Laurent Drouet | Silvia Bonati | Alicia Cozar | Nathalie Petit |Pascal Prélaud
Drouet L, Bonati S, Cozar A, Petit N, Prélaud P. Prevalence of immunoglobulin E sensitisation to mites and pollens in 25,451 French dogs from 2016 to 2022. Vet Dermatol. 2024 Oct 29. doi: 10.1111/vde.13309.
La dermatite atopique canine (DAC) est définie comme une maladie cutanée héréditaire, prurigineuse, inflammatoire à cellules T. Elle fait intervenir un défaut de la barrière cutanée, une dysbiose cutanée et une hypersensibilisation de l’animal aux allergènes1. Cette réponse immunologique anormale, médiée principalement par les Immunoglobulines E (IgE), est dirigée contre des allergènes environnementaux, incluant les acariens et les pollens2. Certaines races comme les boxers, les bouledogues, les labradors, les carlins et les west highland white terriers semblent prédisposées à la maladie3. Cependant, la prévalence de la DAC au sein de ces races varie selon la région géographique d’habitation et le milieu de vie de l’animal, confirmant une implication des facteurs environnementaux et de la génétique dans la pathogénie de cette maladie 3.
La sensibilisation aux allergènes peut être évaluée grâce au dosage sérologique des IgE spécifiques d’allergènes, ou grâce à des tests cutanés d’intradermoréaction (IDR) 2, 4. Le dosage sérologique des IgE spécifiques, facile à réaliser, est largement utilisé par les praticiens généralistes 2, 5, 6. Cependant, l’interprétation des résultats de ces dosages n’est pas toujours aisée. En effet, un résultat positif ne signifie pas que l’animal est allergique à l’allergène positif. Par exemple, une étude a montré qu’il n’existait pas de corrélation entre les concentrations polliniques dans l’environnement et les scores de prurit des chiens qui présentent une réaction positive aux tests IDR de ces mêmes pollens 7. De même, il existe une réactivité croisée entre certaines protéines de Dermatophagoides farinae et de Toxocara canis rendant difficile la distinction entre sensibilisation à cet acarien et infestation par le parasite digestif 8.
Cette étude a pour objectif principal d’évaluer la prévalence de résultats positifs au dosage sérologique des IgE spécifiques dirigés contre des allergènes environnementaux chez des chiens avec une suspicion clinique de DAC, en France. Le second objectif de l’étude est d’évaluer les facteurs de risque associés à une sensibilisation à certains allergènes.
Matériel et méthode : Un dosage sérologique d’IgE spécifiques a été réalisé sur 25451 échantillons sanguins de chiens présentant des signes cliniques de DAC entre janvier 2016 et décembre 2022 (laboratoire Ceva Biovac, Angers (France)). Les échantillons ont été collectés par le vétérinaire traitant dans le cadre d’un diagnostic clinique d’allergie, et en vue de la mise en place d’une désensibilisation. Les signes cliniques des animaux n’ont pas été transmis au laboratoire. Aucun critère spécifique de participation ou d’exclusion n’a été pris en compte.
Les dosages ont été réalisés par la méthode semi-quantitative habituellement proposée par le laboratoire (Biogenix Serotest). Des CCD bloqueurs ont été utilisés pour éviter des résultats positifs non spécifiques. 23 allergènes ont été testés.
Les facteurs de risque tels que la race, le sexe, l’âge, la région géographique et la saison au cours de laquelle le dosage a été réalisé, ont été recensés.
Résultats et discussion : La prévalence de la sensibilisation à au moins un allergène dans la population canine suspecte de DAC est élevée (75,6% des chiens). La sensibilisation aux acariens est plus répandue que celle aux pollens (67,9% contre 39,8%). L’oseille est le pollen le plus fréquemment rencontré. 89% des chiens sensibles aux acariens sont en réalité poly-sensibilisés à ces allergènes. Très peu de chiens sont uniquement sensibles à Dermatophagoides farinae 10 sans l’être aux autres acariens. Ces dosages sont probablement positifs en raison de la réactivité croisée des tests entre certaines mucines de Toxocara canis et certaines protéines allergéniques de l’acarien 11-13. Ces réactions croisées sont à prendre en considération pour éviter des erreurs diagnostiques. Ainsi, les chiens qui sont uniquement sensibles à Dermatophagoides farinae auraient peu de chance d’être allergiques à cet acarien.
