Un cas d’adénite sébacée chez un chat

Réglisse, une chatte stérilisée de 7 ans, Européen à poils courts, pesant 4,5kg, est présentée à la consultation de dermatologie pour une acné mentonnière  extensive qui ne rétrocède pas au traitement mis en place par le vétérinaire traitant.

Charlotte Lepourry

Octobre 2025

Commémoratifs

 

Réglisse est vaccinée annuellement mais n’est pas déparasitée.

Elle vit en appartement, avec un autre chat. Les deux chats sont nourris avec des croquettes spécifiques pour lutter contre la prise de poids et reçoivent parfois de la nourriture industrielle humide.

Anamnèse

La propriétaire a consulté son vétérinaire traitant il y a deux mois pour le rappel vaccinal. Constatant une conjonctivite et blépharite bilatérale ainsi qu’une acné mentonnière, le vaccin n’a pas été renouvelé. Le vétérinaire a prescrit des soins locaux pendant 10 jours : Fradexam® pour les lésions ophtalmiques et Forudine® (acide fusidique) matin et soir, avec du Cutacnyl® 2.5% (peroxyde de benzoyle) à appliquer 15 minutes après la Forudine®. Les soins locaux n’ayant entraîné aucun amélioration, la chatte est revue 3 semaines plus tard et un traitement systémique est mis en place : Bioclamox® 50mg/12,5mg (acide clavulanique et amoxicilline) matin et soir pendant 10 jours et Dermipred® 5mg 1 comprimé le matin pendant 5 jours puis ½ cp par jour pendant 5 jours. Au suivi 3 semaines plus tard, l’amélioration n’est que partielle, le vétérinaire propose donc à la propriétaire une consultation en dermatologie.

Ni l’autre chat ni les propriétaires ne présentent de symptômes dermatologiques et aucun prurit n’est rapporté.

Examen clinique

Examen clinique général

Réglisse est en bon état corporel avec une note de 5/9.

Examen clinique dermatologique

De nombreux débris noirâtres sont observés sur le menton, les lèvres, la région péri-oculaire et les doigts, associés parfois à des manchons pilaires, ainsi qu’à un érythème palpébral.

Du cérumen est noté dans les conduits auditifs.

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Photo 1 : Débris noirâtres et érythème au niveau des paupières, manchons pilaires et débris noirâtres au niveau des doigts le jour de la consultation initiale

Bilan clinique

Dermatose chronique non prurigineuse caractérisée par un érythème palpébral, des débris noirâtres et des manchons pilaires au niveau du menton, des lèvres, des paupières et des doigts des membres antérieurs associée à la présence de sécrétions cérumineuses dans les conduits auditifs.

Hypothèses diagnostiques

Réglisse présente un trouble de la kératinisation à point de départ mentonnier mais ayant une tendance à l’extension et touchant également des zones à distance du menton telles que les doigts. Une acné mentonnière ne peut expliquer à elle-seule cette présentation clinique. Ainsi on doit penser à une dermatophytose, à une démodécie, à une adénite sébacée, ainsi qu’à des surinfections bactérienne et/ou fongique.

Examens complémentaires

Examens à interprétation immédiate

Trichoscopie (démodécie, dermatophytose), raclages cutanés et curetages auriculaires (démodécie) et examen à la lampe de Wood (dermatophytose à M. Canis)

L’examen à la lampe de Wood ne montre pas de poils fluorescents.

Il n’est pas observé de poils teigneux ni de Demodex aux examens microscopiques.

Cytologies cutanées (pyodermite superficielle, dermatite à Malassezia)

Un ruban adhésif est apposé au niveau du menton, puis coloré par du Bleu RAL®555. Aucun élément figuré n’est observé.A l’issue de ces examens une culture fongique est proposée à la propriétaire. Dans l’attente des résultats, nous lui délivrons des lingettes Douxo®S3 Pyo pads à appliquer sur les lésions matin et soir ainsi qu’un comprimé de Credelio® à faire avaler avec un repas.

Examens à interprétation différée

Culture fongique (dermatophytose, dermatite à Malassezia)

Un carré de moquette stérile est frotté sur tout le pelage du chat en insistant sur les lésions et envoyé au laboratoire DPM d’ONIRIS.

Aucun dermatophyte ni colonie de Malassezia ne pousse après culture sur milieu SCA.

La propriétaire est contactée par téléphone pour lui donner les résultats. Les lingettes n’ont apporté aucune amélioration, nous lui proposons donc de réaliser des biopsies cutanées.

