Auteurs :
Jean-Loup MATHET
Clinique vétérinaire des glycines
45100 Orléans
Et
Frédérique DEGORCE-RUBIALES*
LAPVSO
129 Route de Blagnac
31201 Toulouse cedex 2
www.lapvso.com
Introduction
Une chienne Berger blanc suisse, âgée de 6 ans, est présentée pour une dermatose alopécique, séborrhéique, squameuse et peu prurigineuse du sommet de la tête et des oreilles, évoluant depuis 2 mois.
Commémoratifs
La chienne vit en milieu péri-urbain, sans congénères, et reçoit un aliment industriel de qualité. Les traitements antiparasitaires externes et internes sont régulièrement effectués, ses vaccins sont à jour et elle n’a jamais voyagé. Aucune contamination humaine n’est signalée. Deux années auparavant, un épisode de pyodermite superficielle a été traité par antibiothérapie orale (céfalexine). Aucune pathologie antérieure remarquable n’est rapportée.
Anamnèse
Les premières dépilations apparaissent quelques semaines avant la présentation, depuis le sommet du crâne et s’étendent progressivement à l’ensemble de la tête. En parallèle, la propriétaire signale des « pellicules » ainsi qu’un pelage méché et gras sur les mêmes zones. Le prurit est modéré.
Examen clinique
A distance, on observe une alopécie diffuse de la tête et dans une moindre mesure du chanfrein : la densité du pelage est plus faible et la peau sous-jacente prend une coloration grisâtre « sale ». Des dépilations plus franches en région rétro-auriculaires sont présentes (photos 1,2). Aucune autre région du corps ne semble atteinte, et aucune anomalie systémique n’est constatée
Photo 1 : aspect terne du pelage et alopécie diffuse sur le sommet du crâne
Photo 2 : alopécie rétro-auriculaire, séborrhée (le poil prend une coloration jaunâtre)
L’examen rapproché confirme l’impression de pelage terne sur l’ensemble de la tête, avec des poils agglutinés et un squamosis cireux. Après tonte légère, la pigmentation grisâtre de la peau est évidente : le toucher génère une sensation granuleuse (photos 3,4). Les bases des tiges pilaires après la tonte sont engainées d’un sébum épais. Des manchons folliculaires sont aisément observables après épilation (photo 5).
Photos 3 et 4 : après tonte, aspect granuleux grisâtre de la peau, manchons pilaires
Photo 5 : après épilation, manchons pilaires kératinisés
Il s’agit donc d’une dermatose alopécique diffuse chronique, séborrhéique, peu prurigineuse, localisée à la tête et aux pavillons, lentement extensive, caractérisée par de nombreux amas kératinisés folliculaires.
Les hypothèses diagnostiques regroupent les causes d’états kérato-séborrhéiques (EKS) primaires ou secondaires, régionaux. Il faut donc ici envisager en priorité une dermatophytie, une démodécie, une adénite sébacée. Moins probablement, une dysendocrinie en raison de l’absence de signes généraux et de la localisation, ou une dysplasie folliculaire. Enfin, une infection secondaire bactérienne ou à levures est possible.
Examens complémentaires
Les raclages multiples, une culture fongique et les bilans hémato-biochimique et urinaire ne montrent aucunes anomalies. Le trichogramme confirme par contre l’abondance de manchons folliculaires, épais, kératinisés, et agglomérant la base des poils (photo 6). La cytologie effectuée après tonte met en évidence une prolifération bactérienne de surface modérée (cocci).
Photo 6 (immersion *100) : trichogramme, aspect caractéristique des manchons
Des biopsies cutanées sont réalisées : l’examen histopathologique met en évidence une hyperkératose orthokératosique modérée, à l’origine de manchons kératosiques entourant les tiges pilaires (photo 7). Les follicules pileux sont présents à tous les stades du cycle pilaire, en particulier le stade anagène. Les glandes sudorales sont normales mais les glandes sébacées ne sont pas visibles.
Photo 7 (F. DEGORCE, LAPVSO) (HE*200) : manchons kératosiques entourant
les tiges pilaires, absence de glandes sébacées
Sur une biopsie, au niveau des isthmes folliculaires, le long de reliquats d’un canal sébacé, des petits amas inflammatoires sont présents à l’endroit probable des glandes sébacées (photo 8). Ces foyers périfolliculaires peuvent être soit pyogranulomateux (macrophages, neutrophiles, rares cellules lympho-plasmocytaires) ou soit mononucléés (lymphocytes, plasmocytes, quelques mélanophages et mastocytes).
Photo 8 (F. DEGORCE, LAPVSO) (HE*400) : foyer périfolliculaire pyogranulomateux
à l’emplacement d’une ancienne glande sébacée
Il s’agit donc d’une adénite sébacée granulomateuse idiopathique, une leishmaniose ou une dysendocrinie pouvant être écartées cliniquement, biologiquement et histologiquement.
Le pronostic est a priori bon étant donné l’atteinte régionale et l’excellent état général de la chienne même si une extension ultérieure avec aggravation des lésions est possible.