Le Bichon, mauvais candidat à la désensibilisation
Dans cette étude, les chiens de race bichon étaient moins fréquemment sensibles aux allergènes que les autres. D’autres études ont déjà mis en avant le fait que cette race était moins prédisposée aux réactions allergiques, et répondait par conséquent moins bien à la désensibilisation 14, 15.
En revanche, les Bouviers Bernois semblent montrer une prédisposition à ces réactions allergiques. La majorité des chiens de cette race avait un résultat positif à au moins un allergène, et à au moins un acarien. Les boxers sont eux, les plus sensibles aux allergènes de pollen (56%).
Les femelles sont plus à risque de développer une réponse positive au dosage des IgE spécifiques de pollens et d’acariens que les mâles
Les femelles étaient en moyenne 1,35 fois plus souvent positives que les mâles aux dosage IgE spécifiques d’acariens seuls, aux pollens seuls, et aux deux types d’allergènes conjointement. Différentes études publiées jusqu’à présent se contredisent sur cette prédisposition 9, 12.
Les chiens âgés ne montrent pas un risque plus élevé de sensibilisation aux allergènes
Les chiens âgés de 1 à 5 ans étaient les plus représentés dans la catégorie positive à au moins un allergène et dans la catégorie positive à au moins un acarien, avec respectivement 77,8% et 70,1% des cas. Même si les chiens de plus de 15 ans étaient plus souvent sensibilisés aux pollens que les autres (43,8%), ce résultat n’était pas significativement différent de celui de la catégorie d’âge moyen. Ainsi, les chiens plus âgés ne semblent pas plus sensibles aux allergènes que les autres.
Chez les chiens sensibles aux pollens, le plus important semble être de corréler les résultats à l’environnement immédiat du chien lors du dosage. L’intérêt d’établir un lien entre les périodes de pollinisation selon les régions et la saison au cours de laquelle ont lieu les crises semble moindre.
En effet, les résultats provenant du sud étaient 1,16 fois plus souvent positifs aux pollens que ceux du nord. Cependant la sensibilisation aux pollens des végétaux de la zone méditerranéenne (plantain, olivier, ambroisie) n’était pas significativement différente entre cette région et le reste de la France. Le cyprès, pollen largement présent dans le sud de la France 17, n’était pas significativement plus représenté chez les animaux du sud que ceux du nord.
La période de l’année au cours de laquelle est testé l’animal n’influence pas de manière significative les résultats. Cependant, chez les chiens présentant une aggravation des signes cliniques au cours de l’été, il apparaît plus judicieux de tester durant cette période pour limiter les faux négatifs.
Les échantillons envoyés durant l’été étaient plus fortement positifs au dosage des IgE que les autres. En revanche, la proportion de résultats positifs entre les différents allergènes reste identique, peu importe la saison. Ainsi, les 3 pollens les plus représentés dans les résultats positifs toutes saisons confondues sont l’oseille, le mélange d’herbes grasses 1 et le mélange d’herbes grasses 2. Cela montre que la saison de pollinisation des plantes a peu d’influence sur la positivité des dosages sérologiques d’IgE spécifiques. Cependant, la réponse IgE semble moins marquée l’hiver.
Conclusion : Cette étude montre la relation complexe entre facteurs individuels et environnementaux, et sensibilité aux allergènes chez le chien. Certains résultats observés incitent à approfondir les études sur le sujet afin d’orienter le diagnostic et la gestion des allergies dans le contexte de DAC. En effet, des tests saisonniers pourraient être avantageux chez les chiens présentant des crises de DAC estivales, afin d’éviter de passer à côté de cas douteux. De plus, lorsqu’un chien est sensibilisé aux pollens, il est plus important de connaître son environnement immédiat, tant intérieur qu’extérieur, plutôt que de se concentrer sur le lien entre la saison de pollinisation et les poussées de DAC pour choisir les allergènes à inclure dans le traitement.
Références
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