Auteur : Christian COLLINOT – Septembre 2016
Clinique vétérinaire du ROC,
117 avenue du Maréchal LECLERC,
86100 CHATELLERAULT
Anamnèse
Cooki est un chien Cavalier King Charles de 6 ans, mâle non stérilisé. Parfaitement entretenu, il est vacciné et déparasité (APE, API) correctement. Jusqu’à l’âge de 2 ans, rien d’anormal n’est signalé.A deux ans, plusieurs passages « d’yeux rouges » étant signalés, le vétérinaire a pratiqué entre autres un test de Schirmer qui s’est avéré correct. Entre 3 et 5 ans, plusieurs épisodes d’otites bilatérales, de séborrhée et de chéilites ont été traités.
Commémoratifs
On a plus de détails à partir de 6 ans sur les traitements. Un traitement par la prednisolone en commençant à 0,5mg/Kg /j et douxo séborrhée, suite à une perte de poils en plaques importante avec des grosses squames et manchons mais peu de pruri,t a donné un bon résultat. Puis une récidive avec prurit et mordillements est apparue 8 mois plus tard traitée uniquement par quelques jours de prednisolone associés à 20 jours d’amox/acidclavulanique et le même shampooing. Un régime avec dietdog hypoallergenic est mis en place. Suite à une nouvelle rechute trois mois plus tard le cas est référé.
Examen clinique général
En dehors des problèmes dermatologiques et d’une légère blépharo-conjonctivite bilatérale qui entrainent un certain inconfort par le prurit, l’examen est normal.
Photo 1 : légère blépharo-conjonctivite bilatérale
Examen dermatologique

Le prurit est présent par mordillement et grattage notamment sur les flancs et la base de la queue.
On note la présence de puces.
Une otite bilatérale érythémato-cérumineuse avec un cérumen jaune d’or très abondant se collant sur tous les poils de la périphérie de la conque auriculaire et une hyperkétratose marginale de la truffe sont présentes.
Photo 3 : otite erythémato-cérumineuse
Photo 4 : hyperkératose marginale de la truffe
Une chéilite érythémateuse avec même érythème légèrement alopéciant sur le menton se retrouve avec sous le cou des plaques pseudo-verruqueuses hyperkératosiques qui seront retrouvées aussi sur l’abdomen, au niveau des cuisses.
Photo 5 : chéilite et plaques hyperkératosiques
Sur le dos on trouve de grandes squames psoriasiformes associées à des plus petites voire des manchons agglutinant les poils en touffes.
Photo 6 : grandes squames sur le dos
La face ventrale, en plus des plaques hyperkératosiques déjà évoquées, présente des papules, papulo-croûtes, collerettes épidermiques et de pyodermite centrifuge très squameuses. De plus la peau semble fine, sèche peu élastique (peau de vieillard).
Photo 7 : face ventrale, plaques séborrhéiques
Pour finir, sans réelle pododermatite, on retrouve sur les bords des coussinets de pattes une hyperkératose.
Photo 8 : hyperkératose marginale des coussinets
Hypothèses cliniques
- Les otites et chéilites récidivantes avec prurit et bonne réponse aux corticoïdes démarrant chez un chien jeune de race CKC font penser à une dermatite allergique (dapp : prurit base de la queue et présence de puces / allergie alimentaire : amélioration avec un régime mais traitements associés / atopie). On peut y associer la probable pyodermite récidivante (au moins un autre épisode d’après les commémoratifs).
- Les papulo-croûtes, collerettes épidermiques et lésions centrifuges évoquent une pyodermite probablement secondaire.
- L’hyperkératose marginale de la truffe et des coussinets associée aux plaques « verruqueuses » et aux grandes squames dorsales sans inflammation notable ne cadrent par contre pas dans notre hypothèse diagnostique en l’absence de lichénification. De même pour la « peau de vieillard » du ventre. Une ichtyose ou une adénite sébacée sont évoquées et des biopsies sont décidées pour étayer ou non ces hypothèses.
Examens complémentaires
@ Les calques cutanés (sous croûtes) montrent des polynucléaires avec des coques intra et extracellulaires en petit nombre.
@ Les raclages sont négatifs.
@ Dans les oreilles on trouve un mélange de coques et de malassezias.
@ Un test allergologique cutané montre une réactivité à Dermatophagoïdes farinae (2+) et à Acarus siro (3+) (histamine : 3+ et témoin négatif -).
@ Compte rendu des biopsies cutanées du LAPVSO : conclusion et commentaires :
Sévère dermatite kératoséborrhéique compliquée de pyodermite superficielle, parfois à type de folliculite impétiginiée, évoluant dans un contexte de trouble de la kératinisation caractérisée par une hyperkératose orthokératosique folliculaire et une hypergranulose folliculaire, par l’émission de petites papilles coniques aux marges de ostia folliculaires.
