Intertrigo caudal à Pseudomonas chez un Bouledogue

Un Bouledogue, mâle castré âgé de 3 ans, est présenté à la consultation spécialisée de dermatologie pour un troisième avis suite à un prurit caudal évoluant depuis plusieurs mois.

Emmanuel Bensignor

Mars 2024

Commémoratifs-anamnèse

Le chien vit dans une maison avec jardin, il est alimenté avec une alimentation hypoallergénique sèche à base d’hydrolysats de protéines depuis 6 mois, correctement traité contre les puces (administration d’un comprimé d’afoxolaner tous les 3 mois), et vacciné. La dermatose a débuté dès le plus jeune âge : les propriétaires rapportent des suintements et une mauvaise odeur, localisés au niveau de la queue et plus particulièrement du pli. Des mesures d’hygiène ont été mises en place, initialement suite aux conseils de l’éleveur avec des applications de talc, puis suite à une visite de santé annuelle chez son vétérinaire avec des applications locales de pads antiseptiques. Une légère amélioration est rapportée, mais un prurit est apparu et les lésions ont par la suite eu tendance à l’extension. Une consultation chez son vétérinaire a abouti à un traitement antibiotique d’une semaine avec de la céfalexine et l’application locale de chlorhexidine en tamponnements. Une nette amélioration est rapportée mais une récidive à l’arrêt du traitement a été observée motivant la reprise de la thérapeutique à l’identique, puis 2 mois plus tard par une nouvelle antibiothérapie à base d’amoxicilline acide clavulanique, cette fois pendant 3 semaines. Quatre mois plus tard, une nouvelle récidive a été à l’origine d’un changement de vétérinaire, avec prescription d’une nouvelle antibiothérapie à base d’amoxicille acide clavulanique pour 6 semaines et toujours un traitement antiseptique local, cette fois à base de lingettes imprégnées de chlorhexidine suivi de l’application d’une pommade à base d’acide fucidique. Une disparition des signes cliniques est observée mais une rechute survient 3 mois plus tard justifiant une nouvelle reprise d’une antibiothérapie, cette fois sans amélioration avec au contraire apparition d’une douleur à la manipulation de la zone lors des soins locaux. Le propriétaire a alors décidé de consulter un spécialiste.

Examen clinique

L’examen clinique montre des lésions exclusivement localisées à la zone caudale, en particulier au niveau du pli (photo 1). Il s’agit d’érosions marquées, parfois d’ulcérations, surmontées d’un exsudat verdâtre épais et « collant » (photo 2).

Intertrigo caudal à Pseudomonas chez un Bouledogue

Photo 1 : aspect des lésions (la zone a été préparée pour la chirurgie)

 

Intertrigo caudal à Pseudomonas chez un Bouledogue

Photo 2 : présence d’un pus « mucoïde »

Examens complémentaires

L’examen cytologique d’un prélèvement obtenu par écouvillonnage montre la présence d’innombrables bactéries en bâtonnets (photo 3) dans une réaction pyogranulomateuse.

L’examen bactériologique met en évidence la présence de nombreuses colonies de Pseudomonas aeruginosa.

L’antibiogramme montre une polyrésistance à tous les antibiotiques testés.

Intertrigo caudal à Pseudomonas chez un Bouledogue

Photo 3 : aspect typique microscopique des bacilles

Traitement

Après discussion avec le propriétaire, une décision de traitement chirurgical est prise avec élimination des tissus en excès et reconstruction (photo 4).

Intertrigo caudal à Pseudomonas chez un Bouledogue

Photo 4 : post-opératoire

Commentaires

Les dermatoses à bactéries gram négatif, notamment dues à Pseudomonas aeruginosa, sont relativement peu fréquentes par rapport aux « classiques » infections bactériennes à staphylocoques en dermatologie vétérinaire. Elles méritent toutefois d’être reconnues et traitées rapidement afin d’éviter un phénomène de résistance qui peut être problématique en clinique. Pseudomonas est un bacille gram négatif, qui provoque des infections à aspect mucoïde, d’une couleur bleu/verte due à la présence d’un sidérophore, assez caractéristique. Pseudomonas peut se présenter sous forme planctonique (souvent responsable alors d’invasion lors d’agressions aigües) ou sous forme de biofilm (permettant une persistance et une protection lors d’infections chroniques). Un grand nombre de facteurs de virulence sont à l’origine d’un pouvoir pathogène marqué : quorum-sensing, biofilm, systèmes variés de sécrétions d’exotoxines, … Il s’agit toutefois d’un pathogène opportuniste, peu virulent sauf en cas de comorbidités ou de facteurs de risque associés, à l’origine d’infections pulmonaires, de bactériémies, de conjonctivites et de kératites, d’infections urinaires ou cutanées. Sur un plan dermatologique on rencontre des surinfections de plaies, des folliculites/furonculoses et des otites mais Pseudomonas peut également surinfecter un pli et être à l’origine d’intertrigos parfois difficiles à traiter comme ici.  

Les intertrigos sont classiquement observés chez les chiens brachycéphales au niveau des plis de la face ou de la queue, avec érythème, enduit nauséabond, ulcères et présence d’un exsudat verdâtre assez évocateur en cas d’infection par Pseudomonas. La cytologie met en évidence la présence de granulocytes neutrophiles, de bacilles, avec images de phagocytose.

Le traitement médical fait appel à des soins locaux antiseptiques (les lingettes sont particulièrement indiquées pour leur effet mécanique d’élimination des débris mais rappelons ici que la chlorhexidine n’est pas nécessairement la plus efficace sur Pseudomonas– nous utilisons préférentiellement la solution de Dakin dans cette indication) et à l’utilisation de pommades à base de sulfadiazine argentique (rappelons ici que l’acide fucidique n’est pas efficace sur les Gram -). Il est rare de devoir avoir recours à une antibiothérapie systémique. Lorsqu’elle est nécessaire, elle doit se fonder sur l’antibiogramme : il faut éviter les antibiothérapies empiriques et savoir que les fluoroquinolones restent le traitement de choix dans cette indication. La lutte contre la douleur ne doit pas être négligée (utilisation du tramadol, la corticothérapie étant contre-indiquée). Par ailleurs, la prise en charge du biofilm, lorsqu’il est présent, est également intéressante : applications locales de solutions contenant de la N-acétyl-cystéine ou de (tris)-EDTA par exemple.

Pour les cas sévères comme ici, une solution chirurgicale peut être choisie afin d’éviter la multiplication d’antibiothérapies anarchiques. Il faudra faire appel à un chirurgien compétent qui réussira à éliminer le pli tout en maintenant un aspect esthétique « convenable » (la prise en compte de ce paramètre étant fondamental pour les propriétaires de brachy…).

 

 

 

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