Traitement
Une antibiothérapie orale est instaurée avec de la céfalexine, à raison de 30 mg/kg en 2 prises quotidiennes (RILEXINE®), associée à une antisepsie topique à base de chlorhexidine (DOUXO Pyo® Spray). A cette thérapeutique anti-infectieuse est associée l’application régulière d’un spot-on de céramides cutanés (ALLERDERM Spot-On®) afin de favoriser la reformation d’un film hydrolipidique de surface efficace. Le contenu de la pipette est réparti sur le sommet du crâne, sur le cou et derrière les deux oreilles, deux fois par semaine.
L’amélioration est satisfaisante : le poil repousse progressivement, la séborrhée diminue et l’aspect du pelage devient plus net (photo 9). Les manchons pilaires sont moins épais (photo 10). L’antibiothérapie et l’antisepsie sont stoppées au bout de 4 semaines. Seule l’utilisation du complexe lipidique cutané en spot-on est poursuivie sur une base hebdomadaire, grâce à sa facilité d’emploi. La propriétaire interrompt les soins après une dizaine de mois. La récidive lésionnelle est constatée rapidement : l’application d’un shampooing SEBOMILD® et la reprise du complexe lipidique ALLERDERM Spot-On® améliore à nouveau la clinique.
Photo 9 : J0+3 mois, repousse modérée du pelage, d’aspect amélioré
Photo 10 (immersion *100) : J0+3 mois, trichogramme,
manchons moins kératinisés
Discussion
L’adénite sébacée canine est une génodermatose dont les mécanismes proposés sont à la frontière entre une dermatose à médiation immune et un trouble de la kératinisation lié à un dysmétabolisme des lipides cutanés.
Cliniquement, elle se caractérise par de l’alopécie à un stade variable, une séborrhée et des manchons kératinisés folliculaires. L’histologie, très évocatrice, montre une inflammation puis à terme destruction des glandes sébacées, associés à une dermatite nodulaire pyogranulomateuse périfolliculaire centrée sur l’isthme.
L’hyperkératose orthokératosique, épidermique et folliculaire génère de véritables plaques de kératine adhérentes à la tige pilaire dans l’infundibulum. Les follicules pileux en eux-même ne sont pas atteints et le cycle folliculaire est normal.
Plusieurs mécanismes sont envisagés :
- défaut structural primitif des glandes sébacées à l’origine d’un déficit de la production sébacée et une réponse inflammatoire à corps étranger
- une médiation immune (voire auto-immune) avec activation des cellules dendritiques présentatrices d’Ag et des lymphocytes T dirigée vers les glandes sébacées
- un trouble primaire de la kératinisation obstruant les canaux sébacés et aboutissant à une inflammation glandulaire
- un trouble primaire du métabolisme lipidique épidermique et sébacé
Il semble qu’une anomalie de la sécrétion sébacée obère le détachement pilaire en phase télogène par dégradation de la gaine épithéliale interne et entraîne pour partie l’alopécie.
On distingue une véritable progression dans l’atteinte lésionnelle de la glande sébacée : une phase inflammatoire précoce avec un infiltrat mixte dans la région de l’isthme, puis une phase intermédiaire ciblée sur la glande sébacée et enfin sa disparition lors de la phase tardive, associée à une fibrose périfolliculaire. La vitesse d’évolution et l’expression clinique sont variables d’une race et d’un individu à l’autre : les glandes sébacées peuvent être totalement détruites en 2 mois, ou persister partiellement plus de 2 ans après le début des symptômes.
Un fondement génétique est connu dans certaines races où une transmission héréditaire autosomale récessive a été prouvée (Akita Inu, Caniche). Elle est suspectée dans d’autres races comme le Samoyéde, le Bichon havanais, le Berger belge, Chow-Chow, Braque hongrois, et dans d’autres espèces (chat, lapin). Chez l’Akita, l’âge d’apparition est large, et varie de quelques mois à 11 ans. Des facteurs déclenchants ont été également suspectés (stress intense, maladies ou chirurgies, corticothérapie prolongée).
Un diagnostic différentiel (clinique et histopathologique) s’impose avec d’autres atteintes périfolliculaires ou annexielles et divers EKS. Il faut envisager une étiologie parasitaire (démodécie), infectieuse (bactéries, dermatophytes, leishmaniose) et inflammatoire. La possibilité d’une leishmaniose doit être éliminée lors de formes étendues. P. DENEROLLE a ainsi décrit un variant clinique d’adénite sébacée chez le chien leishmanien.
Plus récemment, un cas de folliculite murale associée à une disparition des glandes sébacées et à une panniculite lymphocytaire sous-jacente a été décrite chez un Labrador adulte.
Le pronostic est cosmétique, bon lors de formes localisées comme ici, mais peut être sévère lors de formes chroniques non contrôlées. Nous avons observé un cas dramatique chez un Akita où la dermatose évoluait depuis des années sans aucune thérapie ; le pelage était littéralement aggloméré en mèches kératinisées épaisses (photos 11,12). Cette présentation évoquant des « plumes » est considérée comme pathognomonique par E. GUAGUERE.
Photo 11 : forme très sévère d’ASG chez un Akita
Photo 12 : vue rapprochée de gros amas de kératines
agglomérant les poils, aspect en « plume »