Rechercher : un contexte ectoparasitaire ou d’hypersensibilité au sens large ? Une dermatite kératoséborrhéique venant compliquer, par un trouble de l’écosystème cutané, un trouble primitif de la kératinisation tel qu’une ichtyose ou un syndrome ichtyosiforme.
Diagnostic
Cooki présente un syndrome ichtyosiforme, la conjonctivite malgré la diminution de Schirmer peu marquée peut évoquer la conjonctivite sèche associée à ce syndrome chez le Cavalier King Charles (Curly syndrome).
Une dermatite allergique de type atopie y est associée et une complication secondaire par une pyodermite bactérienne est présente.
Nous sommes donc en face d’une pathologie complexe associant « curly syndrome » et atopie, les deux étant d’origine génétique.
Traitement
Antibiothérapie : céphaline (rilexine ND) et shampooing antiseptique (Douxo Chlorhexidine) à continuer au moins une semaine après la disparition des lésions correspondantes.
Traitement de la séborrhée : acides gras essentiels (actis omega), shampooing antiséborrhéique deux fois par semaine (au départ en alternance avec antiseptique).
Protection contre les puces : choix per os compte tenu de la qualité de peau (comfortis ND).
Soins de l’otite externe : nettoyant et formulation otologique (aurizon, en 2013 avant les nouvelles préconisations pour l’utilisation des antibiotiques).
Suivi
Avec les soins d’entretien de son hyperkératose (shampooings et acides gras essentiels, protection contre les puces et larmes artificielles, les propriétaires ont réussi à gérer d’une manière confortable si ce n’est une poussée une à deux fois par an, peut être plus à attribuer à ses problèmes allergiques, avec otite, chéilite et pododermatite. Trois ans plus tard, Cooki fait une décompensation cardiaque avec fuite mitrale et tricuspidienne, actuellement en traitement chez son vétérinaire habituel.
Discussion
A/ Les ichtyoses
Elles sont nommées d’après le nom grec ikhtus (poisson) à cause de la ressemblance que peut prendre la peau avec les écailles d’un poisson.
Dues à des troubles héréditaires et congénitaux de la cornéogénèse, elles seront différenciées et auront une apparence particulière selon le défaut en cause.
1/ Chez l’homme on note plus de 21 types de syndromes ichtyosiformes.
Les principaux sont :
(Tiré de AIF (Association Ichtyose France), Professeur C. Bodemer)
a) L’ichtyose vulgaire
C’est la plus fréquente des ichtyoses (une personne sur 250) et aussi la moins sévère. L’ichtyose n’est pas présente à la naissance mais apparaît dans les premiers mois ou années de vie. Cette ichtyose est associée à un risque de développer des maladies allergiques telles que l’eczéma atopique ou l’asthme. Elle se présente sous la forme de squames superficielles de petite taille prédominant sur les jambes et qui sont plus prononcés l’hiver. On note une accentuation de la présence des plis au niveau ces paumes et des plantes.
b) L’ichtyose liée à l’x
C’est la seconde ichtyose en termes de fréquence. Elle n’atteint que les garçons en raison de son mode de transmission (voir ci-dessous). Les lésions peuvent être visibles à la naissance ou apparaître dans les 1ers mois de vie. Les squames sont sombres (brunes ou grises), larges et prédominent sur les membres. Elles n’atteignent pas le visage et généralement les plis ne sont pas non atteints.
c) L’ichtyose bulleuse
L’ichtyose bulleuse est une des différentes formes d’ichtyose.
Elle est caractérisée par l’association d’un épaississement de la peau (nommé hyperkératose) et d’une fragilité suite à la formation de bulles. Cette forme d’ichtyose diffère donc des autres ichtyoses où il existe des squames (peaux mortes) plus qu’un épaississement.
d) Les ichtyoses congénitales non bulleuses
Elles sont présentes à la naissance. Il s’agit le plus souvent d’ichtyoses sévères.
On utilise le terme d’ichtyose lamellaire lorsque les squames sont épaisses et sombres. Les lésions atteignent tout le corps sauf dans le cas des ichtyoses lamellaires « en pourpoint » qui sont des formes rares dans lesquelles les squames sont limitées au tronc et au cuir chevelu.
