Framboise est une chatte stérilisée européenne de 12 ans présentée pour une lésion de type masse cutanée à la commissure des lèvres en forme de croissant, dure, ulcérée et évoluant depuis près d’un mois d’après ses propriétaires…
Dr F. Granat, DVM, Dip. ECVCP, PhD,
Laboratoire d’Anatomie Pathologique Vétérinaire du Sud-Ouest (LAPVSO)
Hypothèses diagnostiques :
Parmi les diverses hypothèses diagnostiques retenues, on peut citer :
- Un processus tumoral :
- Carcinome épidermoïde
- Tumeur à cellules rondes :
- Mastocytome
- Lymphome…
- …
- Un processus inflammatoire :
- Granulome inflammatoire
- Processus irritant/traumatisant
- Corps étranger
- Lésion inflammatoire infectieuse (bactérienne, fongique, …)
Démarche diagnostique : un examen cytologique en première intention
L’examen cytologique est un examen complémentaire peu invasif, simple à réaliser, et pour lequel le résultat est obtenu rapidement : des calques et cytoponctions ont donc été réalisées sous tranquilisation dans le cas présent, afin de tenter de déterminer la nature de la lésion.
Pour rappel, la lecture au microscope d’un prélèvement cytologique se réalise systématiquement du faible au fort grossissement afin d’évaluer la qualité et la cellularité des prélèvements transmis, puis d’évaluer précisément les populations cellulaires d’intérêt (ex : disposition, évaluation des caractéristiques morphologiques et des éventuelles atypies cytonucléaires …), qui permettront d’émettre des hypothèses diagnostiques a minima hiérarchisées.
Les prélèvements cytologiques obtenus dans le cas présent sont de très bonne qualité technique : les lames sont riches en cellules intactes et suffisamment étalées, permettant ainsi d’évaluer les caractéristiques cytonucléaires de la population d’intérêt.
L’examen cytologique met en évidence à faible grossissement un fond hémorragique et inflammatoire neutrophilique marqué associé à une abondante population de cellules d’allure monomorphes et déjà atypiques, isolées ou disposées en amas de type pavimenteux à rarement pseudo-papillaires évoquant une population d’origine épithéliale et à différenciation clairement squameuse pour certaines d’entre elles. Ces cellules d’intérêt sont de forme squameuse, polygonale à parfois ronde, et présentent un RNP (Rapport Nucléo-Cytoplasmique) moyen à faible.
A fort grossissement, ces cellules épithéliales ont un cytoplasme basophile clair, moyen à turquoise présentant parfois quelques micro- à macrovacuoles claires notamment en région périnucléaire (ces dernières pouvant être le reflet de kératohyaline non colorée) [1] ou parfois phagocytaires de leucocytes, et un noyau rond à ovoïde, à chromatine grossièrement réticulée à abîmée et dévoilant parfois un ou plusieurs petits à moyens nucléoles. Les caractéristiques cytonucléaires de ces cellules traduisent notamment un asynchronisme de maturation de l’épithélium squameux. Ces cellules présentent de nombreuses atypies cytonucléaires : une anisocytose marquée et anisocaryose marquée, du gigantisme, de la macrocaryose, de fréquentes bi- et quelques plurinucléations, ainsi que de rares images de mitose.
Suspicion diagnostique
La population de cellules épithéliales à différenciation squameuse et très atypiques observée évoque très fortement un processus tumoral malin de type carcinome épidermoïde dans le cas présent.
Suivi clinique
Le bilan d’extension loco-régional ayant mis en évidence une métastase ganglionnaire, seul un traitement palliatif a été choisi par les propriétaires.
Discussion
Le carcinome épidermoïde est une tumeur cutanée relativement fréquente chez le Chat et le Chien [2]. Son diagnostic cytologique peut être établi aisément à l’aide de prélèvements cytologiques (ces derniers pouvant être recueillis par cytoponction à l’aiguille fine, calques, ou encore cytobrossage de la lésion), dans le cas notamment d’un carcinome épidermoïde relativement bien différencié et présentant des atypies cytonucléaires évidentes. En effet, un contexte inflammatoire neutrophilique (+/- associé à une surinfection bactérienne) étant fréquemment rencontré au sein de ce type de tumeur, il peut s’avérer délicat de différencier d’un point de vue strictement cytologique une population épithéliale à différenciation squameuse d’origine néoplasique, d’une population épithéliale à différenciation squameuse de type dysplasique dans le cadre d’une lésion inflammatoire chronique [3]. Un examen histopathologique étant alors nécessaire pour établir un diagnostic.
L’examen cytologique est un outil diagnostique pertinent pour l’investigation des masses cutanées et la réalisation du bilan d’extension notamment en cas d’adénomégalie loco-régionale, autant par sa simplicité de réalisation que par les informations diagnostiques qu’il peut apporter. Il permet souvent d’établir un diagnostic et parfois en préciser le pronostic, ou a minima de hiérarchiser les hypothèses diagnostiques, et ainsi orienter la prise en charge clinique.
RÉFÉRENCES :
[1] Raskin R.E, Meyer D.J. Canibne and feline cytology. A color atlas and interpretation guide. 3rd edition. Elsevier, St Louis, Missouri; 2016 (58-59).
[2] Gross T.L, Ihrke P.J, Walder E.J, Affolter V.K. Skin diseases of the dog and Cat. Clinical and histopathologial diagnosis. 2nd edition. Blackwell Science Ltd, Oxford, UK; 2005 (641-647).
[3] Albanese F. Canine and feline skin cytology. A comprehensive and illustrated guidde to the interpretation of skin lesions via cytological examination. Springer, Cham, Switzerland, 2017 (358-372).