Examen histopathologique cutané (alopécie paranéoplasique, démodécie)

La chatte est revue un mois plus tard pour réaliser les biopsies. L’état s’est empiré avec une atteinte dorénavant généralisée, de nombreux manchons pilaires, un érythème et une hypotrichose diffuse.

Trois biopsies cutanées sont réalisées sous anesthésie générale, deux au niveau du menton et une au niveau de la face, à l’aide d’un biopsy punch.

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Photos 2 et 2 bis : Très nombreux manchons pilaires et débris au niveau du menton ainsi qu’au niveau des paupières et des plis faciaux le jour des biopsies et un mois après la consultation initiale

Les prélèvements sont traités par le laboratoire d’histopathologie cutanée LAPVSO.

L’examen histopathologique met en évidence une hyperkératose orthokératosique modérée, avec une inflammation murale peu infiltrante, à base de petits lymphocytes typiques, ciblant principalement les isthmes folliculaires et les glandes sébacées, débordant parfois dans les infundibula, sans atteinte de l’épiderme interfolliculaire. Les glandes sébacées ont souvent disparu. Les follicules pileux sont secondairement légèrement dysplasiques avec des gaines allongées parfois désorientées associées à une fibrose. Ils peuvent présenter des manchons kératosiques discrètement pigmentés. Aucun élément figuré ni parasitaire, ni fongique, n’a été détecté sur les différents niveaux de section effectués ni sur la réaction au PAS

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Photos 3 et 3 bis : Examen histopathologique cutané LAPVSO (coloration HES) :

Hyperkératose orthokératosique (augmentation d’épaisseur de la couche cornée peuplée de cornéocytes matures dépourvus de noyaux) modérée

 

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Photo 4 et 4bis : Examen histopathologique cutané LAPVSO (coloration HES) :

Infiltration murale (inflammation des gaines folliculaires) à base de petits lymphocytes

L’aspect histologique évoque donc une adénite sébacée lymphocytaire associée à une folliculite murale isthmique.

Examens complémentaires additionnels

L’origine de cette folliculite murale lymphocytaire reste à préciser. En effet, il s’agit d’une modalité réactionnelle de la peau, observée histologiquement dans un très grand nombre de dermatoses inflammatoires et parfois concomitante d’une atteinte systémique, comme nous discuterons plus bas.

Ainsi un test FeLV/FIV est effectué et s’avère négatif. Le bilan hémato-biochimique est dans les normes usuelles. Egalement, des radiographies thoraciques et une échographie abdominale ne révèlent aucune anomalie.

Diagnostic

Le diagnostic est donc celui d’une adénite sébacée avec folliculite murale consécutive.

Traitement

Un traitement immunomodulateur est mis en place avec de la prednisolone à raison de 10 mg SID pendant 10 jours, puis 7,5mg SID pendant 10 jours et enfin 5 mg SID pendant 10 jours, associée à de la ciclosporine à la dose de 6,67 mg/kg/jour.

Des pipettes Dermoscent Essential6® sont proposées en application hebdomadaire.

Suivi à 1 mois

Le vétérinaire traitant revoit Réglisse et constate une nette amélioration, en particulier au niveau des paupières où il n’y a plus de lésions. Le traitement systémique est bien suivi et très bien toléré, mais les topiques sont appliqués de façon irrégulière, Réglisse appréciant peu les manipulations. La ciclosporine est renouvelée au même dosage et celui de la  prednisolone est de nouveau diminué progressivement, de sorte de sevrer totalement Réglisse en glucocorticoïdes d’ici deux semaines. Un contrôle est prévu au bout d’un mois.

Suivi à 3 mois

L’état de Réglisse continuant de s’améliorer, la propriétaire n’est pas venue au contrôle préconisé au bout d’un mois. Elle revient en consultation de dermatologie 3 mois après la mise en place du traitement pour le renouvellement d’ordonnance. La prednisolone a été stoppée comme convenu 6 semaines auparavant, et la ciclosporine continue d’être administrée de façon journalière.

Les lésions ont rétrocédé quasiment en totalité. Il persiste de rares manchons pilaires au niveau du menton et de la zone dorso-lombaire.

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Photo 3 : Aspect général de la face et des doigts 3 mois après mise en place du traitement

La ciclosporine est maintenue au même dosage mais les prises sont espacées de 48 heures. L’application de pipettes Dermoscent Essential6® est de nouveau recommandée.