L‘érythrodermie ichtyosiforme se caractérise par une peau rouge (érythème), recouverte de squames fines et blanchâtres. Cependant, toutes les formes intermédiaires existent et dans ce cas il n’existe pas de terme pour bien décrire l’aspect de l’ichtyose. La prévalence est estimée à environ 1/200 000 – 1/1 000 000 individus.
e) Les ichtyoses « syndromiques »
Ce sont des formes très rares dans lesquelles il existe des anomalies d’autres organes que la peau. On peut les classer en fonction de la prédominance des signes associés sur les cheveux, le système nerveux, etc… Elles comportent en autre le syndrome de Nétherton, le syndrome de Dorfman – Chanarin, le syndrome de Sjoëgren-Larsson, la trichothiodystrophie.
Ichtyose vulgaire
Ichtyose liée à l’X
Ichtyose bulleuse
Ichtyose lamellaire
ou
Erythrodermie ichtyosiforme
congénitale sèche
Filaggrine
Stéroïde sulfatase
Kératines 1 ou 10
- Transglutaminase 1
- Lipoxygénases 3 ou 12B
- Ichthyn
- ABCA12
- Cytochrome P450
- Autres non identifiés à ce jour
Autosomique dominant
Récessif lié à l’X
Autosomique dominant
Autosomique récessif
2/ Chez le chien, la classification actuelle est histopathologique
a) Les ichtyoses épidermolytiques
Appelées aussi hyperkératoses épidermolytiques, elles sont dues à un défaut des kératines épidermiques.
C’est le cas de celle retrouvée chez le Norfolk terrier (défaut de la kératine 10) et le Cavalier King Charles. Dans le cas de Cooki qui nous intéresse, on note sur le compte rendu anatomopathologique la présence d’une hyperkératose orthokératosique alvéolaire parfois compactée, une vésiculation hydropique des acanthocytes sous cornés et une augmentation de la couche granuleuse folliculaire. On les retrouve plus rarement chez des croisés labrador et le Rodhésian Ridgeback.
b) Les ichtyoses non épidermolytiques
On la connaît mieux, c’est celle classique maintenant du Golden Retriever mais aussi du Cairn Terrier, ou, avec une forme un peu différente où les squames peuvent être plus fines et on peut trouver une atteinte des coussinets, chez le Jack Russel, le Bouledogue américain et le Rottweiler.
Photo 9 : Ichtyose chez un Golden Retriever
Elles sont décrites de manière anecdotique chez le West Highland White terrier, le Soft Coat Wheaten Terrier, le Pit Bull, le Dobermann.
Photo 10 : Ichtyose chez un Epagneul breton
c) Symptômes
Dominés par la présence de squames souvent de grandes taille plus ou moins adhérentes et pouvant être pigmentées (brunâtres) notamment chez le Golden Retriever, leur importance et gravité vont varier en fonction de leur extension et localisation. La truffe et les coussinets peuvent être atteints. Sauf surinfection ou pathologie concomitante, en principe, l’ichtyose n’est pas prurigineuse. Chez l’homme, sa prévalence augmente chez les atopiques, ce qui est le cas de Cooki.
d) Diagnostic différentiel
En dehors de commémoratifs particuliers, il conviendra d’évoquer les différentes dermatoses séborrhéiques et exfoliatives : cheylétiellose, démodécie, dermatophytose, leishmaniose, lymphome cutané épithéliotrope, séborrhée idiopathique, troubles de la cornéogénèse liés à une endocrinopathie, adénite, sébacée granulomateuse. La clé du diagnostic est histologique.
e) Traitement
Il dépendra de la gravité des lésions et les surinfections devront être traitées.
L’utilisation de shampooings kérato-modulateurs et d’émollients peut suffire dans les cas les moins graves. Les acides gras essentiels apportent souvent une amélioration. Dans les cas graves, les rétinoïdes de synthèse doivent être essayés.
B/ Syndrome ichtyosiforme et kérato-conjonctivite sèche du Cavalier King Charles
Connu des éleveurs sous le nom de curly (frisé) syndrome des anglo-saxons (dry eye and curly coat syndrome), ceux-ci savent reconnaître la toison frisé et les premiers signes oculaires dès l’ouverture des yeux , 10 à 15 jours après la naissance et suppriment les chiots atteints. Le vétérinaire ne verra que les cas les moins graves qui ont échappé à la vigilance des éleveurs ce qui explique que cette entité soit rare et méconnue du monde vétérinaire.
Et pour nos collègues anglo-saxons : congenital keratoconjonctivits sicca and ichthyosiform dermatosis (CKCSID), (CKCSID du CKCS, vive les sigles !)
Sous la coupe d’un gène autosomal récessif (mutation du FAM83H), un test de dépistage génétique existe maintenant (chez antagene (Fr) vetgen (USA) ou Animal Heath Trust (GB) par exemple).
En plus des soins classiques, il faut gérer la kérato-conjonctivite sèche, la ciclosporine en gel oculaire (et le tacrolimus dans certains pays) donne des résultats intéressants.








