologie du cérumen sans mise en évidence d’otodectes.
Photo 8 : cytologie cutanée, présence de nombreuses Malassezia
Le trichogramme ne révèle aucune anomalie, mais la recherche de teigne est approfondie par demande d’une culture mycologique au laboratoire DPM d’ONIRIS (méthode du carré de moquette stérile) : elle est négative pour les dermatophytes mais positive pour de nombreuses colonies de Malassezia pachydermatis.
Une bactériologie et un antibiogramme sont demandés sur le pus d’une pustule intacte afin de vérifier la possibilité d’un germe résistant. Un staphylococcus aureus est isolé, résistant à l’acide nalidixique mais sensible à la plupart des céphalosporines dont la céfalexine.
Diagnostic initial
Notre premier diagnostic est donc celui d’une pyodermite superficielle et profonde, d’une dermatite à Malassezia et d’une otite externe à Malassezia, avec une suspicion de dermatite allergique sous-jacente.
Traitement et suivi
Nous nous attachons dans un premier temps à contrôler les complications infectieuses bactériennes et fongiques, cutanées et auriculaires par voie topique et systémique. Les tests allergologiques en vue d’une immunothérapie ne seront envisagés qu’ultérieurement.
Une antibiothérapie est entreprise avec une prescription de céfalexine, 30 mg/kg/jour en deux prises quotidiennes (RILEXINE 600 et 300mg®) pendant trois semaines, associée à des shampooings hebdomadaires au PYODERM® et à des pulvérisations de spray DOUXO PYO®. Une tonte généralisée est proposée mais refusée par les propriétaires.
Les lésions péri-palpébrales sont traitées par un topique antibiotique et anti-inflammatoire FRADEXAM®. L’otite est soignée par application d’un topique auriculaire nettoyant EPI-OTIC® puis d’un topique traitant OTOMAX® 30mn après le nettoyage, pendant 15 jours.
La dermatite à Malassezia est traitée par du kétoconazole à la dose de 10 mg/kg/jour (KETOFUNGOL 200mg®), en une prise quotidienne avec un repas riche en matière grasse, pendant trois semaines.
Enfin, un traitement antipuces régulier est instauré par l’administration mensuelle d’un comprimé de spinosad COMFORTIS®.
Au bout de 21 jours, une amélioration est constatée, l’EKS et les lésions de folliculite rétrocèdent partiellement mais peu le prurit et l’alopécie péri-oculaire. L’antibiothérapie et le kétoconazole sont donc poursuivis car quelques lésions papuleuses persistent, et quelques levures sont encore observées sur les scotch-tests. Une sérologie IgE d’un panel d’allergènes du Nord de la France est demandée (laboratoires DESTAING) dans le cadre d’une immunothérapie.
Au contrôle à 30 jours, l’état dermatologique lésionnel se dégrade, l’alopécie s’étend aux lombes et le prurit rechute dramatiquement après une diminution modérée lors de la corticothérapie. Les propriétaires étant lassés par l’intensité et la permanence des démangeaisons, une corticothérapie est prescrite pendant 3 jours à raison de 0.5 mg/kg/jour, puis à 0.25 mg/kg/jour pendant les 3 jours suivants.
L’antibiothérapie est poursuivie encore deux semaines car des lésions papuleuses persistent, par contre les levures ne sont plus observables sur les scotch-tests.
La sérologie IgE met en évidence une très forte réactivité à Dermatophagoïdes farinae, et aux acariens de stockage (Acarus siro et Tiroglyphus putrescentiae).
À 45 jours, la stagnation lésionnelle et la violence du prurit nous font envisager alors la possibilité d’une gale sarcoptique occulte avec une réactivité sérologique IgE croisée aux acariens microscopiques de la poussière de maison. Une sérologie IgG est réalisée et revient positive (laboratoire DPM d’ONIRIS).
Diagnostic
gale sarcoptique chronique compliquée d’une pyodermite superficielle à Staphylococcus aureus et d’une dermatite à Malassezia pachydermatis, associée à une otite bilatérale à Malassezia pachydermatis