Un cas de dermatite à Malassezia féline

Les levures Malassezia sont considérées comme des composants normaux de la flore cutanée de nombreux animaux, notamment mais non exclusivement chez les mammifères.


Auteur : Emmanuel Bensignor – Avril 2010
Spécialiste en dermatologie vétérinaire
DESV Dermatologie, DIP ECVD, CES Dermatologie
Consultant en dermatologie
75003 Paris, 35510 Rennes-Cesson, 44000 Nantes


Plusieurs espèces de Malassezia sont décrites, distinguées par leurs caractéristiques microscopiques, leurs capacités de pousse et d’assimilation de différents substrats et par typage génétique. Chez les carnivores domestiques Malassezia pachydermatis, seule espèce de Malassezia lipophile mais non lipodépendante, est le plus souvent mise en cause en cas de dermatite ou d’otite. Chez le chat, les dermatites à Malassezia sont considérées comme relativement rares, notamment en comparaison du chien. Dans l’espèce féline, il semble par ailleurs que des infections dues à des espèces autres que Malassezia pachydermatis soient toutefois régulièrement rapportées et méritent d’être recherchées en présence d’une dermatose érythémateuse avec état kératoséborrhéique gras, comme illustré par ce cas clinique.

Un chat Européen, femelle stérilisée âgée de 4 ans, est présenté à la consultation pour un prurit évoluant depuis plusieurs mois. Les lésions ont débuté initialement sur la face ventrale du cou et en région périanale. L’animal est régulièrement vacciné. Il vit dans une maison avec libre accès à l’extérieur, sans congénère. Son alimentation est variée (croquettes et boîtes). Le traitement antiparasitaire, initialement une pipette appliquée « tous les mois entre le printemps et l’automne », a été récemment recadré par le vétérinaire traitant avant le référé : application d’un spray contenant du fipronil, toutes les 3 semaines (6 pressions par kilogramme, comme recommandé par le fabricant). Divers traitements ont été précédemment mis en œuvre : injections de corticoïdes (soulagement passager mais rechutes rapides et systématiques), antibiothérapie (sans résultat), administration d’acides gras essentiels (sans résultat). Une culture fongique a été réalisée sur milieu DTM et n’a pas mis en évidence de dermatophyte. L’animal a alors été référé.

L’examen clinique général est normal. L’examen dermatologique montre des lésions cutanées généralisées, surtout marquées sur la surface ventrale du corps. Il s’agit d’un état kératoséborrhéique gras avec érythème. Des excoriations sont également notées. Une hypotrichose, probablement secondaire au léchage, est associée (photo 1).

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Photo 1 : Aspect de la zone périanale:
alopécie, érythème, séborrhée et excoriations

Les hypothèses diagnostiques regroupent une ectoparasitose (démodécie, cheyletiellose), une dermatite infectieuse (syndrome de prolifération bactérienne ou dermatite à Malassezia), ces deux dernières hypothèses pouvant être secondaires à une dermatite allergique (DAPP peu probable du fait du traitement adéquat contre les puces, allergie alimentaire, dermatite atopique féline).

Les raclages ne montrent pas de parasite. Des examens cytologiques multiples montrent la présence de nombreux éléments levuriformes évoquant des Malassezia (photo 2). Aucune prolifération bactérienne n’est notée. Une culture fongique est ensemencée en utilisant une boîte de contact contenant un milieu supplémenté en lipides (milieu de Dixon). Après 3 jours d’incubation, de nombreuses colonies de levures sont mises en évidence (photo 3). Le mycologiste identifie principalement des colonies de Malassezia pachydermatis, mais quelques colonies de Malassezia globosa seront également identifiées. Un traitement associant un shampooing à la chlorhexidine (Pyoderm® deux applications par semaine) et l’itraconazole (Itrafungol®, 5 mg/kg/j per os) est mis en place. A la visite de contrôle après un mois, une nette amélioration des lésions est rapportée. Le poil repousse. Le prurit est diminué d’environ 75%, mais il persiste un léchage anormal d’après le propriétaire. Les examens cytologiques et la culture fongique sont dans les normes. Un régime d’éviction hypoallergénique est mis en place (alimentation ménagère à base de viande de cheval) et les shampooings sont poursuivis. Six semaines plus tard, une guérison complète est rapportée. Une réintroduction de la ration initiale contenant du poulet provoquera par la suite une rechute du prurit, confirmant l’allergie/intolérance alimentaire chez cet animal.

 

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Photo 2 : Examen cytologique (RAL®, Gx1000):
nombreuses levures en “empreinte de pas”

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Photo 3 : Culture fongique sur boîte de contact:
nombreuses colonies de Malassezia (« points blancs »),
les surfaces duveteuses correspondent à des contaminants

Chez le chat, les dermatites à Malassezia semblent rares, mais sont peut être sous diagnostiquées. Différentes espèces de levures ont été mises en cause chez le chat : des espèces lipo-dépendantes (qui nécessitent des milieux supplémentés en lipides pour donner des colonies à la culture fongique) : M. sympodialis, M. sloofiae, M. nana, M. globosa et l’espèce lipophile mais non lipo-dépendante M. pachydermatis. Les signes cliniques sont variés, mais sont en général rapportés un état kératoséborrhéique gras, un érythème, des squames, des manchons pilaires, et pour les cas chroniques des croûtes, des excoriations et une alopécie. Le prurit est en général présent et marqué. Les lésions peuvent être localisées ou généralisées. Le menton est relativement souvent atteint et le diagnostic différentiel avec une acné doit être réalisé. Par ailleurs, comme chez le chien, les Malassezia peuvent être responsables d’otites externes dans l’espèce féline. Finalement, nous avons régulièrement l’occasion d’observer des cas d’onychophagie associés à la présence d’un exsudat brunâtre périunguéal (photo 4).