Suivi à 5 mois

La fréquence d’administration de la ciclosporine a bien été diminuée à tous les deux jours. Les pipettes Dermoscent Essential6® sont toujours appliquées de façon aléatoire. Quelques lésions sont réapparues au niveau ventral et palpébral. Nous proposons à la propriétaire de donner la ciclosporine tous les 2 à 3 jours, sans plus diminuer cependant la fréquence sous peine d’une récidive probable.

Suivi par le vétérinaire traitant

 La propriétaire a maintenu le rythme de ciclosporine comme convenu, mais a stoppé définitivement les pipettes. Réglisse vient d’être vaccinée par son vétérinaire traitant, 20 mois après la mise en place du traitement, et il rapporte un état cutané parfaitement stabilisé.

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Un cas d'adénite sébacée chez un chat

Photos 4 et 4 bis : Aspect du chat lors de la consultation vaccinale, 20 mois après la mise en place du traitement

Discussion

La folliculite murale lymphocytaire a initialement été rapportée en association avec quatre dermatoses : dermatophytose, adénite sébacée, pseudopelade et lymphome T cutané débutant. Elle était sinon qualifiée d’idiopathique.

Plus récemment, une étude rétrospective ayant compilé 354 histopathologies mettant en évidence une folliculite murale lymphocytaire a montré que de très nombreuses dermatoses inflammatoires pouvaient y être associées. En particulier, les hypersensibilités sont rapportées dans ⅔ des cas.

Parmi les dermatoses non allergiques, citons les folliculites/furonculoses bactériennes, les maladies à médiation immunitaire telles que pemphigus et lupus érythémateux systémique, la dermatite solaire, la dermatophytose, la démodécie, la dermatite à FeLV, les réactions médicamenteuses, etc… Dans le cas présent il était probable qu’elle soit liée à l’adénite sébacée mais il fallait en toute rigueur écarter une autre pathologie. Et comme à chaque fois en dermatologie, les hypothèses doivent faire suite au bilan clinique ! Car certaines dermatoses comme une hypersensibilité, une dermatite solaire, ou encore une réaction médicamenteuse, pouvaient d’emblée être écartées (absence de prurit, vie stricte en appartement et absence de thérapeutique et de vaccination au cours de l’année précédent les symptômes). La dermatophytose, la démodécie et une pyodermite avaient été infirmées à la suite d’examens complémentaires. Les recherches additionnelles ont permis d’écarter une atteinte systémique et de conclure à l’adénite sébacée.

Notons par ailleurs qu’il existe une forme particulière de folliculite murale, la folliculite murale mucineuse dégénérative, dans laquelle sont retrouvés à l’histopathologie des dépôts de mucine folliculaire. Cette forme avait été décrite comme prodrome de lymphome T cutanéo muqueux, mais elle a ensuite été rapportée chez 7 chats sans qu’une cause puisse être établie (même si 3 chats étaient porteurs du FIV). Le pronostic de cette forme semble beaucoup plus sombre, aucun individu n’ayant répondu aux traitements mis en place, et ayant dû être euthanasiés dans les semaines qui ont suivi le diagnostic (à l’exception d’un chat qui a survécu pendant 5 mois).

L’adénite sébacée est une entité rare dans l’espèce féline, aucun traitement ne bénéficie d’AMM pour cette affection, et il n’y a pas non plus de consensus scientifique quant à sa prise en charge. Des traitements locaux tels que shampooings kératolytiques, lotions émolientes ou à base de propylène glycol sont recommandées mais n’ont pas été envisagés compte-tenu de la difficulté à manipuler Réglisse. En ce qui concerne les traitements systémiques, la ciclosporine est couramment utilisée lors d’adénite sébacée chez le chien. Dans l’espèce féline, Chiara Noli a décrit un cas traité avec succès avec de la ciclosporine à la dose de 5 mg/kg/jour. Nous avons donc opté pour cette thérapeutique, mais associée à de la prednisolone pour accélérer la résolution des symptômes, et à un dosage de 7mg/kg/jour, qui est celui du RCP de la ciclosporine commercialisée dans l’espèce féline. L’observance de ce traitement systémique a été excellente, probablement motivée par l’absence d’effets secondaires et une efficacité rapide et presque complète. Des pipettes Dermoscent Essential6®, d’application plus aisée et utilisées avec succès sur un chat par Katharina Glos avaient été proposées d’emblée mais leur application était mal suivie par la propriétaire.

Nous tenons à remercier le LAPVSO et tout particulièrement le Dr Frédérique Degorces pour la réalisation des histologies, son aide à l’interprétation ainsi que l’envoi des photographies.

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