A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

Un chien Jack Russel de 2 ans est présenté pour l’apparition récente de plusieurs nodules cutanés a priori non douloureux. Le chien vit en milieu péri-urbain, sans congénère, et reçoit un aliment industriel de qualité ; il n’a jamais voyagé. 

 

Jean-Loup Mathet

DVM, Orléans

 

Les traitements antiparasitaires externes mensuels (fipronil FRONTLINE®) et internes (milbémycine et praziquantel MILBEMAX®) sont régulièrement effectués, ses vaccins sont à jour. Aucun antécédent dermatologique ni pathologie antérieure notable ne sont décrits.

 

Anamnèse

Les nodules ont été observés quelques jours auparavant par les propriétaires. Ils sont non prurigineux, non alopéciques, d’aspect non inflammatoire à distance. L’examen rapproché met en évidence 3 nodules sous-cutanés, mobiles et fluctuants après palpation, l’un sur un flanc, l’autre sur une cuisse et le dernier sur un carpe. Leur taille est relativement identique de 1.5 à 2cm (photo 1). Aucun prurit n’est rapporté.

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

Le reste de l’examen clinique est normal : le chien est en très bon état général.

La cytoponction des nodules montre des images identiques de structures spiralées, pelotonnées ou entourées sur elles-mêmes, d’aspect hyperbasophile hétérogène avec une paroi nette. De nombreux neutrophiles et quelques macrophages et de rares mastocytes. L’ensemble évoque un élément parasitaire vermiforme allongé typique de microfilaires (photos 2 à 4).

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repensA propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

Une exérèse chirurgicale des nodules est décidée, et après prise de contact avec le service de dermatologie-parasitologie de l’Ecole Vétérinaire de NANTES Oniris (Pr P. BOURDEAU), l’envoi d’un nodule et son contenu ainsi que d’un prélèvement sanguin sur EDTA sont programmés. Un autre nodule est envoyé pour examen histopathologique au laboratoire d’histopathologie du LAPVSO à TOULOUSE.

Les nodules sont incisés après exérèse en masse et deux laissent apparaître un ver adulte filiforme dont un exemplaire est placé dans de l’éthanol pour examen parasitaire spécialisé (photos 5 à 8).

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

A propos d’un cas de filariose cutanee nodulaire due a dirofilaria repens

L’examen microscopique des caractéristiques morphologiques d’un ver adulte confirme l’identification d’une filaire présentant les éléments compatibles avec Dirofilaria (Nochtiella) repens.

L’enrichissement après concentration ou test de Knott ainsi que l’examen microscopique d’une goutte de sang à l’état frais ne montrent pas de microfilaire. La recherche de l’antigène de Dirofilaria immitis (technique immunoenzymatique) est également négative.

L’histologie du nodule est non spécifique : elle montre un foyer inflammatoire, nodulaire, de siège hypodermique, centré sur une zone optiquement vide et entouré par un tissu inflammatoire qui se compose d’un tissu de granulation typique, avec des néo-capillaires, des macrophages et des fibroblastes, largement infiltré par un abondant contingent de polynucléaires neutrophiles.

L’ensemble conclut à une néoformation inflammatoire profonde, sous-cutanée, à tendance suppurée qui amène à privilégier dans un premier temps une origine traumatique et/ou infectieuse, l’hypothèse d’une migration parasitaire ne pouvant par ailleurs pas être exclue bien qu’il n’ait pas été observé d’élément parasitaire.

En conclusion il s’agit d’une dermatose nodulaire due à l’infestation par Dirofilaria repens. Il n’y a pas de traitement spécifique à instaurer contrairement aux infestations systémiques par Dirofilaria immitis. Une surveillance de l’apparition d’autres nodules est indiquée aux propriétaires.

L’application préventive de spot-on d’AdvantageÒ (imidaclopride) mensuellement pendant 6 mois est réalisée. Aucune récidive nodulaire n’a été observée depuis plus de 40 mois et le chien n’a depuis présenté aucune pathologie en rapport avec cette parasitose.

 

Discussion

Agents, vecteurs et biologie

Les filaires des carnivores domestiques sont des nématodes parasites du tissu conjonctif, de la cavité péritonéale ou du système cardio-vasculaire. Les vecteurs de transmission sont les moustiques principalement, parfois les mouches ou les tiques.

La filariose cutanée due à Dirofilaria repens est la dirofilariose zoonotique la plus fréquente en Europe. Elle est due à la migration dans les tissus sous-cutanés et conjonctifs de l’hôte de larves infestantes (microfilaires) où elles atteignent leur maturité. Les adultes peuvent ensuite persister de nombreuses années au sein de nodules non-inflammatoires et sont peu pathogènes.