 dermatite-malassezia-feline4Photo 4 : pododermatite et onychophagie secondaires
à une prolifération de Malassezia chez un chat

Le diagnostic nécessite la mise en évidence, facile, des levures sur la peau. En clinique, le test au ruban adhésif coloré (« scotch-test ») est simple et rapide : le ruban est appliqué sur la peau à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le scotch ne colle plus, puis est coloré par un passage unique dans le troisième bain du kit de coloration (bleu de méthylène), avant d’être rincé, séché et examiné au microscope à l’objectif à immersion. Les levures apparaissent comme des éléments ovoïdes, à bourgeonnement unipolaire à base large pour M. pachydermatis. Les autres espèces ont un aspect microscopique un peu différent. Leur mise en évidence est toutefois facilité par la culture fongique si le laboratoire de mycologie utilise des milieux spéciaux, supplémentés en lipides. La technique du carré de moquette est intéressante, mais l’idéal semble être le recours aux boîtes de contact, qui appliquées directement sur les lésions, permettent un dénombrement quantitatif précis des colonies fongiques.
Le diagnostic de dermatite à Malassezia est compliqué car il n’existe pas de donnée chiffrée quant au nombre « seuil » de levures signant une prolifération et un caractère pathogène. Certains auteurs ont proposé que l’observation de moins de deux levures par champ à l’objectif 40 soit considéré comme normal dans l’espèce féline, mais ce chiffre nous semble varier en fonction de différents facteurs (âge de l’animal, zone prélevée, type de peau : il a par exemple été montré que certaines races « nues » ou « hypotrichotiques » comme le Sphinx ou le Devon rex étaient porteurs de populations importantes de levures). Par ailleurs, comme chez le chien, il est possible qu’un faible nombre de levures puisse être associé à des lésions, certaines espèces pouvant avoir un pouvoir pathogène plus important que d’autres et/ou jouer un rôle d’allergènes. C’est pourquoi la réponse au traitement antifongique reste un élément important du diagnostic.

Différentes modalités thérapeutiques sont proposées dans la littérature. Les azolés par voie orale sont efficaces, bien qu’il manque d’études prospectives comparatives. Le kétoconazole ne dispose pas d’autorisation de mise sur le marché dans l’espèce féline, et il semble donc préférable d’avoir recours à l’itraconazole, plus facile à doser et simple d’administration sous sa forme sirop. Nous avons eu l’occasion de traiter une série de chats avec cette molécule dans l’indication dermatite à Malassezia, avec un taux de succès important, et sans noter d’effet secondaire. La posologie proposée (5 à 10 mg/kg/j) est empirique : il a été montré chez le chien qu’une administration deux jours par semaine était efficace dans les dermatites à Malassezia et chez le chat qu’une administration une semaine sur deux était efficace dans les dermatophytoses : ce type de protocole « pulsé » ou « intermittent » mériterait sans doute de faire l’objet d’études futures.
Le recours à des antifongiques par voie topique est également potentiellement utile. La chlorhexidine, éventuellement associée au miconazole, est disponible sous forme de shampooings. Pour les cas localisés, le recours à des gels, des sprays ou des pommades contenant un antifongique peut également être intéressante : Fazol® ou Mycoster® par exemple.

Dans l’espèce féline, il semble que les dermatites à Malassezia soient souvent secondaires à une dermatose sous-jacente, parfois grave, notamment chez les animaux âgés. Plusieurs études ont ainsi montré que si les dermatites allergiques sont fréquemment compliquées par cette levurose, comme pour notre animal, d’autres maladies de système peuvent aussi être mises en cause : infection par un rétrovirus, syndrome paranéoplasique, diabète sucré, hyperthyroidie par exemple… Un bilan complet semble donc nécessaire en cas de dermatite à Malassezia généralisée chez un chat âgé présentant des signes généraux associés à des symptômes cutanés évocateurs: sont indiquées une biochimie, une numération-formule et une échographie thoracique et abdominale en cas de doute.

Références

Bensignor E. Malassezia dermatitis in cats: 15 cases treated with itraconazole. In Proceedings NAVDF Forum, Portland, 2010.
Bond R, Howell SA, Haywood PJ et al. Isolation of Malassezia sympodialis and Malassezia globosa from healthy pet cats. Vet Rec, 1997, 141, 200-201.
Bond R, Stevens K, Perrins N et al. Carriage of Malassezia spp. yeasts in Cornish Rex, Devon Rex and Domestic shorthaired cats: a cross-sectional survey. Vet Dermatol, 2008, 19, 299-304.
Guillot J, Bond R Malassezia dermatitis: a review. Med Mycol, 1999, 37, 295-306.
Ordeix L, Galeotti F, Scarampella F et al. Malassezia overgrowth in allergic cats. Vet Dermatol, 2007, 18, 316-323.
Perrins N, Gaudiano F, Bond R Carriage of Malassezia spp. Yeasts in cats with diabetes mellitus, hyperthyroidism and neoplasia. Med Mycol, 2007, 45, 541-546.

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