A l’inverse les filarioses à Dirofilaria immitis induisent de sévères atteintes cardio-vasculaires : les filaires adultes se localisent essentiellement dans les artères pulmonaires mais peuvent ensuite être retrouvées dans le coeur droit et dans les veines caves caudale et crâniale. L’évolution peut être chronique avec des poussées aigues congestives thrombo-emboliques ou bien vers une insuffisance cardiaque droite.

Éléments de cycle

Les microfilaires de D repens (et D immitis) se développent dans l’utérus des filaires adultes puis sont libérées dans la circulation sanguine où elles seront prélevées par des moustiques au-cours d’une piqûre (repas). Elles deviennent infestantes au stade L3 chez le vecteur puis sont à nouveau transmises chez l’hôte mammifère, principalement des Canidés (chien, renard, loup, coyote).

La répartition géographique de D repens est la partie nord de la France et les pays de l’Est comme la Hongrie. A l’inverse les zones d’enzootie de D immitis s’étendent du pourtour méditerranéen jusqu’à la mer Adriatique, la Turquie et plusieurs pays de l’Est. Les conditions climatiques en particulier l’accroissement des températures moyennes augmente la prolifération des moustiques, le taux de maturation des larves et la prévalence des dirofilarioses.

Expression clinique

Dirofilaria repens est la principale filariose sous-cutanée même si des cas de dermatoses à microfilaires de Dirofilaria immitis ont été observées. Dans le cas de Dirofilaria repens il s’agit essentiellement de nodules sous-cutanés contenant des vers adultes ou des microfilaires. Les nodules sont non-adhérents aux plans profonds, non douloureux. Les adultes sont parfois observés dans les fascias péri-musculaires et le tissu sous-cutané. Certaines infestations massives ou chez des animaux sensibilisés se traduisent par des pustules, des ulcérations ou des érosions dues au prurit et évoquant la gale sarcoptique. Chez l’homme le prurit est attribué à la migration des adultes dans le tissu sous-cutané, et un mécanisme identique est suspecté chez le chien. La disparition du léchage ou des mordillements après traitement adulticide est la principale conséquence positive pour les animaux infestés.

Dans une étude menée sur une cohorte de 28 chiens, les zones les plus fréquemment atteintes étaient la région dorso-lombaire, la zoné périnéale et les membres postérieurs. Les affections intercurrentes par des protozoaires ou des bactéries pourraient contribuer à modifier la présentation clinique.

Dans notre cas, la prise en charge thérapeutique chirugicale puis préventive a conduit à une guérison totale des signes cliniques. Des cas d’infestations mixtes à microfilaires de Dirofilaria  immitis sont possibles également.

Diagnostic

Les méthodes cytologiques après ponction de nodules infectés présentent une haute sensibilité de détection des microfilaires à D repens, ainsi que l’observation directe de vers adultes. La méthode par ultrafiltration de sang périphérique (dite de Knott) étant indiquée pour la recherche de microfilaires à D immitis, associée à des colorations immuno-histochimiques et des PCR.

Pathogénie

Le chien semble être un hôte adapté à la prolifération et la reproduction de D repens si l’on considère le développement de multiples nodules sous-cutanés, à l’inverse de l’homme où seule une masse solitaire est constatée en général.

La formation de ces nodules est mal comprise, étant la conséquence soit de l’inflammation générée soit de l’action mécanique des vers. Une hypothèse avancée est la production de facteurs de croissance et de cytokines induisant une régulation de la réponse immunosuppressive de l’organisme atteint. Le parasite se protégerait ainsi des défenses de son hôte, perpétuant son homéostasie et sa pérennité au sein des nodules jusqu’à parfois plusieurs années. D’autres études ont cependant démontré qu’un faible pourcentage de chiens infestés développaient des nodules, confirmant la probabilité d’autres mécanismes.

 

Conclusion

Ce cas clinique est une présentation classique d’infestation par Dirofilaria repens. Celles-ci se manifestent par des expressions sub-cliniques accompagnées de signes cutanés modérés, essentiellement nodulaires non inflammatoires, parfois dermatologiques discrets et sans atteinte systémique. Tout chien infesté représente néanmoins un réservoir zoonotique potentiel.

Enfin, des co-infestations par d’autres pathogènes vectorisés comme les babésioses, les erlichioses ou la dirofilariose à  Dirofilaria immitis ne doivent pas être négligées et recherchées.

Il faut également noter que la présence symbiotique de la bactérie Wolbachia lors de dirofilariose à D repens peut entrainer des réactions inflammatoires de sensibilisation à traiter par la doxycycline.

Le retrait chirurgical des nodules induits par des vers adultes reste la méthode de choix comme ici où aucune récidive n’a ensuite été observée.

 

Bibliographie

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